Jean N’Saka Wa N’Saka, Journaliste indépendant
09/07/07
On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Cela semble la devise du pouvoir de la IIIème République qui a tendance à innover étrangement. Aux appellations classiques des animateurs des institutions (parlementaires et ministres) s’ajoutent des innovations qui les assimilent aux fonctionnaires de l’Etat ou aux cadres d’entreprises privées. Le fonctionnement de certaines structures politiques autonomes est réglementé comme celui des cadres d’une société commerciale ou industrielle. Des séminaires de recyclage sont organisés et animés par des experts étrangers, à l’intention des parlementaires et des ministres pour apprendre aux uns comment légiférer, aux autres comment gouverner. Les « Honorables » et «leurs «Excellences » ne semblaient pas se rendre compte que les initiateurs de ces cours singuliers les sous-estimaient. Au contraire, ils s’étaient mis à leur école avec beaucoup d’enthousiasme bon enfant.
Et pourtant pendant leur campagne électorale, les « Honorables » déclaraient qu’ils étaient intellectuellement bien outillés et qu’élus députés, ils n’auraient pas besoin d’être renvoyés à une école quelconque d’initiation. Les dossiers d’acte de candidature à la députation déposés à la CEI en faisaient encore foi.
Ce qui est vrai pour les députés l’est aussi pour les ministres. Ils ne pouvaient être retenus et nommés si leurs dossiers n’étaient pas jugés satisfaisants du point de vue des qualités requises pour gérer les départements qu’ils ambitionnaient. Les soumettre encore à l’apprentissage de la gouvernance suppose qu’ils ont été jugés et trouvés insuffisamment à la hauteur des problèmes de gestion de leurs départements auxquels ils vont être confrontés. On ne pouvait quand même pas nous donner l’impression de considérer nos parlementaires et ministres comme des collégiens, alors que ce sont des hommes d’Etat qui doivent s’imposer et mériter considération. Parmi eux il y a des juristes, des politologues, des ingénieurs, des psychologues, des sociologues, des journalistes, etc. Toutes les branches de la connaissance se trouvent réunies tant au parlement qu’au gouvernement. Les parlementaires et les ministres ne sont pas permanents comme les fonctionnaires de l’Etat. Ce sont ces derniers qui possèdent les rouages administratifs, des auxiliaires qualifiés des départements ministériels, et qui ont besoin des séminaires de recyclage réguliers pour se perfectionner.
La tendance à l’innovation atypique se limite pas seulement au Parlement et au Gouvernement, elle s’étend jusqu’aux structures politiques traditionnellement adversaires des institutions qu’elles cherchent à remplacer au pouvoir. Il s’agit en l’occurrence de l’Opposition. Celle-ci est une force politique agissante qui lutte pour conquérir le pouvoir. Ceux qui l’animent ne sont pas les alliés de ceux qui dirigent. Ils constituent le contrepoids du pouvoir et non sa bouée de sauvetage, c’est-à-dire la structure satellite du pouvoir. Lorsque l’Opposition politique est étatisée et formalisée, elle devient tout simplement un épouvantail de parade. Surtout si son porte-étendard est désigné, et rémunéré par le pouvoir qui lui confère le rang de ministre, jouissant des honneurs dus aux officiels. Pourvue de biens matériels et d’honneurs dont elle peut avoir besoin, n’ayant plus rien à envier aux ministres, pour quelle raison pareille Opposition peut-elle encore lutter pour conquérir le pouvoir ? D’autant plus qu’en cette RDC, la politique est devenue une carrière alimentaire et non un apostolat, où les consciences se font acheter sans pudeur.
Deux types d’Opposition
L’Assemblée nationale s’est attelée dernièrement à l’examen et à l’adoption d’une loi régissant le fonctionnement de l’Opposition en RDC. Le chef de cette Opposition institutionnelle est désigné par ses paires politiques. Il est payé par l’Etat et a rang de ministre. Une Opposition parfaitement encadrée par le pouvoir. Après le vote, tous ceux qui s’identifient à cette Opposition se sont congratulés à qui mieux mieux. Le député auteur de cette proposition de loi s’en est félicité outre mesure, ravi d’avoir produit un chef-d’œuvre. Parmi les députés, il y en a qui se sont moqués de cette Opposition. Un jeune député de l’AMP, l’enfant terrible du PPRD, n’y est pas allé avec le dos de la cuiller au cours d’une émission sur le plateau d’une chaîne de télévision locale. Il a bien ri de cette Opposition en se demandant comment son chef qui est grassement payé par le pouvoir, pourrait-il avoir le courage de déranger ce même pouvoir pour faire triompher les vues et ambitions de son opposition. L’encadrement de l’Opposition institutionnelle est une autre innovation loin de concourir à la consolidation de la démocratie et à l’éclosion des opinions contradictoires.
Mais l’on n’ignore pas qu’il existe dans ce pays une Opposition historique, décidée à lutter pour l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit il y a plus de vingt-cinq (25) ans. Elle a toujours fonctionné et combattu tous les systèmes dictatoriaux. L’avancement jusqu’au stade où l’on est arrivé aujourd’hui, est indiscutablement la résultante de ses actions de pression sur toutes les dictatures antérieures. C’est dans cette Opposition que se reconnaissent tous les laissés-pour-compte de ce pays. A-t-on voulu diviser la classe politique pour régner ? Il coexiste désormais deux types d’opposition : l’Opposition historique libre et l’Opposition institutionnelle réglementée par un loi spécifique. L’opposition politique est en quelque sorte l’apostolat que s’imposent ceux qui incarnent les aspirations et les préoccupations du peuple gémissant sous le joug de l’oppression et de l’exploitation. Pactiser avec le système et se nourrir à ses mamelles tout en prétendant être de l’autre côté de la barricade, est un non sens ailleurs, mais une réalité au Zaïre-RDC.
Toutes proportions gardées, ce qui se passe aujourd’hui n’est pas tout à fait neuf. Nous nous souvenons du cas de douze (12) parlementaires de l’UDPS qui, par suite des accords de Gbadolite, avaient accepté de réintégrer le système soi-disant pour y continuer la lutte en tant qu’opposants à ce système ! Ils s’étaient fait absorber dans les rouages complexes de l’appareil du système et avaient ainsi dilué toute leur combativité politique et toute leur crédibilité. Bénéficiant des prébendes et privilèges destinés à tous les dignitaires du régime, ils avaient renié leur idéal pour devenir les instruments stipendiés engagés à combattre l’UDPS. Mais malgré cet appui des renégats apporté au système déjà en déliquescence, il y a eu néanmoins des larmes versées le 24 avril 1990, ponctuées du cri de désespoir de « Comprenez mon émotion ». C’était, dans une certaine mesure, la résultante de l’endurance, de la constance et de la persévérance de l’Opposition historique extraconstitutionnelle. La IIIème République se singularise par des pratiques et des innovations d’une autre démocratie, par rapport aux Républiques antérieures.
Le Phare