L'Humanite
12/06/2007
Rwanda 1994 . Des témoignages corroboreraient les accusations de trafic d’armes et d’intervention de militaires français en faveur du camp génocidaire.
La commission créée par Kigali et présidée par Jean de Dieu Mucyo, ex-ministre de la Justice, concernant le comportement des autorités françaises lors du génocide perpétré au Rwanda en avril-juillet 1994 a entamé au printemps sa troisième phase d’auditions, consacrée essentiellement aux expatriés. Selon des informations ayant filtré du huis clos, les témoignages confirmeraient certaines accusations déjà formulées : ventes d’armes clandestines et intervention directe de militaires français au côté des FAR (forces armées rwandaises) et des milices Interahamwe, fer de lance des massacres.
Trafic d’armes. Martin Marschner von Helmreich, hommes d’affaires allemand, était alors en liaison avec la Caisse centrale de réassurance (CCR, organisme couvrant des risques allant des calamités agricoles à ceux de l’armée française à l’étranger) avec laquelle il avait signé une convention de courtage financier faisant de lui l’un des principaux partenaires de cette instance dépendant du Trésor public.
Il assure que, le 29 août 1994, la CCR l’informait avoir « perdu » un milliard des francs français appartenant à sa filiale Rochefort Finances. Quinze jours plus tard, le trou était comblé par le Trésor public sans que la moindre explication ne soit donnée. Une partie des fonds détournés aurait transité par la BNP et servi à l’achat d’armes à destination des forces génocidaires. « Ce qui est intéressant, insistait-il devant la commission, c’est de constater que moi, qui cherche où est parti l’argent de mes clients, je tombe sur un numéro de compte à la BNP et que vous, qui cherchez d’où est venu l’argent qui a financé les livraisons d’armes aux FAR, vous tombez sur le même compte… » À la direction de la CCR de l’époque, « tous savaient (et) ont agi en connaissance de cause », accuse Martin Marschner, concluant à une implication financière directe de l’État français dans la guerre civile.
De son côté, le colonel belge en retraite Walter Ballis, ancien officier de la MINUAR (casques bleus), affirmait que des soldats français, « déguisés en civils », étaient restés au Rwanda après que leur contingent avait quitté officiellement le pays à la mi-décembre 1993. « Notre cellule des renseignements faisait état des camps d’entraînement où des instructeurs français apprenaient aux Interahamwe des éléments de combat et de la guerre », ajoutait-il. Accusation également formulée par Pierre Jamagne, coopérant belge au Rwanda entre 1991 et 1994 (projet de carte pédologique), se faisant par ailleurs l’écho de témoignages concernant des livraisons d’armes aux FAR alors que ceux-ci évacuaient le pays, donc jusqu’au dernier moment du génocide. Enfin il déclarait que lui-même et ses collègues avaient vu, deux ans plus tôt (mai 1992), des militaires français en tenue de combat « se diriger vers la ligne de front dans le nord du pays ». Notamment dans les secteurs de Byumba et Ruhengeri, précisait-il.
Jean Chatain
édition du 11 juin 2007.
1er édition