Liberation
07/02/2009
A la fin du mois d’octobre 2008, dans la province du Nord-Kivu à la frontière du Rwanda et de la république démocratique du Congo (RDC), un seigneur de la guerre du nom de Laurent Nkunda a en quelques semaines défait l’armée congolaise, provoqué une crise humanitaire, commis des violations des droits de l’homme (1), démontré l’inefficacité complète des 17 000 casques bleus de la Monuc (2) et mis échec et mat le processus de paix sponsorisé par la communauté internationale dans la région depuis 2002. Cet échec est plus qu’une simple péripétie malheureuse d’un processus de paix marqué par les violences : il met à nu l’enlisement de ce processus et surtout son inefficacité à traiter l’épicentre du «problème congolais», les Kivus.
Contrairement à une opinion très répandue, l’est congolais n’est pas victime d’un manque d’intérêt de la communauté internationale car celle-ci n’a pas lésiné sur les moyens pour promouvoir la paix dans une des régions les plus violentes de la planète. L’ONU y a déployé sa plus grande mission de maintien de la paix, l’Union européenne a organisé à deux reprises des opérations militaires (Artémis en 2003 et Eufor en 2006), les bailleurs de fonds ont mobilisé 4 milliards de dollars pour la reconstruction de la RDC et ce pays, avec le Soudan et l’Afghanistan, est l’un des points de concentration des ONG internationales dans le monde. Last but not least, un cortège d’envoyés spéciaux de l’ONU, l’Union africaine, l’UE, etc., circulent entre le Nord-Kivu, le Conseil de sécurité et les capitales européennes et africaines pour faire avancer la cause de la paix.
Pourtant le nombre d’accords entre belligérants et de réunions diplomatiques à haut niveau contraste fortement avec l’aggravation de la situation sur le terrain où les seigneurs de guerre mènent le jeu depuis plus de douze ans. Ce qui est en cause n’est pas le désintérêt des nombreux faiseurs de paix de la communauté internationale mais, au contraire, leur méthode qui a besoin d’être sérieusement repensée.
Loin de susciter un relèvement rapide de l’économie congolaise et une amélioration des conditions de vie des 60 millions de Congolais, la ruée des bailleurs de fonds et des ONG désorganise chaque jour davantage un Etat fantôme, miné par une corruption structurelle et incapable de remplir ses missions de base. Répartie de manière très déséquilibrée en faveur de l’est du pays, l’aide internationale laisse sombrer les autres provinces dans l’hyperpauvreté, intensifie les habitudes de captation et de dépendance solidement enracinées en RDC et infantilise la société civile congolaise.
Loin d’être dissuasive pour les seigneurs de guerre et de protéger les populations civiles, la Monuc est «congolisée». Malgré un budget annuel de fonctionnement de 1,2 milliard de dollars, plus de 17 000 hommes et des contingents dotés d’un équipement et un entraînement pourtant bien supérieurs aux milices d’enfants soldats, la Monuc donne l’impression d’un grand corps sans muscle, incapable et (ou) rétive à appliquer son mandat, laissant les civils être tués sans réagir autrement que par des communiqués de presse. Plus gravement, sa réputation a été ternie par plusieurs scandales sexuels et des affaires de corruption – jamais sanctionnées – impliquant les contingents indiens et pakistanais dans la contrebande d’or à l’est du pays. La Monuc est, du coup, un objet constant de moqueries mais aussi de colère pour les populations congolaises, qui n’ont pas hésité à manifester leur mécontentement par la violence en 2004 et en 2008.
Loin d’aboutir à des accords de paix durables, les nombreux parrains du processus de paix et la multiplication des forums de dialogue ont fini par former un véritable labyrinthe international où diplomatie officielle et diplomatie officieuse s’entrecroisent, où la rivalité entre les institutions, les Etats et les egos diplomatiques est de règle et où le système décisionnel international devient opaque. Pas moins de trois médiateurs (un pour l’ONU, un pour l’UA et un pour la Communauté de développement d’Afrique australe) sont mandatés pour résoudre la crise du Nord-Kivu, sans compter les émissaires secrets et les envoyés spéciaux déjà désignés.
Confrontée à d’importants problèmes de cohérence interne dans la gestion de ce processus de paix, la communauté internationale qui parraine les négociations en cours doit urgemment faire un travail d’autocritique pour réviser une méthode inefficace et réhabiliter la contrainte militaire, imposer une division du travail claire et effective au sein des négociateurs et des donateurs et essayer d’apporter des solutions aux problèmes particuliers d’une région qui combine hyperpauvreté, mauvaise gouvernance, luttes foncières et exploitation illégale des ressources naturelles. Paradoxalement, l’échec du processus de paix congolais, qui s’est traduit par 300 000 déplacés et un nombre encore indéterminé de morts au Nord-Kivu à la fin 2008, s’explique tout autant par le comportement des faiseurs de guerre que celui des faiseurs de paix qui doivent maintenant prendre des décisions courageuses s’ils veulent tenter de régler ce conflit au lieu de le geler – comme d’habitude.
(1) Très bien documentées par Human Rights Watch. (2) Monuc : mission des Nations unies au Congo.
Thierry Vircoulon chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
© Copyright Liberation