François-Serge MOTROT(*)
15/02/07
Le 17 mai 1997, les troupes de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) entraient dans Kinshasa d’où, deux jours plus tôt, s’était enfui sans gloire le très malade Maréchal-Président Joseph-Désiré MOBUTU. A 66 ans, l’ancien sergent de la Force Publique coloniale prenait le chemin d’un exil définitif, après 32 ans d’un règne sans partage sur ce qui était alors le Zaîre et qui allait bientôt recouvrer son ancien nom de République Démocratique du Congo abandonné en 1971. Le nouveau maître du pays se nommait Laurent-Désiré KABILA. Sans être tout à fait un inconnu, cet ancien maquisard reconverti en commerçant arrivait néanmoins tout seul, sans partisans et sans troupes, dans les bagages d’une armée étrangère, l’Armée Patriotique Rwandaise (APR). Celle-ci l’installa aussitôt dans le fauteuil du dictateur déchu et fit de Joseph KABILA, un de ses fils âgé de 23 ans, un commandant de l’armée de terre absolument improvisé.
La propagande kabiliste faisait alors croire que l’AFDL avait été fondée près d’UVIRA, au lieu dit LEMERA, dans la province du Sud-Kivu. En réalité, le pacte d’invasion de l’ex-Zaîre, sous le couvert d’une insurrection armée interne, en l’occurrence de la 5ème brigade des Forces Armées Congolaises (FAC) basée à Goma, avait été scellé avec KABILA en septembre 1996, à REMERA, un des quartiers de Kigali, la capitale rwandaise, très précisément au domicile du Major Dan MUNYUZA où le « MZEE » était aux petits soins depuis prés de six mois. Dan, aujourd’hui Colonel, était à l’époque responsable du « desk Congo » au sein de l’APR et avait reçu mission de réchauffer « le plat Kabila » trop longtemps resté au congélateur extra-révolutionnaire. Mais très vite, l’officier rwandais et ses chefs n’allaient pas tarder à s’en mordre les doigts, tant l’ingratitude jointe à l’insolence du rebelle mulubakat allaient se révéler hors normes : en effet, celui-ci, sans remords et sans regrets, n’hésita pas, aussitôt installé dans les meubles du « Léopard »édenté et dégriffé, à se soulager dans l’assiette où il venait de manger, puis à couper la main qui lui avait tendu le plat cuisiné.
Auparavant, pour être sûr qu’aucun obstacle ne viendrait entraver son irrésistible ascension vers les sommets du pouvoir, il avait fait expédier « ad patres » un de ses plus coriaces partenaires au sein de l’AFDL, le lumumbiste KISASE NGANDU, commandant des opérations en titre. Trois ans plus tard, il allait rééditer ce macabre exploit en faisant fusiller à PWETO, au Nord-Katanga, un autre partenaire politique au sein de la rébellion, le général shi MASSASU NNINDAGA. Il lui restait à en finir avec le dernier, le tutsi de Masisi BUGERA Déogratias qui, bien que réfugié en Afrique du Sud, ne dut son salut et ne se sentit vraiment rassuré qu’à l’assassinat providentiel de l’ogre de HEWA BORA.
Pour rendre à l’ingrat la monnaie de sa pièce, les stratèges de Kigali suscitèrent la création du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) qui prétendit vouloir rectifier les erreurs de l’AFDL. Il n’y parvint point, comme on le sait déjà. En effet, le mouvement du 02 août 1998, aujourd’hui moribond à la suite d’un cuisant échec électoral imputable à sa privatisation par Azarias RUBERWA, son actuel président, vit le jour également au Rwanda, plus précisément à KABUGA, à une trentaine de kilomètres de KIGALI. Il n’est donc pas étonnant qu’en l’espace de cinq ans, c’est-à-dire jusqu’en juillet 2003, le RCD ait usé trois Présidents et un Secrétaire Général – Ernest WAMBA dia WAMBA, Emile ILUNGA KALAMBO, Adolphe ONUSUMBA et Azarias RUBERWA – sa marge de manœuvre politico-militaire ayant toujours été extrêmement étroite, pour ne pas dire nulle.
Quant au MLC, son futur président-fondateur, Jean-Pierre Bemba, fut intercepté, fin 1998, à KAMPALA par les services de sécurité ougandais, alors qu’il se rendait à Goma. Au chef-lieu du Nord-Kivu et capitale du RCD, il allait rejoindre son corrégionaliste de l’Equateur, Jean-Pierre ONDEKANE, le chef nominal de l’armée rebelle. En effet, décidé à gagner de l’argent en s’associant avec le jeune opérateur économique auquel il apporterait la protection de l’armée, dans la plus pure tradition mobutiste, Jean-Pierre ONDEKANE avait fait coopter Jean-Pierre BEMBA, avec son accord, à l’Assemblée des Membres, c’est-à-dire au « Parlement » du RCD. A l’aéroport de Kampala, le Lieutenant-Colonel Noble MAYOMBO et le Colonel Kahinda OTAFIRE, les deux « kidnappeurs » ougandais du jeune voyageur kinois, eurent tôt fait de lui faire miroiter les avantages qu’il retirerait de l’appropriation de l’adage césarien selon lequel il valait mieux être premier dans un village que deuxième à Rome.
Salivant plus que le chien de Pavlov, le fils aîné de Jeannot BEMBA SAOLONA, l’ex-patron des patrons zaîrois, ne se le fit pas dire deux fois. Si bien que, du jour au lendemain, il se retrouva à la tête d’une nouvelle insurrection baptisée MLC, dont il était le seul et unique membre. Il fut convoyé en hélico jusqu’à Kisangani où le très controversé Général James KAZINI, proconsul ougandais de la place, lui offrit sur un plateau un bataillon UPDF en guise de « branche armée » de son mouvement. Il en serait désormais le « Chairman », en attendant qu’on lui recrute une armée formée de jeunes gens congolais et que répondent à son appel ses copains de la bourgeoisie kinoise, les KAMITATU Olivier, MWAMBA François, KANKU Dominique et autres NIMY frères. Cette prétendue insurrection armée se voulait rivale de celle de Goma, c’est-à-dire le paravent de l’immixtion ougandaise dans les affaires intérieures congolaises autant que l’autre masquait visiblement mal l’activisme rwandais en Rd-Congo. C’est pourquoi, pas plus que le RCD, le MLC ne disposa jamais d’assez de liberté d’action jusqu’au Dialogue Intercongolais de SUN CITY. La suite est trop connue pour qu’on doive s’y attarder.
Avec le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) du Général de Brigade Laurent NKUNDA MIHIGO, apparaît pour la première fois, depuis dix ans, une insurrection armée authentiquement congolaise, conçue, décidée et conduite depuis le territoire national, à la seule initiative de militaires et cadres nationaux et dans l’intérêt exclusif du peuple congolais. Cette insurrection armée n’est ni parrainée ni contrôlée par l’extérieur, elle n’est pas folklorique- si vous voyez ce que je veux dire- elle exerce, dès le départ, une réelle autorité sur une portion du territoire national et dispose d’une réelle capacité opérationnelle qui dispense ses éléments du port d’amulettes, de bidons d’eau et d’autres niaiseries prétendument anti-balles. Sa puissance de feu lui a permis de faire la démonstration de sa supériorité tactique et de faire échec aux forces gouvernementales lors des récentes confrontations de Sake, Mushaki, Karuba, Rubaya, Ngungu, Tongo, Nyanzale, Runyoni, Bunagana et Jomba dans lesquelles, de fin novembre 2006 à début janvier 2007, l’Etat-Major Général des FARDC avait engagé pas moins de 8 brigades dont 5 étaient censées avoir été brassées. Mais, aucun Chef militaire congolais ne sera assez fou pour l’avouer devant l’opinion, tant la nouvelle donne a eu pour effet de révéler l’étendue du désastre provoqué au sein de l’Armée par un programme de brassage totalement incohérent, inefficace et contre-productif. Raison pour laquelle le mouvement du Général Laurent NKUNDA l’a toujours récusé et combattu.
Par conséquent, à la suite de la défaite cinglante infligée sur ces divers champs de bataille aux FARDC par les troupes insurgées, le Gouvernement KABILA ne peut plus se voiler la face pour ne pas voir le CNDP. A la vérité, le programme de mixage actuellement en cours au sein des FARDC traduit le résultat du nouveau rapport des forces apparu à la suite des combats précités. Il s’agit d’un processus à l’évidence dicté par le vainqueur. Qui peut, d’ailleurs, être remis en cause à tout moment, si le Président KABILA et ses collaborateurs concernés ne remplissent pas leur part des engagements pris ou se livrent à des manœuvres dilatoires pour gagner du temps. En tout état de cause, ce gouvernement sera contraint de prendre acte de l’existence du mouvement, de constater son statut d’interlocuteur incontournable et de prendre en compte ses revendications dont l’essentiel est repris dans un cahier de Charges rendu public en octobre de l’année dernière.
Celui-ci insiste sur la nécessité de concevoir et de mettre en œuvre un programme concerté, cohérent, efficace et réaliste de formation d’une véritable armée nationale congolaise, différente de celle que l’on peut voir aujourd’hui ; la nécessité urgente et absolue de procéder sans délais à l’éradication du sol congolais des forces négatives que sont les FDLR/FOCA/Interahamwe rwandaises, l’ADF-NALU et la LRA ougandaises et le FNL-Palipehutu burundais ; la signature d’accords tripartites RDC-HCR-Pays d’accueil de façon à permettre le rapatriement et la réinsertion des réfugiés et des déplacés congolais dans leurs milieux respectifs ; la mise en œuvre du processus fédéraliste pour libérer les forces productives des Provinces prises en otage par la bureaucratie kinoise inhibitrice du développement. ; la pacification et la réconciliation interethniques ainsi que la lutte contre l’intolérance, le tribalisme, le racisme et la xénophobie ; l’amnistie des prisonniers politiques et d’opinion ainsi que le retrait pur et simple, si tant est qu’ils existent, des mandats d’arrêt arbitraires et sans fondement émis contre des chefs militaires du CNDP.
Somme toute, à l’opposé des deux rébellions précitées, le CNDP n’a pas pour objectif prioritaire de renverser les institutions issues des récentes élections, même si la manière dont celles-ci ont été organisées ne l’a pas convaincu, bien au contraire, et qu’en reconnaître les résultats est pour lui un pis aller. Néanmoins, si la situation venait à l’exiger, par exemple, si les nouvelles institutions devaient connaître un blocage tel que le fonctionnement normal et régulier des pouvoirs publics devait s’en trouver interrompu ou si le contenu de son Cahier de Charges venait à être traité par le mépris et mis sous le boisseau ou encore si l’exclusion, au lieu d’être vigoureusement combattue, devait se perpétuer par le fait des tenants du pouvoir, comme c’est le cas jusqu’ici, alors tout deviendrait possible, y compris l’emploi de la force comme recours ultime pour faire entendre raison aux politiciens imposteurs.
En attendant, le CNDP se satisferait de voir, du haut de ses positions sur les collines du Nord-Kivu, les nouveaux animateurs des institutions de la 3ème République bâtir une politique basée sur la promotion des valeurs essentielles auxquelles aspire le peuple congolais, à savoir : la réconciliation nationale et interethnique, la paix, la sécurité, la stabilité, la cohésion, l’unité, la solidarité, l’auto-prise en charge et le développement. Si une telle vision existe dans le chef des leaders de tous échelons récemment sortis des urnes et que la pratique politique au quotidien indique que la ligne suivie est celle de conduire le peuple congolais réconcilié vers le bien-être et le progrès, alors, bien évidemment, le CNDP s’inscrira dans le schéma politique traditionnel et jouera dans la cour de l’opposition jusqu’aux prochaines échéances électorales. Faute qu’il en soit ainsi, il faudra bien constater qu’il n’y a point d’autre solution que celle de contraindre les nouvelles Excellences à s’effacer et à céder la place (ndlr : le texte résume bien la position du CNDP telle qu’elle résulte d’un entretien de l’auteur avec son porte-parole).
(*) François-Serge MOTROT,
Journaliste free lance, Bâle/Suisse