Luigi Elongui
(Afrique Asie Fevrier 2010)
En décembre dernier, Alain Doss, responsable de la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc), déclarait achevée la traque des rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) conduite par l’armée de Kinshasa avec le soutien des troupes onusiennes. Entérinée une semaine plus tard par une résolution du Conseil de sécurité, la décision cache mal la faillite de l’opération, dont l’objectif était d’éradiquer du territoire congolais les héritiers des génocidaires au Rwanda en 1994 et le rétablissement de la sécurité au Kivu. Cette région de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), frontalière du Rwanda, est ravagée par une kyrielle de conflits armés depuis 1993. Certes, la chaîne de commandement des FDLR a été déstabilisée, de nombreuses pertes ont été enregistrées dans leurs rangs et une partie de leurs bases est occupée. Mais ces gains militaires, finalement assez limités, sont à relativiser face au prix payé par la population de la région, prise en tenaille par les belligérants.
Les conditions de vie des habitants du Kivu ont empiré, y compris par rapport à fin 2008, quand les combats faisaient rage entre l’armée régulière et les insurgés congolais du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), ralliés depuis au gouvernement central après l’accord de paix signé en mars 2009. Les déplacés internes se chiffrent à plus d’un million et demi de personnes selon le Haut commissariat aux réfugiés, les viols de femmes ont augmenté, le nombre des villages pillés et des maisons brûlées se comptent par dizaines, alors qu’on estime à 1 500 les victimes civiles, pour la plupart tuées dans la zone frontalière, et 350 000 les réfugiés dans les pays limitrophes. Face à l’une des principales catastrophes humanitaires de la planète, l’absence dramatique d’État dans l’est de la RDC ne laisse pas d’espoir de solution à moyen terme de la crise pour les sept millions d’habitants de cette région tourmentée. Quant à la communauté internationale, mises à part ses déclarations d’intentions, elle semble davantage intéressée aux manoeuvres géopolitiques que soucieuse du bien-être des populations congolaises.
En effet, ni les retrouvailles congolo-rwandaises, scellées en janvier 2009 après onze ans de crise, ni la reprise des relations diplomatiques entre Kigali et Paris n’ont amélioré le quotidien des gens qui vivent leur lot de misère dans les camps, subissent la violence sexuelle, les attaques des groupes armés, le pillage des biens et les tracasseries d’une administration corrompue. D’autre part, les FDLR n’ont pas été anéanties et disposent à l’heure actuelle d’environ 4 000 combattants qui pratiquent une nouvelle forme de guérilla par petits groupes mobiles, particulièrement dangereux pour les civils. Or, la disparition de la scène politique de cette milice est la condition sine qua non du retour de la paix au Kivu, où elle ne constitue pas, pourtant, le seul problème. Armées au milieu des années 1990 avec la complicité de la France dans la perspective d’un renversement du régime installé à Kigali en juillet 1994, puis utilisées par Kinshasa contre ses mouvements rebelles, les FDLR ont survécu à la fin de ces enjeux grâce au soutien de certains membres de l’entourage présidentiel et de leur relais kivutiens.
Ceux-ci font du tribalisme leur fond de commerce politique en attisant la haine entre les communautés. Un discours xénophobe visant le Rwanda voisin, accusé d’être le cheval de Troie d’un prétendu projet de « balkanisation » de la RDC, est au fondement d’une haine virulente vouant aux gémonies les Congolais rwandophones de l’Est, considérés comme les exécuteurs de ce « plan machiavélique ». Nourri d’affabulations et soutenu par les négationnistes du génocide de 1994, cet ethnicisme néfaste a fait le lit du succès écrasant de Joseph Kabila, plébiscité par l’électorat kivutien, lors de la présidentielle de 2006. Et, bien plus que les problèmes fonciers ou les luttes pour la gestion des mines, il est à l’origine de l’instabilité et des violences. Dans ce contexte malsain de crispations identitaires et de milices ethniques, les FDLR ont un rôle à jouer et reçoivent, encore aujourd’hui, des aides matérielles venant de la famille politique du chef de l’État via certains officiers d’une l’armée qui est censée les combattre !
La tragédie des populations n’aura pas terme avec l’actuelle classe politique. Pourtant, d’autres foyers de tensions similaires (dans l’Équateur, au Bas-Congo, en Ituri) risquent de porter atteinte, tôt au tard, à l’unité nationale. Aujourd’hui animés par un fort sentiment antigouvernemental, les Kivutiens n’attendent plus rien de Kinshasa, et le ralliement du CNDP au pouvoir pourrait se révéler fragile. Visiblement l’heure des turbulences n’est pas terminée en RDC.
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