RDC: L’Histoire est en marche. Mais vers où ?

dominic Johnson

24/01/09

 

laurent_nkunda_mihigo.jpgLa population du Nord-Kivu a peur des armées qui se succèdent sur son sol. Le CNDP de Nkunda refuse la récupération de son territoire par l’armée.

Est-ce la paix ou la guerre ? Sur la route autrefois goudronnée qui va de Goma à Rutshuru, 70 km plus au nord, des colonnes interminables de soldats en treillis verts marchent sous le soleil, vers le nord, munis de fusils, munitions, bidons d’eau, sacs de patates. Ce sont des unités FARDC, l’armée gouvernementale congolaise, qui a perdu le contrôle de cette région il y a trois mois. De l’autre côté de la route, à l’ombre, dans leurs uniformes camouflages bien distincts, des combattants du CNDP, la rébellion de Nkunda, regardent leurs nouveaux frères d’armes pénétrer dans leur fief – sans sourciller ni échanger un mot ou un coup de feu.

A l’approche de Rutshuru, les soldats gouvernementaux sont de plus en plus nombreux. Ils s’entassent sur des camions réquisitionnés avec armes et épouses. Ils positionnent des chars, canons pointés vers le Rwanda. A Kibumba, où se tient un grand marché de légumes, ils sont plus nombreux que les choux. Ils bivouaquent dans le stade de Rutshuru, se promènent sur les artères de la ville. Officiellement, les FARDC font partie de l’"opération conjointe" rwando-congolaise contre les milices hutues rwandaises FDLR. Partie à cet arrangement, le CNDP avait accordé un "droit de passage" aux FARDC, qui doivent traverser le territoire rebelle pour gagner les zones FDLR.

"Ils sont ici, dans les maisons"

"Les FARDC ne seront pas déployés ici", nous avait expliqué lundi, dans le fief rebelle de Mushaki, l’administrateur rebelle du territoire de Masisi, Jérôme Mashagiro. "Nous restons ici. On leur donne un couloir de libre passage pour les opérations. La guerre est finie, il ne reste qu’un seul ennemi : les FDLR." Mais au lieu de transiter, les troupes gouvernementales s’installent. "Il ne fallait pas qu’ils occupent la ville, dit l’administrateur rebelle de Rutshuru, Jules Simpense. Il fallait qu’ils aillent vers les FDLR. Mais ils ont tendance à ne pas y aller." Un autre cadre ajoute : "Ils n’ont rien, ni à manger ni abri. Après deux jours, on va voir ce que ça donne "

Les officiels CNDP affirment qu’ils continueront à administrer leurs territoires : la "fin de la guerre" déclarée solennement à Goma le 16 janvier ne concerne que les opérations militaires, selon eux. Pour le moment, on affiche la sérénité : les unités CNDP patrouillent – mais ne peuvent cacher leur amertume devant le retour des "ennemis" chassés l’an dernier à grands frais.

Si les troupes sont amères, les populations vivent dans la peur. "Inquiétude" est la réponse courante à Rugari quand on demande quelle est l’ambiance. "On ne comprend plus rien", dit un vieil homme. Mardi, l’armée rwandaise a défilé devant les villageois médusés, sans annonce préalable. Mercredi, c’étaient les FARDC. Jeudi, il y a eu un va-et-vient entre unités FARDC et patrouilles CNDP qui se croisent en prétendant ne pas se voir. Vous ne leur avez pas demandé ce qui se passe ? "Ce sont des soldats, dit le vieil homme, on ne leur pose pas de questions." Même le chef traditionnel de la région, le Mwami Paul Ndeze, roi des Hutus de Rutshuru, s’avoue dépassé. "Je ne comprends plus rien", dit-il. Les soldats affamés "vont manger la population", ajoute, grinçant, son adjoint.

Pour le Mwami, héritier d’une famille installée comme autorité traditionnelle par la colonisation belge, l’opération militaire annoncée contre les FDLR est vouée à l’échec. "Les Rwandais font la traque dans la brousse et les FDLR sont ici, sur la route, dans les maisons, en train de nous regarder !", martèle-t-il.

Effectivement, beaucoup de combattants hutus rwandais ont épousé des Congolaises hutues, fait des enfants congolais, pris des cartes d’électeur congolais. "Si on mélange le sucre et le sel, comment pourra-t-on ensuite les séparer ?", se demande le Mwami, redoutant que sa population fasse les frais de l’opération. Il craint aussi une recrudescence des guerres interethniques.

D’un coup, l’optimisme qui avait gagné une grande partie de la population du Nord-Kivu après l’annonce de la "fin de la guerre" s’est estompé. Même l’annonce de l’arrestation de Nkunda n’a pu relever son moral. "Cela ne va pas résoudre nos problèmes, dit un activiste des droits de l’homme. L’Histoire est en marche. Mais vers où ?"

 

La Libre

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