Rupture – Rapacité – Rêverie : Les trois R qui risquent de rimer en RD Congo.

Marcellin Sole (*)

10/04/07

jk_kabila.jpgVoici cinq semaines que le gouvernement Gizenga a été investi et des signes de décrochage sont visibles face au récent développement de la situation sociopolitique en RDC. Massacres du Bas-Congo, affaire Kahemba, affrontements des 22 et 23 mars, chasse à la sorcière au sein de l’opposition politique, dossier sécuritaire à l’Est dont les menaces faites par Kampala d’user de son droit de poursuite des rebelles ougandais logés en RDC : rien ne perturbe le Patriarche face à cette quadrature du cercle qui menace l’avenir du pays. Cette attitude flegmatique devant la maison qui brûle est la seule pouvant éviter à notre Pays des ennuis de santé car, à son age, l’apathie reste l’unique réflexe pour pouvoir mieux jouir de son actuel statut de "Golden-elder" (vie doré d’un  aïeul). 

 

Du coup, c’est son alter ego – en plus jeunot – qui a dû combler le vide en intervenant énergiquement à la radio-télévision nationale pour signifier que l’autorité, légitimée par les dernières élections, existe bien en RDC et qu’il userait de tout son pouvoir régalien pour faire respecter l’ordre. En politique, la rupture étant un contrat d’engagement – et non des menaces – pour assurer un changement net et radicale, le président Kabila a lancé un message suffisamment clair au peuple congolais : "Je ne suis plus le président qui a trop subi le compromis et le consensus durant la Transition. Désormais j’userai de mes prérogatives pour faire régner l’ordre et vous me verrez partout avec mon bâton… sans carottes".  Par manque d’anticipation intelligible, le pouvoir actuel est en train de développer une culture de la décision publique consistant à intervenir avec fracas dès que la situation dégénère. Et voilà que les parrains occidentaux commencent à douter de la capacité des dirigeants installés à instaurer une vraie démocratie, après avoir présenté le tandem Kabila-Gizenga comme le Janus du Panthéon congolais (Janus étant la divinité romaine à deux visages tournés en sens contraire et ayant la faculté de connaître le passé et l’avenir).

 

Abandon de l’opérationnel et du rationnel pour l’émotionnel

 

La rhétorique actuellement perceptible dans plusieurs milieux consiste à présenter les Congolais, urbi et orbi, comme des victimes de leurs richesses et qu’il faille à tout prix les protéger contre les jaloux voisins de l’Est et bientôt du Sud avec le dossier Kahemba . Cette façon simpliste, réductrice de vouloir présenter le problème a fait naître chez l’homme congolais un sentiment de frustration, d’assistanat légitimé, de faux nationalisme et surtout d’agressivité vis à vis de tout étranger présenté comme pilleur, responsable du malheur collectif. L’émotionnel d’une population, paupérisée par ses propres dirigeants depuis plusieurs décennies, continue d’être mis à contribution à travers des métaphores savamment dosées grâce aux mêmes et vielles recettes : lutte contre la corruption, bonne gouvernance, cinq chantiers du président Kabila, quatre axes prioritaires de Gizenga, etc…. sans expliquer comment et avec qui se réaliseront ces rêveries !

 Une stratégie de la fabrique de bulles puantes fonctionne à plein régime et le président Kabila a été le premier à se lancer dans l’affaire au cours de son point de presse du 26/03 : " On prétend que j’ai vendu le pays aux Angolais ; et bien qui a pu sacrifier sa vie pour notre pays comme moi ? J’ai été sur tous les fronts au risque de perdre ma vie. […] Ceux qui pensent qu’ils ont le droit de perturber la quiétude des congolais me retrouveront sur leur chemin car je compte restaurer définitivement l’ordre dans ce pays. […] Concernant les cinq chantiers, les gens pensent que c’est une blague. Les cinq chantiers sont une réalité. Il n’y a pas que ces cinq chantiers mais tout est à refaire. Ces cinq chantiers sont les priorités mais tout est à refaire. Avant la fin de cette année, les grands travaux vont démarrer". Ce discours rappelle l’intervention du célèbre banquier américain Alain Greespan à des journalistes de Wall Street durant la période de crise financière de novembre 2004 : "Si vous avez compris ce que je viens de dire, c’est que je me suis mal exprimé".  

Ce refrain, peu convaincant, qui a tout l’air d’une langue de bois trouve son pendant dans le programme de Gizenga articulé sur trois phases : " La première partie est de 100 jours qui seront consacrés aux premiers pas du gouvernement. 100 jours qui correspondent à la période de grâce et marqués par des réformes urgentes. La deuxième phase est d’un an en rapport avec l’exercice annuel 2007. Et enfin, le programme global qui s’étend sur une durée de cinq ans. C’est-à-dire, de 2007 à 2011. Le financement de tout ce programme est estimé à 14,345 milliards de dollars Usd dont 6.892 milliards de représentant les ressources propres de l’Etat congolais et 7.335 milliards Us émanant des partenaires extérieurs". En dehors du seul mérite d’avoir lu ce discours debout pendant plus d’une heure (ce qui n’était pas donné d’avance compte tenu de la fébrilité sénile du premier ministre), le programme du gouvernement nous semble politiquement et économiquement posthume. En fait c’est une succession de vœux pieux basée sur l’art du bluff, un relevé de bonnes intentions, un bal d’hypocrisies coordonné par un idéaliste atteint de ménopause mentale. A ce propos, Charles De Gaulle n’avait pas tort en affirmant que la vieillesse est un naufrage !

 

Avec quelles ressources humaines pour redémarrer la RDC

 

"Nous n’avons aucune ressource naturelle, aucune puissance militaire. Nous n’avons qu’une seule ressource : la capacité d’invention de nos cerveaux. Elle est sans limites. Il faut la déployer. Il faut éduquer, entraîner, équiper.  Cette puissance cérébrale, par la force des choses, deviendra dans un avenir proche le bien commun le plus précieux, le plus créateur de l’humanité entière". Cette citation est tirée d’une interview de M. Doko (ancien président du puissant Patronat Japonais) lors de son passage à New York en Juin 1960. Ce patron avait déjà pressenti que la mondialisation  s’imposerait et été en avance de vingt ans lors de cette déclaration.  Si au pays du soleil levant, l’homme a été au centre du miracle japonais, au pays de Lumumba, le Congolais est un facteur supplétif à l’action du gouvernement qui compte plus sur la générosité extérieure. La masse laborieuse devrait continuer à vivre d’expédients en attendant les jours meilleurs et en cas de catastrophe visible, et bien les dons présidentiels fonctionneraient à plein régime.

 

Plus près de notre époque, M. Jahan-Frédérik Hel Guedj a publié en 2005 un livre intitulé :" Le rapport de la CIA : comment sera le monde en 2020" traduit en français par M. Alexandre Adler. Voici comment il présente la situation projetée des économies pauvres : " Les économies retardataires, les appartenances ethniques, les convictions religieuses intenses, le changement climatique et les poussées démographiques vont se liguer pour composer le tempête parfaite, créant ainsi les conditions d’un conflit interne.  Toutefois, c’est la capacité des Etats à gouverner qui déterminera l’existence et la portée véritable des conflits. Les Etats incapables de satisfaire les attentes de leur peuple et de résoudre ou étouffer des demandes conflictuelles sont aussi ceux qui risquent d’être confrontés aux éruptions de violence les plus graves et les plus fréquentes. […] Certains conflits internes, en particulier ceux qui impliquent des groupes ethniques à cheval sur des frontières nationales, risquent l’escalade vers des conflits à échelle régionale. A leur niveau le plus extrême, ces conflits internes peuvent engendrer la défaillance ou la faillite d’un Etat, avec des portions de territoire et des populations privées de tout contrôle gouvernemental effectif.  Dans de telles circonstances, ces territoires peuvent devenir les sanctuaires de terroristes transnationaux ou pour des criminels et des cartels de la drogue".

 

La RD Congo, avec sa superficie continentale, sa faible densité démographique, ses ressources minières et forestières, ses deux bassins d’eau qui font de ce pays un château d’eau pour toute l’Afrique centrale, risque de se retrouver dans le schéma décrit ci-haut au cas où l’absence des structures d’un Etat organisé continue d’être entretenue par ses propres dirigeants, lesquels affichent un talent hors normes dans ce domaine.

  

Par soucis de faire plus moderne (la gadgétisation de la gestion), le premier ministre Gizenga vient d’organiser un séminaire d’échanges – et non de formation – pour tous ses ministres sous le thème de la bonne gouvernance. Nous estimons que face à une déconstruction de la conscience nationale, la société congolaise est sans repères. Elle devrait, à tous les niveaux, réapprendre les notions d’un Etat, d’une Nation, du bien public bref les valeurs de base qui fondent l’appartenance à un pays. Du président de la république au huissier en passant par les agents de l’ordre public, il faudrait leur inculquer les b.a-ba du citoyen. Quelque soit la forme et le temps que prendront ses séances idéologiques, nous pensons que c’est le seul et l’unique moyen de remettre ce pays sur les rails des nations modernes. Au sein de notre BED (Bureau d’Etudes et de Développement), nous recherchons un financement afin de mettre au point un guide du citoyen que nous transmettrons aux membres de toutes les Institutions en place à Kinshasa, aux agents de la fonction publique, aux universités et écoles car le récent spectacle suivi à la télévision, lors d’un débat parlementaire, appelle à un changement rapide et radical de la conception, du rapport de l’élu vis à vis de la politique. 

 

En effet, la gestion des affaires publiques nécessite de la part des gouvernants et des gouvernés certaines connaissances de base des secteurs clés comme :

 

.        Les Institutions politiques représentent l'ensemble des structures résultant du régime politique mis en place par la Constitution, les lois, les règlements et les coutumes. La nation étant comprise comme un groupe humain qui se caractérise par la conscience de son unité et la volonté de vivre en commun sous l’autorité souveraine exercé par l’Etat sur le peuple.

 

·        L’économie devrait avoir comme vocation le social et l’indicateur porterait sur l’homme en tant que moteur de développement grâce à des indices comme la santé et la longévité, le savoir et le niveau d’éducation, le niveau de vie, etc… Il est évident qu’en payant les fonctionnaires et les militaires des salaires irrégulièrement versés de $ 20/mois, on ne devrait pas s’attendre à la paix et à un développement quelconque car la misère reste le combustible de toutes sortes de conflits.

 

·        L’aide publique au développement reçue des pays donateurs ne peut, à elle seule, assurer le développement et ne peut être tenue pour responsable des échecs enregistrés. D’autres facteurs cruciaux interviennent, notamment les politiques nationales mise en œuvre et la capacité du gouvernement à mobiliser les ressources locales en faveur du développement. Les conditions du service de la dette étant très élevées, il est inconcevable que le gouvernement Gizenga puissent programmer 60% de financement extérieur pour la réalisation des fameux chantiers sans aucune assurance que les partenaires extérieurs pourront s’exécuter.

 

·        Au niveau des relations internationales, la position géostratégique de la RDC prédispose ce pays à jouer un rôle moteur dans la lutte contre la marginalisation du continent pour une réelle émergence géopolitique. Etant l’élément clé de la région des Grands-Lacs où des efforts sont déployés pour atténuer le chaos entropique, la RDC a des frontières avec l’Afrique de l’Est qui est une zone de croissance affichée (la communauté EAC est dynamique et pourrait accueillir des nouveaux membres comme le Rwanda et le Burundi), l’Afrique Orientale actuellement stratégique pour les USA ainsi que l’Afrique Australe constituant un espace normalisé malgré le Zimbabwe. Face aux enjeux mondiaux d’une démocratie à l’épreuve des marchés, existe-t-il une politique clairement définie par nos autorités sur le rôle du pays dans la région et le monde ? Arrêtons cette situation d’absence dans les conférences internationales pour non paiement des cotisations et, même lorsque nos délégués sont présents, et bien qu’ils cessent de se comporter en pleurnichards.  L’image affichée par nos diplomates à l’extérieur du pays est indigne car non seulement ils ne maîtrisent pas tous les rouages, les textes et autres conventions signées (la tribu ou le copinage étant les critères de nomination par excellence) mais se livrent souvent à des pratiques peu diplomatiques de "collabos et faussaires" pour survivre parce qu’impayés.

 

Nicolas Machiavel disait qu’en politique, le choix est rarement entre le bien et le mal mais plutôt entre le pire et le moindre mal. En RD Congo, les autorités semblent avoir opté pour un régime d’affrontements et la présidence vient de récupérer toutes les manettes du pouvoir au détriment du gouvernement dont les ministres serviront de simples "Presses-boutons".  Si aujourd’hui nous acceptons la délinquance politique, qu’on ne s’étonne pas que demain la barbarie soit le modèle de gestion du pays. Et les populations congolaises continueront à rimer leur misère sous les sons des trois R… Rupture – Rapacité – Rêverie.

 

 

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Marcellin Sole

Consultant

Bureau d’Etudes et de Développement

Tél. : +256 71 2 53 62 55

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