RDC: “La population s’impatiente”

Marie-France Cros

26/04/07

population.jpgLes élections n'ont rien amélioré à la vie quotidienne, qui est même plus difficile. Va-t-on vers une explosion sociale ? Les avis sont partagés. Mais inquiets.

"La population s'impatiente." La phrase revient souvent dans la bouche de nos interlocuteurs à Kinshasa. "Depuis les élections, rien n'a changé. Sur certains points, c'est même pire qu'avant", jugent des employés, du personnel soignant, des chauffeurs, des fonctionnaires.

De fait. Depuis le week-end de Pâques, de nombreux quartiers de la capitale congolaise sont sans eau ni électricité. L'Assemblée nationale elle-même et, selon son président, Vital Kamerhe, "jusqu'à la Présidence", ont été privées de courant durant plusieurs heures au cours de la semaine qui a suivi.

Ni eau ni électricité

Pour le Kinois moyen – qui achète maintenant le dentifrice au centimètre posé sur sa brosse à dent, le matin, parce qu'il n'a plus les moyens d'investir dans un tube familial – c'est pire. Des "stations d'eau" ont fait leur apparition, où des bidons de liquide sont mis en vente. "Les gens vont dans des quartiers où il y a encore de l'eau et vendent là où il n'y en a plus , explique un sexagénaire. Mais il n'y a pas de contrôle de qualité. Est-ce de l'eau filtrée ou de l'eau du ruisseau ? Sans être sûr, on doit la faire bouillir."

Beaucoup de Kinois pauvres n'ont cependant pas assez d'argent pour acheter le combustible (généralement du charbon de bois) nécessaire et ils boivent donc "à la grâce de Dieu".

L'affaire a été évoquée à l'assemblée nationale qui – bien que désertée par l'opposition jusqu'à ce mardi, qui a vu une partie revenir siéger – a retenti de l'indignation des élus, qui ont convoqué les directeurs des sociétés nationales de distribution d'eau et d'électricité. Il en est ressorti qu'il n'y a pas d'eau par manque d'électricité pour les pompes; qu'il n'y a pas d'électricité parce que de violentes pluies ont endommagé un matériel vétuste; qu'en général les investissements d'entretien ne sont plus faits depuis des années. Et les deux responsables de renvoyer la faute à leurs prédécesseurs et d'annoncer des travaux.

Six heures pour rentrer

Il n'y a pas que cela qui exaspère les Kinois. Les rues, dont la campagne électorale avait promis la réfection, n'ont pas cessé de se dégrader et la saison des pluies – qui fait déjà régulièrement déborder égouts et latrines, non entretenus, ce qui répand la typhoïde – rend aujourd'hui le transport à Kinshasa à la limite du supportable.

Il est courant d'entendre des Kinois vous dire qu'ils ont mis 3 ou 4 heures – voire 6 – pour rentrer chez eux un soir de pluie. Il y a d'abord les embouteillages, provoqués par l'insuffisance d'artères de désengorgement du centre vers la périphérie, alors que la ville a doublé le nombre de ses habitants en quelques années. Puis il y a les trous : par temps sec, on les traverse ou on les contourne, ce qui ne fait que ralentir la circulation; par temps de pluie, on ne peut évaluer leur profondeur et il faut bientôt abandonner son véhicule et continuer à pied… Or, la ville s'étend sur quelque 40 km; il y a 25 km du centre aux quartiers populeux de Masina et Ndjili.

Explosion sociale ?

La possibilité d'une explosion sociale est dans toutes les têtes. Les diplomates insistent auprès du pouvoir pour la mise en oeuvre de projets de développement à forte utilisation de mains-d'oeuvre et à impact visible, mais ils se heurtent à la paralysie du gouvernement (voir LLB du 25-4).

D'autres sont dubitatifs. "Les gens vont continuer à protester individuellement, à critiquer. Mais la population n'a plus de leader en qui elle a confiance, elle ne sait pas vers qui se tourner. Et elle a été traumatisée par la violence de la répression au Bas-Congo en février (voir LLB du 25-4), note un journaliste kasaïen. Mais une surprise n'est pas à écarter."

"Tshisekedi ? Il est hors du pays et malade; et à Limete(1) tout le monde est frustré qu'il n'ait pas voulu que l'UDPS participe aux élections, où ils pensaient faire un gros score. Bemba ? Il est à l'étranger et sans lui, le MLC n'est qu'une coquille vide", note un Kinois.

La classe moyenne congolaise est cependant "de plus en plus frustrée , souligne un entrepreneur. Toutes les grosses affaires sont aux mains d'étrangers. Les cadres congolais ne profitent pas du système. La Belgique doit en prendre conscience; rappelez-vous qu'en 1958, vous n'avez pas vu venir l'indépendance."

(1) Commune de Kinshasa où habitent Tshisekedi et des cadres de son parti, l'UDPS.

 

 

La Libre

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