La libre
24/04/07
Les affrontements entre garde de Bemba et armée ont traumatisé la classe politique. L'élimination de toute opposition au président Kabila effraie.
"On va vers la pensée unique." "On est en chemin vers une dictature." "Cela ressemble aux dernières années Mobutu." "Rien n'a changé depuis les élections, sinon en pire; a-t-on vraiment fait tout cela pour légitimer une dictature ?" La violence des affrontements à l'arme lourde, au centre de Kinshasa, entre la garde de l'opposant Jean-Pierre Bemba et l'armée congolaise, les 22 et 23 mars, a traumatisé la classe politique et les cadres congolais.
La maladresse de Bemba
On attend les conclusions de l'enquête conjointe Onu/autorités congolaises sur ces violences. Si les opinions des Kinois divergent pour savoir qui, des deux chefs, avait raison, beaucoup soulignent "la maladresse" voire "la bêtise" de Jean-Pierre Bemba dans cette affaire, qui a longtemps refusé de remplacer sa garde militaire personnelle par une garde de 12 policiers.
Et chacun de mettre en exergue l'attitude d'Azarias Ruberwa, l'autre ex-vice-Président ancien adversaire militaire de Joseph Kabila, qui a entamé des négociations… et qui dispose toujours de ses militaires.
"J'ai accepté le principe" du changement de gardes, nous explique M. Ruberwa, "mais j'ai discuté les modalités. Je voulais la garantie que ces militaires ne seraient pas maltraités. J'ai dit : ou leur sécurité est garantie, ou ils optent pour la démobilisation." "Des responsables militaires chargés de l'intégration ont rencontré mes hommes. J'attends la suite. Mais on est incapable de me dire où ceux-ci vont aller s'ils sont intégrés à l'armée."
Bemba lui, a refusé le principe de cette modification, avant de l'accepter à la veille des combats – qui l'ont surpris alors que les négociations devaient commencer. Le 22 mars, deux heures avant que les tirs ne commencent, les enfants de la demi-soeur du président Kabila et ceux d'Olivier Kamitatu (ministre du Plan, majorité présidentielle) ont été retirés de l'Ecole belge; ceux de M. Bemba y sont restés…
Si le fil de ces combats doit encore être raconté, on connaît leur issue : après que les hommes de Bemba aient pris le dessus, la situation s'est retournée à l'avantage des hommes du président Kabila, appuyés par des troupes angolaises (1). Les premiers sont en fuite, prisonniers ou réfugiés auprès de l'Onu; M. Bemba, après avoir trouvé refuge à l'ambassade d'Afrique du Sud est parti au Portugal pour des soins.
Exactions anti-Équatoriens
De nombreux Kinois ont alors poussé un "ouf" de soulagement : il n'y a désormais plus deux armées rivales à Kinshasa; la sécurité devrait s'en trouver accrue.
Pour d'autres, il n'en est rien. Après le pillage de magasins par les soldats de Bemba, puis par ceux de l'armée (les enfants du Collège Boboto (2) ont été rackettés par les deux troupes !), les exactions n'ont pas cessé.
Plusieurs bâtiments appartenant à des membres ou proches du MLC, le parti de Bemba, ont été saccagés. Ses deux télévisions ne peuvent plus émettre. Le siège du parti, occupé par la Garde présidentielle et la police, n'a été rendu que samedi, saccagé et maculé d'excréments. Pire : une chasse aux Equatoriens (l'Equateur est la province d'origine de M. Bemba et des siens) a été déclenchée dans certains quartiers de Kinshasa. A tel point qu'une marche de protestation a eu lieu à Mbandaka (Equateur).
Les 125 députés d'opposition ont, quant à eux, quitté l'Assemblée nationale pour exiger la fin des exactions contre le MLC, tandis que les "faucons" de la majorité présidentielle appuient une demande de levée de l'immunité sénatoriale de M. Bemba afin de le traîner en justice pour y répondre de sa "responsabilité intellectuelle" dans les violences. "Un procès pourrait permettre de le priver de ses droits civils et politiques", fait remarquer un observateur, "donc de l'empêcher de se présenter aux présidentielles dans cinq ans…"
Au total, Joseph Kabila n'a aujourd'hui plus d'adversaires politiques. Etienne Tshisekedi n'a pas participé au processus électoral et n'est représenté dans aucune institution; malade, il est en Afrique du Sud et laisse son parti désemparé. Jean-Pierre Bemba n'a plus d'armée, est hors du pays et les siens harcelés; son parti a déserté l'assemblée nationale. Azarias Ruberwa n'a plus d'armée et n'est élu à aucun poste. Quel chemin parcouru depuis la fin de la guerre, qu'aucun des camps en présence n'était militairement capable de gagner !
(1) De bonne source, certains étaient déjà sur place; d'autres sont arrivés le 23 par avion et sont restés à Ndjili; un groupe arrivé par la route du Bas-Congo s'est rendu au centre-ville.
(2) L'Ecole belge est à 1 km du Collège Boboto et "les enfants y ont bien été en danger, contrairement à ce qu'a dit" le ministre belge de la Défense, "André Flahaut", estiment les parents d'élèves, qui lui ont écrit une lettre de protestation.
Envoyée spéciale à Kinshasa
Marie-France Cros
Épinglé :Un espoir
Face à une évolution qui inquiète ceux qui avaient placé leur espoir dans le processus de démocratisation, il est un aspect positif : l'Assemblée nationale. D'abord cause de préoccupation lorsque tous les postes de son bureau furent raflés par la majorité présidentielle, au mépris des usages parlementaires, elle a, depuis, évolué.
Le 10 avril, en effet, lors de l'élection des commissions, l'assemblée a donné un quart des postes à l'opposition, notamment deux présidences de commission : celle de la prestigieuse Politique/Administration/Judiciaire revient à Delly Sessanga, du MLC; la Social/Culturel est attribuée à Hélène Ndombe Sita (démocratie-chrétienne). Beaucoup en attribuent le mérite principalement à Vital Kamerhe (majorité présidentielle), le président de l'assemblée. Celle-ci est toutefois bloquée depuis le boycott décidé par l'opposition, à la mi-avril, pour protester contre les exactions anti-MLC. Des négociations sont en cours pour y mettre fin.