Jean N’Saka wa N’Saka
06/06/07
La prolongation unilatérale et cavalière de la transition à l’expiration du délai légal de vingt-quatre (24) mois, sans conformité avec le deuxième alinéa de l’article 196 de la Constitution, par le président-abbé de la CEI Apollinaire Malu Malu, en la faisant entériner par l’Assemblée nationale et le Sénat, et les résultats de l’élection présidentielle, avaient déchiré non seulement la classe politique et la société civile entre ceux qui étaient au pouvoir et ceux qui étaient dehors, mais aussi l’Eglise catholique romaine de la RDC. La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) par son président Mgr Laurent Monsegwo archevêque de Kisangani, avait dénié au président de la CEI ce droit qui revenait à l’ensemble des signataires de l’Accord global et inclusif, seuls dûment qualifiés pour se retrouver réunis et chercher un nouveau consensus. L’épiscopat de la province ecclésiastique du Kivu, par la voix de l’archevêque de Bukavu Mgr Maroy, avait pris le contre-pied de la position de la CENCO. Pour l’archevêque et les évêques du Kivu, il fallait aller droit aux élections pour mettre fin aux souffrances du peuple au lieu de tergiverser en s’engageant encore dans des négociations.
Par des homélies et des tournées pastorales, les dignitaires catholiques du Kivu avaient fait campagne pour un camp bien déterminé et exhorté la population à voter massivement en sa faveur. Le Kivu était devenu comme une chasse gardée. Pendant la campagne électorale, tout propagandiste politique était considéré comme persona non grata. Aussitôt les résultats de l’élection présidentiel publiés, lorsque le cardinal Frédéric Etsou les avait qualifiés de faux et s’en était pris durement à l’abbé-président Malu Malu, il a été soutenu par presque toutes les provinces ecclésiastiques de la RDC, hormis celles du Kivu et du Katanga. L’Est du pays – notamment le Kivu et la Province Orientale – a énormément contribué à la victoire confortable du candidat de l’Alliance pour la majorité présidentielle. La raison fondamentale de ce zèle dont l’épiscopat et la population étaient embrasés était qu’ils considéraient fermement les élections comme la recette infaillible pour ramener la paix au Kivu et en finir définitivement avec la guerre et son cortège de douleurs et de souffrances.
Il ne s’en est fallu de beaucoup qu’on n’ait été rattrapé par l’histoire. Le Kivu est à deux doigts de la même guerre. Et par une curieuse ironie du sort, le signal d’alarme retentissant à tous les échos comme un pathétique cri de détresse, est donné par l’archevêque de Bukavu, Mgr Maroy, et peu avant lui par le gouverneur de la province du Sud-Kivu. C’était dans sa lettre remise en mains propres à l’ambassadeur de France de passage à Bukavu le 28 mai dernier, publiée par Le Potentiel et reprise en quelques extraits essentiels par Le Phare dans son édition du vendredi 1er juin. Voici les échos qui se dégagent de SOS de Mgr Maroy : «Il y a un mouvement d’infiltration massive et systématique en provenance du Rwanda par les points frontaliers de la rivière Ruzizi, d’Uvira, de Nyangezi, de Kaza-Roho à Cabi Bukavu. Pour preuve, le gouverneur de la province a montré à la presse, le samedi 26 mai 2007, un sujet burundais fortement engagé dans le recrutement et la finalisation d’une nouvelle guerre».
Horreurs épouvantables
Les échos continuent : « De nouveau la campagne médiatique de la prétendue haine ethnique resurgit dans les médias. Le macabre massacre de Kaniola à Walungu du 26 au 27 mai 2007, rappelle bien celui de Lemera dans le territoire d’Uvira avant les attaques décisives de la guerre de l’AFDL. La nature de la cruauté à l’arme blanche est contraire à notre culture et rappelle les massacres de Kasika et de Makobola. Les massacres de Kaniola ont été exécutés en présence pratiquement du major de l’armée régulière proche du commandant de la onzième brigade militaire. Les cris de la population n’ont pas dérangé son sommeil alors que les massacres se produisaient non loin de l’endroit où il était basé ». De son côté Laurent Nkundabatware, dans sa lettre datée du 17 mai 2007 adressée au Premier ministre Gizenga, et dont des extraits ont été reproduits et commentés par Le Phare dans son édition du vendredi 1er juin, écrit notamment ce qui suit : «La transition politique en RDC a lamentablement échoué, car si l’on passe en revue les cinq objectifs qu’elle s’était fixés, l’on se rend aisément compte qu’aucun d’eux n’a été atteint. Cet échec est particulièrement patent dans le domaine le plus fondamental et le plus inconfortable, celui de la réconciliation nationale…»
C’est à dessein que j’ai assorti des extraits de la lettre de l’archevêque de Bukavu Mgr Maroy à l’ambassadeur de France, de ceux de la lettre de Laurent Nkundabatware au Premier Ministre Gizenga, bien qu’ils défendent deux communautés ethniques différentes, parce que l’un et l’autre avertissent les destinataires de leurs lettres de l’éclatement imminent d’une autre guerre qu’ils entrevoient et redoutent au Kivu. Il n’y a aucune commune mesure entre ce qui se passe encore aujourd’hui à l’Est du pays et la situation de la population de certaines parties du pays traumatisée dernièrement comme à Kahemba dans la province du Bandundu et au Bas-Congo. Des tueries préméditées en masse à l’arme blanche, par des balles réelles tirées à bout portant. Des maisons brûlées et des villages abandonnés. Hommes et femmes, adultes et jeunes, enfants à la mamelle, des femmes enceintes éventrées, sont abattus comme des chiens, tombent comme des mouches, nuit et jour. Est-ce ça la paix que les élections ont ramenée au Kivu ? Est-ce ça la manière de remercier et de récompenser cette population qu’on avait persuadée de voter massivement pour en finir avec la guerre et ses horreurs ?
Les atrocités que subit sans cesse la population du Kivu après les élections et l’imminence d’une autre guerre qui plane sur cette partie du pays, devraient inciter l’épiscopat catholique du Kivu à battre sa coulpe. Il ne sert à rien de se lamenter et de dénoncer les horreurs. Il serait moralement indiqué de s’interroger dans son for intérieur si l’on n’a pas une part de responsabilité d’une manière ou d’une autre, dans tous ces crimes qu’on déplore aujourd’hui au Kivu. Les politiciens du Kivu, membres et ténors de l’Alliance de la majorité présidentielle qui évoluent dans les institutions de la IIIème République, devraient faire de même. Faisant de mauvais calculs dans l’intention d’assouvir leurs appétits du confort matériel, ils avaient induit la population en erreur en l’amenant à lâcher la proie pour l’ombre. Cette ombre de la paix qui est devenue un cauchemar. Au Gouvernement tout comme au Parlement, on ne semble pas se préoccuper de la gravité du danger qui risque, à partir du Kivu comme hier, de produire des effets autrement plus néfastes que les guerres de 1996-97-98, sur l’ensemble du pays.
Le Phare