Par Le Potentiel
1. Laurent Nkunda est-il une «création » du Rwanda, comme on le dit à Kinshasa?
Il ne servirait à rien, alors que nous recherchons la paix, de prononcer ce genre de phrase provocatrice. Chacun sait d’où viennent Nkunda Batware et son mouvement, c’est un secret de polichinelle. Mais il ne serait pas bon que cela sorte de la bouche du président de l’Assemblée nationale. Nkunda et ses troupes sont une réalité avec laquelle nous devons compter. Les intégrer dans les institutions de la République, sous certaines conditions, ressort de la même logique qui nous a conduits hier à intégrer JeanPierre Bemba et Azarias Ruberwa au sein de ces mêmes institutions, c’est une nécessité. Prenons Nkunda au mot et discutons.
2. Pourquoi le Kivu est-il une poudrière?
Parce que le Kivu est riche et que cette guerre est avant tout une guerre pour l’appropriation des minerais de l’Est de la République démocratique du Congo. Les intérêts miniers sont partout: derrière Nkunda, derrière les ex-FAR et les Interahamwe, derrière le Rwanda, derrière certains complices congolais. La réalité est simple. La plupart des mines du Nord-Kivu sont sous le contrôle physique des rebelles rwandais. Ce sont eux qui exploitent le coltan, la cassitérite et l’or, mais ce ne sont pas eux qui achètent et exportent ces minerais. Via toute une série d’intermédiaires, dont certains sont congolais, ces produits de notre sous-sol se retrouvent à Kigali, qui en est devenu la principale place d’exportation vers l’Asie et l’Occident, parfois aussi à Bujumbura ou à Entebbe en Ouganda. C’est paradoxal, mais c’est ainsi.
3. Les autorités rwandaises ont toujours nié être partie prenante dans ce genre de trafic…
Je ne crois pas une seconde en leurs dénégations. Tous les experts savent que je dis vrai. Quoi qu’il en soit, la seule solution est d’établir une traçabilité de ces «minerais du sang», comme pour les « diamants du sang» de la Sierra Leone et du Liberia. Parallèlement, il faut relancer la Communauté économique des pays des Grands Lacs, la CEPGL, seule à même de fournir à un petit pays trop densément peuplé comme le Rwanda un espace économique où mieux respirer.
4. Êtes-vous favorable à l’envoi d’un contingent angolais au Kivu?
Tout à fait, à cent pour cent. Ce sont des troupes africaines, qui connaissent bien nos réalités. Cela ne doit pas inquiéter le Rwanda, lequel aura la possibilité de dépêcher des officiers au sein de l’Observatoire international prévu pour rassurer les uns et les autres. Ces forces angolaises auront en effet pour objectif, entre autres, de nous aider à désarmer les ex-FAR et les Interahamwes, une tâche complexe pour laquelle notre pays a besoin de l’implication de toute la communauté internationale. S’il était aussi facile de résoudre ce problème, je pense que les Rwandais, qui ont occupé pendant cinq années le Kivu, y seraient parvenus.
5. Que pensez-vous de fameux contrats chinois?
L’objectif visé est tout à fait louable. Qui pourrait s’opposer à ce qu’il y ait, au Congo, plus de routes, d’infrastructures et de chantiers? Mais partager cela ne signifie pas qu’il faille s’interdire de renégocier au besoin telle ou telle clause des contrats. Ce devoir de vigilance n’implique évidemment pas que l’Assemblée nationale ait des arrière-pensées obscures, non. Les recommandations que nous avons formulées au gouvernement sont claires: nous constatons que les contrats chinois sont financés par notre cuivre et notre cobalt. Or les cours de ces minerais sont actuellement à la baisse. Exemple: le cuivre était coté à 9.000 dollars la tonne au moment de la conclusion des contrats. Il est aujourd’hui à 3000 dollars. A-t-on prévu cette évolution? Je crains que non. Dès lors, quels palliatifs faut-il mettre en place? Et quelles garanties avons-nous obtenues de la part des Chinois que les réalisations fournies seront pérennes, en matériaux durables et respecteront l’environnement? J’ai posé ces questions, et les réponses que l’on m’a fournies ne sont pas satisfaisantes. Il va donc falloir rediscuter. Et puis, il faudra bien que ces chantiers démarrent un jour. On nous a dit qu’ils démarreraient le 1er août. Cinq mois plus tard, rien n’a commencé. Enfin, il est impératif de lancer un vrai débat sur ce qui fonde notre avenir. Dépendre exclusivement d’un secteur minier aussi volatil n’est pas une solution. Développer l’agriculture, exploiter nos énormes potentialités en ce domaine: voilà la voie à suivre.
Tirées de Jeune Afrique n°2500, du 7 au 13 décembre 2008