Un tournant dans la guerre du Kivu ?

Marie-France Cros

19/01/09

 

La dissidence du CNDP déclare un cessez-le-feu que le CNDP n’a pas obtenu. N’obtenant rien de visible en échange, les dissidents participent-ils à une manœuvre de Kinshasa ? Enjeu : livrer Ntaganda à la justice internationale.

analyse

Est-ce un tournant dans la guerre du Kivu ? Il est trop tôt encore pour l’assurer. On assiste en tout cas à des changements d’alliance dans cette région, en guerre depuis 1993 – interne d’abord, dérivée du génocide rwandais ensuite, pour le pouvoir à Kinshasa enfin. Aujourd’hui, les trois éléments sont mêlés, ce qui ne simplifie pas la recherche de la paix.

Vendredi dernier, alors que les négociations de Nairobi entre Kinshasa et les rebelles du CNDP de Laurent Nkunda étaient suspendues "sans cessez-le-feu commun" entre les parties, des représentants des dissidents du CNDP, conduits par l’ex-chef militaire de celui-ci, le dissident Bosco Ntaganda, proclamaient un cessez-le-feu à Goma (Nord-Kivu), en présence du ministre de l’Intérieur de Kinshasa, Célestin Mbuyu, et du chef de l’armée rwandaise, le général James Kaberebe.

Samedi, le principal groupe "maï maï" (combattants irréguliers) allié de Kinshasa, les Pareco, annonçait lui aussi à Goma "la fin des hostilités contre le CNDP" : avec le cessez-le-feu du CNDP-Taganda "toute justification des actions militaires de notre part est désormais sans objet".

Recherché par la CPI

Ces événements se présentent comme si Kinshasa avait tenté un coup politique pour diminuer ses adversaires au Nord-Kivu et l’avait partiellement réussi seulement. Plusieurs observateurs estiment que la dissidence de Bosco Ntaganda est le résultat d’un marché proposé par Kinshasa.

Ntaganda est en effet recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour son rôle dans les violences en Ituri au début des années 2000, où il fut chef de guerre. Laurent Nkunda, en revanche, n’est (encore ?) l’objet que d’un mandat d’arrêt congolais, diffusé uniquement au Rwanda et en Ouganda.

Puisque Ntaganda est au Congo, c’est à l’Etat congolais de l’arrêter pour la CPI. Or tout se passe comme si Kinshasa avait proposé à Ntaganda de ne pas l’arrêter (cela aurait pu être fait lors de la déclaration de vendredi à Goma) en échange de sa défection. Il ne restait plus, ensuite, à Kinshasa, qu’à demander à son allié Pareco d’amplifier l’importance du geste de Ntaganda en déclarant qu’il cessait, lui aussi, les combats.

Cette tactique n’a cependant que partiellement réussi en raison du demi-succès rencontré par le "coup d’Etat" de Ntaganda au sein du CNDP : une partie seulement des membres de cette organisation ont suivi le dissident et personne, pour l’heure, ne peut dire quelle proportion de rebelles restent sous le contrôle de chacun des chefs rivaux. En outre, certains risquent de se définir en fonction de l’évolution des choses. Enfin, il faut répéter que les alliances, au Kivu comme dans le reste du Congo, sont fluctuantes. Kinshasa avait ainsi renié un gentlemen’s agreement à Kigali entre son envoyé, le général Numbi, et Nkunda en janvier 2007 au sujet du mixage des troupes rebelles et pro-Kinshasa, bien que celui-ci ait été fêté, sur le terrain, par les troupes réunies.

Le Rwanda renie Nkunda

Les événements des derniers jours doivent cependant être considérés comme importants à deux titres au moins.

D’abord, parce que la présence du chef de l’armée rwandaise à Goma, vendredi, montre que Kigali renie Nkunda et préfère un accord avec Kinshasa, qui a promis de désarmer ses – jusqu’ici – alliés FDLR (rebelles rwandais, issus des génocidaires); c’est cependant la troisième fois que Kinshasa fait cette promesse, pratiquement sans effet.

Ensuite, il faut souligner que c’est la première fois que Kinshasa élabore une tactique politique pour mettre fin à la guerre au Kivu. Jusqu’ici, les autorités congolaises avaient tout misé sur l’option militaire, désastreuse pour la population et qui avait vu l’échec de l’armée de Kinshasa face aux rebelles.

 

 

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