Kinshasa/Bruxelles, 5 juillet 2007 :
Les six premiers mois du gouvernement légitime de la République démocratique du Congo ont été plutôt décevants : le processus de paix est toujours en danger et la démocratie encore très fragile.
le dernier rapport de l’International Crisis Group, analyse les premiers mois du gouvernement du président Joseph Kabila et met en garde contre le risque de voir les progrès accomplis pendant la transition être remis en cause. Si la période de transition a permis d’unifier le pays et d’améliorer la situation sécuritaire sur une grande partie du territoire, les nouvelles institutions se caractérisent par leur faiblesse, des abus ou sont carrément inexistantes. L’armée intégrée est désormais à l’origine de la plupart des violations des droits humains, et une nouvelle crise se profile à l’Est du pays.
« Le gouvernement du président Kabila a reçu du peuple congolais un mandat très clair pour agir. Au cours de ces derniers mois, cependant, l’appareil d’État s’est rapidement paralysé, les réflexes autoritaires se sont renforcés et aucun progrès substantiel n’a été fait pour rétablir la paix dans les Kivus », estime David Mugnier, directeur du Projet Afrique Centrale de Crisis Group. « Le Président Kabila et son Premier ministre Antoine Gizenga doivent reconnaître les échecs des mois derniers et repartir sur de nouvelles bases, en donnant la priorité au dialogue, à un mode de gouvernance transparent et responsable et au renforcement de la coopération avec la mission des Nations unies (MONUC) et la communauté internationale ».
Le gouvernement doit également respecter les droits de l’opposition et ne plus avoir recours à la répression dans l’Ouest du pays, qui a largement voté en faveur de l’opposition. La sécurité de Jean-Pierre Bemba, qui est arrivé second lors du deuxième tour de l’élection présidentielle, doit être garantie de façon à ce qu’il puisse rentrer rapidement de l’exil auquel il a été contraint, suite au désarmement par la force de sa garde personnelle, dans la capitale, en mars dernier. Le Parlement, les tribunaux et les médias doivent être libres d’exercer leur pouvoir de contrôle afin d’éviter tout risque de dérive autoritaire.
Un accord de paix global pour les Kivus, donnant la priorité à la diplomatie et au dialogue est également nécessaire dans les plus brefs délais. Il reste encore beaucoup à faire pour faire de l’armée et de la police des forces compétentes et dignes de confiance, à même d’assurer la stabilité et de lutter contre l’anarchie, en particulier dans l’Est, dominé par les milices.
Afin d’éviter les tensions lors de la mise en œuvre du programme de décentralisation et la préparation des élections locales, le processus de consultation permanente entre le gouvernement central et les provinces doit être renforcé. Pour améliorer la gestion des ressources naturelles et favoriser la reprise économique, les conclusions et recommandations du groupe de travail sur la révision des contrats miniers doivent être rendues publiques et les contrats irréguliers annulés.
Les bailleurs de fonds doivent rester engagés et lier leur aide à l’adoption d’un cadre politique qui permette de relever les défis dans les domaines de la sécurité et de la bonne gouvernance. Ils doivent également faire pression pour que le gouvernement congolais prenne une initiative globale pour la paix dans l’Est et renforce sa coopération avec la MONUC, notamment dans les Kivus, où existe, à nouveau, un risque de guerre.
« Si le nouveau gouvernement ne parvient pas à construire un Congo différent, il va probablement continuer à être tenu pour une nuisance plutôt que comme une autorité légitime », estime François Grignon, directeur du Programme Afrique de Crisis Group. « Si aucun changement n’a lieu d’ici la fin de l’année, le soutien des bailleurs de fonds risque de se déplacer vers d’autres théâtres de post-conflits, et le Congo pourrait alors perdre les fruits du travail de consolidation de la paix mené ces cinq dernières années ».
Synthèse et recommandations
La tenue des élections en République démocratique du Congo a constitué une avancée notoire pour le processus de paix mais beaucoup reste encore à faire pour en retirer tous les bénéfices. S’il est peu probable qu’une véritable guerre reprenne, les violences au Bas-Congo et à Kinshasa début 2007, qui ont fait plus de 400 morts, et les nouvelles menaces de guerre dans les Kivus rappellent encore combien le pays reste fragile. Les relations entre le nouveau gouvernement et l’opposition ont connu une profonde détérioration, laissant entrevoir une possible dérive autoritaire du régime et des troubles dans plusieurs villes de l’Ouest du pays. Dans le même temps, les combats continuent dans l’Est entre des milices et une armée nationale, toujours très faible, avec pour conséquences le déplacement, chaque année, de centaines de milliers de civils, dont beaucoup meurent de faim et de maladie. Au lieu de rechercher le désengagement progressif des partenaires extérieurs, le gouvernement élu démocratiquement devrait plutôt favoriser la mise en place d’un système de gouvernance transparente et responsable, capable de stimuler le soutien de la communauté internationale. Il est urgent que le gouvernement congolais et la communauté internationale s’entendent sur un nouveau partenariat qui puisse faire avancer en profondeur les réformes en faveur d’une bonne gouvernance.
La transition fut, par certains aspects, un remarquable succès. Elle a permis d’unifier un pays divisé et d’améliorer la situation sécuritaire sur une grande partie du territoire. En dépit de nombreuses insuffisances, les six principaux groupes armés ont pu être intégrés dans une armée nationale. La Commission électorale indépendante est parvenue à organiser des élections provinciales et nationales, considérées par la plupart des observateurs comme relativement libres et crédibles. Au terme du processus, le premier gouvernement véritablement démocratique depuis 40 ans a pu voir le jour au Congo. Les troupes étrangères se sont retirées, et les relations avec le Rwanda, l’un des principaux acteurs de la guerre, se sont considérablement améliorées. Malgré tout, les nouvelles institutions sont caractérisées par leur faiblesse, des abus ou sont carrément inexistantes.
L’armée intégrée est désormais à l’origine de la plupart des violations des droits humains tandis que l’administration, notoirement corrompue, reste incapable de fournir les services sociaux les plus rudimentaires. Si la situation sécuritaire dans des zones telles que l’Ituri s’est améliorée, il n’y a pas eu de véritable progrès dans le désarmement des milices dans les Kivus, et de nouvelles tensions politiques sont apparues, surtout dans l’Ouest du pays, qui avait largement voté en faveur de l’opposition. Ayant choisi de recourir à la force plutôt que de rechercher une solution négociée avec ses opposants dans le Bas-Congo et la capitale, le gouvernement doit aujourd’hui faire face à l’hostilité profonde d’une partie de la population ; les risques de violences urbaines, voire de petits conflits localisés ne peuvent être totalement exclus.
Le gouvernement du président Kabila a reçu du peuple congolais un mandat très clair pour agir. Toutefois, l’opposition, qui a recueilli les voix de plus d’un tiers de l’électorat, a également un rôle à jouer dans la construction d’une véritable démocratie au Congo, gage de la stabilité du pays sur le long terme. En dépit d’efforts louables mais tardifs, pour accorder davantage d’espace à l’opposition au sein du Parlement, la capacité de cette dernière à jouer son rôle reste sérieusement compromise en raison du recours répété à la force contre ses partisans et du départ en exil de Jean-Pierre Bemba, le principal adversaire du président Kabila lors des dernières élections. La mise à l’écart quasi-intégrale de l’opposition des postes de gouverneurs alors même que l’opposition avait remporté les élections dans cinq assemblées provinciales est un autre signe des menaces qui pèsent sur le pluralisme politique. Rien ne garantit que, comme le prévoit la Constitution, des pouvoirs locaux forts, capables de gérer en toute transparence 40 pour cent des recettes fiscales nationales, puissent se mettre en place.
Pour reconstruire l’État et renforcer son autorité, le gouvernement doit consolider le processus démocratique, sans quoi il risque de se retrouver paralysé par des troubles récurrents, une impuissance quasi structurelle et un regain d’instabilité un peu partout dans le pays. Seul un changement dans le mode de gouvernance apportera la légitimité et la capacité de mobilisation nécessaires pour distribuer les dividendes de la paix dans tous les secteurs de la société.
Le gouvernement n’a toujours pas la capacité de contrôler l’ensemble du territoire national. Les principaux problèmes ne sont pas nouveaux : forces de sécurité indisciplinées, mal équipées se rendant régulièrement coupables d’exactions, maintien de plusieurs territoires à l’Est sous le contrôle de miliciens, risque de troubles civils et de violente répression dans l’Ouest là où l’autorité du gouvernement est faible. Tous ces problèmes sont liés : la faiblesse et le manque de neutralité des forces de sécurité nourrissent l’amertume de la population et permettent aux milices de continuer à prospérer. Créer une armée nationale et apolitique à partir des différents groupes armés et assurer la formation d’une police, capable de gérer de manière pacifique les manifestations en ville et d’assurer une véritable sécurité sont absolument nécessaires pour la consolidation de la paix.
Les bailleurs de fonds ont longtemps considéré que la réforme du secteur de la sécurité était un dossier purement technique. En réalité, les problèmes posés par la gouvernance et la sécurité sont par nature politique et doivent être traités comme tels. Jusqu’ici toutes les tentatives pour réformer la structure de commandement, la taille et le contrôle des forces de sécurité (notamment la Garde présidentielle constituée de 12 000 soldats) ainsi que la gestion financière du secteur ont été bloquées du fait d’une politisation excessive de ces dossiers et de la corruption généralisée qui règne au sommet. La logique de la transition était d’acheter la paix en offrant à tous les participants des postes financièrement intéressants. Cet arrangement a fonctionné mais au prix d’une impunité pour les auteurs de violations des droits humains et les responsables accusés de corruption, si bien qu’aujourd’hui, les réseaux clientélistes continuent d’imprégner l’État et l’armée et de bloquer les réformes nécessaires.
Pour avancer, il va falloir renforcer la gouvernance démocratique. Le gouvernement doit laisser l’opposition et les institutions – le Parlement, la presse et les tribunaux – faire leur travail. La réforme requiert une véritable volonté politique de mettre fin à l’impunité en procédant à la mise à l’écart, après enquête, des officiers de la police et de l’armée impliqués dans des crimes et en assurant l’indépendance des tribunaux. Le gouvernement doit également tenir ses promesses en allant jusqu’au bout des procédures de révision des contrats d’exploitation minière et forestière et en procédant à l’audit de secteurs clef tels que l’armée, les entreprises d’État et la Banque centrale. Les bailleurs de fonds doivent rester engagés aux côtés du Congo, en liant l’aide (qui représente plus de la moitié du budget) à l’adoption d’un cadre politique pour un nouveau partenariat avec les institutions congolaises, permettant de faire face aux défis de la consolidation de la paix.
RECOMMANDATIONS
Au gouvernement de la République démocratique du Congo :
Dans le domaine de la sécurité
1. Lancer, avec le soutien de la mission des Nations unies au Congo (MONUC) et en collaboration avec le Parlement et les institutions provinciales, une initiative globale pour la paix dans les Kivus, en donnant la priorité à la diplomatie et au dialogue sur l’action militaire. Cette initiative pourrait notamment comprendre :
(a) un volet diplomatique qui viserait à régler les problèmes bilatéraux à l’origine des tensions, la question des relations économiques transfrontalières ainsi que le retour des réfugiés et qui permettrait de rétablir intégralement les relations diplomatiques avec le Rwanda et l’Ouganda ;
(b) un volet politique qui se focaliserait sur la recherche de solutions durables aux tensions intercommunautaires et aux problèmes des conflits fonciers et qui renforcerait le rôle des institutions provinciales dans le règlement des tensions politiques locales ;
(c) un volet sécuritaire centré sur la question de la circulation des armes légères, l’intégration de l’armée, le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DR) des milices et des groupes armés étrangers ;
(d) un volet économique traitant des questions du contrôle local sur l’exploitation des ressources, qui inclurait des dispositions concernant les investissements étrangers et les contrats signés pendant la guerre et la promotion d’un environnement économique favorisant la stabilisation de ces provinces ;
(e) un volet concernant la justice transitionnelle, abordant le problème des crimes commis par tous les camps pendant et après la guerre et prévoyant des modalités pour la réconciliation intercommunautaire ;
(f) une campagne ciblée afin d’informer et de rassurer la population sur l’initiative de paix ; et
(g) un plan d’action, mis en place avec la MONUC, pour l’intégration des brigades mixées et des milices toujours actives.
2. Ratifier le Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs, rouvrir les ambassades à Kigali et Kampala et travailler ensemble pour mettre un terme aux menaces que font peser sur le territoire congolais la présence des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) et de la LRA (Lord’s Resistance Army).
3. Préparer un Livre blanc sur l’armée en concertation avec les parlementaires, la société civile et les bailleurs de fonds. Ce livre blanc devrait comprendre des dispositions concernant la création d’un organe d’audit indépendant et disposant de suffisamment de fonds ainsi que la nomination d’un médiateur chargé d’enregistrer les plaintes pour violation des droits humains. Les commissions parlementaires de sécurité et de défense devront pouvoir superviser la mise en œuvre des réformes.
4. Commencer la réduction graduelle des effectifs de la Garde présidentielle afin de la ramener au niveau d’une brigade et intégrer le reste de son personnel dans l’armée régulière plutôt que dans la police.
5. Ouvrir des enquêtes judiciaires pour déterminer les circonstances de la mort des civils et des membres des forces de sécurité au Bas-Congo et à Kinshasa en janvier et mars 2007. Suspendre immédiatement les officiers de commandement des unités impliqués dans des crimes.
S’agissant de la consolidation de la démocratie
6. Préparer un Livre blanc sur la justice et introduire au Parlement les lois organiques prévues par la Constitution pour que soient mis en place une Cour constitutionnelle et un Conseil supérieur de la magistrature. Renforcer les garanties pour l’indépendance de la justice.
7. Commencer les sessions de négociation et d’information avec les institutions provinciales pour tout ce qui concerne les transferts de compétences prévus par la loi sur la décentralisation, sur la redistribution des taxes nationales et la mise en place d’un fonds de péréquation ; mettre en place un forum permanent auquel participeraient le gouvernement national, les gouvernements provinciaux, les représentants du Parlement et de la société civile afin de discuter et de régler en amont les problèmes posés par le processus de décentralisation plutôt que de tout renvoyer au niveau de la Cour constitutionnelle.
8. Veiller à ce que les lois et règlements nécessaires à la mise en place de la décentralisation soient rapidement adoptés afin de limiter au maximum le risque de vide juridique lors de la mise en œuvre des transferts de compétences ; s’assurer que le Parlement adopte la loi organique sur la nouvelle commission électorale indépendante pour que cette dernière puisse commencer ses activités de sensibilisation sur les élections locales avant la fin 2007.
9. Rendre publiques les conclusions et recommandations du groupe de travail sur la révision des contrats miniers et maintenir un moratoire sur les nouvelles concessions forestières et minières jusqu’à la mise en place d’un organe de contrôle indépendant responsable du secteur des ressources naturelles.
10. Réaffirmer la volonté de travailler avec la communauté internationale ; présenter de nouvelles feuilles de route en matière de gouvernance et de réforme du secteur de la sécurité lors des prochaines rencontres du Groupe consultatif et du Groupe de contact ; créer un comité restreint – présidé par le Premier ministre et auquel participeraient les représentants du Parlement et de la société civile – chargé de travailler, avec l’aide des principaux donateurs, au règlement des problèmes qui se posent en matière de gouvernance et de sécurité.
Au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat et aux autres parlementaires :
11. Faire pression sur le gouvernement pour qu’il élabore des plans d’action globaux pour la paix dans les Kivus, en Ituri, au Maniema et au Katanga, en consultation étroite avec la MONUC.
12. Lancer un processus de consultation avec les différents départements ministériels concernés et les représentants internationaux en vue d’obtenir les garanties nécessaires au retour rapide à Kinshasa du sénateur Jean-Pierre Bemba.
13. S’assurer que le rôle du coordinateur de l’opposition et les droits des partis d’opposition soient respectés, de façon à ce que le pouvoir législatif exerce pleinement et de manière responsable son rôle de contrôle du pouvoir exécutif.
14. Faire pression sur le gouvernement pour qu’il améliore la gestion des ressources naturelles, y compris en décidant d’annuler les contrats illégaux ; étudier la possibilité de créer organe permanent de contrôle indépendant responsable de la gestion des ressources naturelles.
15. Entamer avec le gouvernement et le Parlement des discussions sur des plans de paix globaux, notamment pour les Kivus. Lier le soutien aux opérations de l’armée nationale (FARDC) à la mise en œuvre de ces plans.
Aux gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda :
16. Soutenir les efforts faits par les autorités congolaises pour prévenir une nouvelle crise dans les Kivus, de manière bilatérale et dans le cadre du mécanisme de la Tripartite +.
À la France, au Royaume-Uni, aux États-Unis, à la Belgique, l’Afrique du Sud, l’UE, la Chine et aux autres importants bailleurs de fonds :
17. Conditionner l’aide à la mise en place d’un nouveau comité de travail sur les défis posés par les problèmes de sécurité et de gouvernance. Dans ce comité, faire notamment pression pour :
(a) des initiatives globales en faveur de la paix dans l’Est, notamment dans les Kivus.
(b) un dépassement des différences d’approches pour ce qui concerne la réforme du secteur de la sécurité ;
(c) la mise en œuvre intégrale de la loi sur le statut de l’opposition, la tenue rapide d’élections libres et crédibles et la consulter de toutes les parties prenantes pour la mise en œuvre effective de la décentralisation.
18. Soutenir les efforts faits par le gouvernement pour améliorer la gestion des ressources naturelles, notamment en demandant aux entreprises de respecter les lois congolaises et nationales telles que la loi des États-Unis concernant la pratique de corruption à l’étranger (FCPA), ou la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.