“Nous n’avons pas de gouvernement. Nous n’avons pas de premier ministre”, dixit le député Kikwama.

Par Jean-Pierre Mbelu
12/10/07

kabila_and_gizenga.jpgO. Mise en route

Trop c'est trop. L'incompétence, l'amateurisme et la navigation à vue ont des limites qu'il ne faut pas, à un certain moment, dépasser. Plus d'un député congolais sortent de leur réserve pour fustiger l'irresponsabilité d'un gouvernement ayant franchi les limites du tolérable.

Le crash de l'Antonov 26 du jeudi 4 octobre 2006 a été une goutte d'eau faisant déborder le vase. Il a permis à ceux et celles d'entre nous ayant opté pour la politique de l'autruche de conclure comme Marie-France Cros de La Libre Belgique qu'au Congo, "l'Etat est un leurre". En effet, "outre la sécurité, l'affaire touche à une des pierres angulaires de l'absence d'Etat au Congo: les hiérarchies parallèles, qui détiennent le vrai pouvoir et agissent dans les coulisses, quand l'appareil d'Etat semble n'être destiné qu'à capter les regards extérieurs, sur le devant de la scène, agissant comme un leurre." (M.-F. Cros, Antonov tombé: polémique politique, dans La Libre Belgique du 10 octobre 2007)

Traitant de cette même question, un député de Kasangulu, Jean-Claude Mvuemba, affirme: " Il n'y a pas de ministres dans ce pays. Il y a seulement des femmes et des hommes qui occupent les bureaux des ministres." (Crash de Kingasani ya suka: les députés resserrent l'étau autour de Gizenga et Nkulu Kilombo, dans La Prospérité du 10 octobre 2007). Pour sa part, le député Kanku Bukasa ayant initié des questions orales sur la spoliation des espaces publics en vient à avouer que "la RDC est confrontée à une maffia organisée par des expatriés en complicité avec les Congolais sous l'œil complaisant du gouvernement".

Le réquisitoire le plus dur à l'endroit de l'Etat-manqué congolais est celui dressé par le député Gilbert Kiakwama kia Kiziki. Joignant sa voix à celles de tous les Congolais pour présenter ses condoléances aux familles victimes du dernier crash, Kiakwama crie: "Un deuil de plus, un deuil de trop. Une fois encore, nous sommes frappés par un drame d'autant plus révoltant que tous, nous savons qu'il était évitable. Une fois encore, des Congolais innocents viennent de perdre la vie, victime de l'incurie et de l'indifférence de ceux qui prétendent les gouverner. Une fois encore, les gouvernants défendent les intérêts de tout le monde sauf ceux des Congolais. (…) Massacre après massacre, scandale après scandale, drame après drame, le même schéma se répète. Quelques larmes, un peu d'agitation devant les caméras et puis plus rien. Tout reprend comme avant." S'adressant à ses collègues, Kiakwama avoue: "A chaque fois nous avons failli à notre devoir. A chaque fois nous avons failli à nos obligations de garants des intérêts du peuple congolais". Il est convaincu que "les méthodes du passé continuent, à un ou deux changements cosmétiques près. On répète les mêmes erreurs. On dénonce, sans agir. On se contente de demi-mesures et de faux-fuyants. Comme sous la 2ème République, nous sommes gouvernés de droit divin. Nous vivons dans un théâtre d'ombres. Ceux qui détiennent le pouvoir apparent n'ont pas la décision et ceux qui n'apparaissent pas détiennent le pouvoir réel. Bref, rien de nouveau sous le soleil".

 

I. Rappel historique

 

En effet, comme l'avoue Kikwama, les élections n'ont apporté rien de nouveau à notre pays. L'Etat-manqué est envahi par les dinosaures d'hier. Incapables de se convertir en démocrates, ils ont signé des pactes avec les nouveaux prédateurs pour que le pays soit gouverné "de droit divin", donnant ainsi raison à Guy De Boeck soutenant un jour qu'au Congo il y a plus de petits Mobutu que des Mutombo Dikembe!

Nous ne devrions pas nous leurrer: le mobutisme aura encore, pendant tout un temps, la peau dure au Congo.

Quand le député Kanku Bukasa estime que le Congo est confronté à une maffia organisée par des expatriés en complicité avec les Congolais, il reprend sans le citer le rapport des experts de l'ONU (de 2002) dénommé rapport Kassem. Ce rapport prouvait noir su blanc que les guerres d'agression successives imposées au Congo y ont déversé des réseaux d'élite de prédation. Les membres de ces réseaux ont infiltré toutes les institutions. La mise à l'index de la question de la double nationalité a été une manœuvre facilitant la survie de ces réseaux chez nous. (Vital Kamerhe a promis que cette question sera traitée 'avant longtemps'. Nous attendons!)

Quand le député Kiakwama soutient que les gouvernants congolais défendent les intérêts de tout le monde sauf ceux des congolais, il reprend à sa façon le titre du rapport (de 2006, avant les élections) d'une ONG néerlandaise (NIZA) "L'Etat (Congolais) contre le peuple". Ce rapport émettait des hypothèses de l'implication des gouvernants congolais dans le pillage du pays et affirmait que le vide éthique sur lequel cet Etat dressé contre le peuple s'édifiait était un handicap sérieux à la refondation d'une troisième République digne de ce nom.

Qui a lu ces écrits? Quelques initiés à une lecture exigeante. Où en a-t-on débattu? Dans de petits cercles d'amis. Qu'en a-t-on tiré comme leçons pour notre devenir collectif. Pas grand-chose. Que du temps perdu!

Un pays dont les gouvernants souffrent d'un déficit épistémologique criant et affichent un mépris insolant pour les choses de l'esprit et les élites intellectuelles honnêtes qui s'y adonnent mettra une éternité à se remettre sur les rails!

Revenons au texte de Kiakwama et aux remises en question des autres députés. S'il est établi que "les gouvernants défendent les intérêts de tout le monde sauf ceux des Congolais", et qu'ils sont complices de la maffia internationale, ils peuvent tout simplement être traités de traitres de la cause nationale. Un parlement ayant "à chaque fois failli à son devoir" ne devrait pas attendre que son mandat prenne fin pour que le peuple lui demande enfin des comptes.

 

II. Le peuple et "le petit reste"

 

Le peuple éveillé, aidé par "le petit reste", devrait initier des actions de désobéissance civique pour se débarrasser de ces traitres et de leurs caisses de résonnance parlementaristes. Les Congolais(es) partisan(e)s de l'insurrection des consciences devraient se mettre ensemble pour assumer leur "devoir de faire échec à (ce) groupe d'individus qui exerce le pouvoir en violation des dispositions de la Constitution du pays" (cfr art. 64) dont l'article 50. Son alinéa 1 stipule ce qui suit:" L'Etat protège les droits et les intérêts légitimes des Congolais qui se trouvent tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays".

Si comme l'avoue Kikwama, "la vérité est que nous n'avons pas de gouvernement ni de premier ministre", la conséquence logique serait que les figurants déguerpissent. Malheureusement, ce n'est pas à cette conclusion qu'arrive Kiakwama. Pourquoi? Les raisons sont multiples. Il y a aussi celle-ci: la perception de nombreux avantages à la fin du mois sans que rien de substantiel soit obtenu pour le peuple. Ceci est une constante de l'histoire du Congo. Depuis les indépendances jusqu'à ce jour, les gouvernants congolais, à quelques exceptions près, sont frappés pathologiquement par un égoïsme puéril. Nombrilistes, ils ne sont qu'au service de leurs ventres et de leurs familles biologiques. (cfr BEN-CLET, Apostrophe: le sacrifice). Il y a là une question éthique et spirituelle. A l'allure où vont les choses, la réponse à y apporter risque de prendre une éternité.

Les sceptiques peuvent lire le rapport (téléchargeable) sur les Biens mal Acquis tel qu'il a été rédigé à la Conférence Nationale Souveraine (cfr www.congoone.net) Ils remarqueront que les dinosaures mobutistes, évalués à plus ou moins 150 personnes, ont disposé, avec leurs familles et leurs proches, de 80 % de l'argent, des biens meubles et immeubles du Congo-Zaïre au grand dam des majorités de nos populations. Certains de ces messieurs et dames rejoints par les nouveaux prédateurs rivalisent d'ardeur pour un enrichissement sans cause.

Donc, en plus d'un audit sérieux  sur leurs crimes économiques, il y a comme une urgence pour le renouvellement sur le court, moyen et long terme de la classe politique congolaise. 'Le petit reste' ayant infiltré les institutions de la troisième République et les mouvements des résistants congolais vivant au pays et à l'étranger ont une contribution de taille à apporter à ce travail. Les bonnes intentions n'y peuvent rien. Seule la lutte libère! Celle-ci peut aussi aider à créer et recréer des associations citoyennes disposées à résister sur le temps pour refonder un nouvel ordre politique, une nouvelle façon de concevoir et de gérer le pouvoir. Cela à tous les niveaux de l'organisation de la vie spirituelle, socio-politique et économico-culturelle.

Comment faut-il procéder? Noam Chomsky nous indique l'une des voies à suivre : "Si l'on veut faire quelque chose, il faut se donner à fond, et s'y tenir jour après jour. Expliquer, organiser, militer. Voilà comment on fait changer les choses. Vous voulez une baguette magique, pour retourner dès demain devant la télé? Cela n'existe pas". (N. CHOMSKY, La doctrine des bonnes intentions, Paris, Fayard, 2006, p.48) Nous devrions apprendre au quotidien que "l'effort sérieux, dévoué, peut provoquer de gros changements dans les consciences et les esprits". (Ibidem, p.50) Cette idée dangereuse, les médias "coupagistes" et propagandistes, certaines élites néo-libérales, les vieux dinosaures, les nouveaux prédateurs et leurs réseaux d'élite au Congo cherchent à l'effacer de l'histoire.

Partisans de la navigation à vue, de l'accès immédiat et facile à la mangeoire, ils sont rebelles à tout travail méticuleux, exigeant du temps, de la patience et de la conscience. La légèreté avec laquelle le bureau du Parlement traite les questions qui lui sont proposées le prouve. "L'agenda parlementaire est surchargé nous dit-on, et pourtant la plénière ne se réunit que deux fois par semaine. Pourquoi? Le Gouvernement de la République travaille à peaufiner ses projets de loi. La session est budgétaire nous dit-on, mais pas de budget à l'horizon. Pourquoi? Le Gouvernement de la République travaille à faire approuver son budget par la Banque mondiale et le FMO. La séance hebdomadaire de question d'actualité…ça viendra! Les auditions des membres de l'Exécutif en commission…ça viendra! La moindre tentative de question orale ou écrite donne lieu à une foire d'empoigne monumentale qui, toujours accouche d'une souris. Quand à l'éventualité d'une interpellation…Ah! Une interpellation…voilà bien un rêve inatteignable! Bref, avoue Kiakwama kia Kiziki, tous les débats sont évacués à la va-vite. Toujours la Majorité couvre. Personne ne doit s'expliquer. Personne ne doit rendre de compte. Dormez bien bonnes gens. On s'occupe de vous."

Faut-il continuer à croire dans l'agitation de ces institutions-opium de nos populations ? La réponse ne peut être que N O N. Alors, Congolais(es), mettons-nous debout! Ces messieurs et dames ne plaideront jamais notre cause à notre place si nous les laissons faire en attendant les prochaines échéances électorales.

 

www.congoone.net

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