Le Potentiel
29/03/07
L’heure est toujours aux leçons à tirer sur les derniers événements graves qui se sont déroulés à Kinshasa. Il s’agit bien sûr des combats meurtriers entre les éléments des FARDC et ceux de la garde rapprochée de Jean-Pierre Bemba. Aldo Ajello, ancien envoyé spécial de l’Union européenne sur la région des Grands Lacs vient de faire sa lecture sur ces graves incidents. Il n a pas du tout mis des gants. Une réaction interprétée en sens divers au sein de la population congolaise pour avoir accompagné le processus de transition jusqu’au bout.
Aldo Ajello, ancien envoyé spécial de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs vient de faire sa lecture sur les combats de Kinshasa des 22 et 23 mars 2007. Combats qui ont opposé les forces des FARDC à ceux de la garde rapprochée de l’ancien vice-président de la République, Jean-Pierre Bemba.
Certes, rejoignant les ambassadeurs de l’Union européenne près la République démocratique du Congo, Aldo Ajello a exprimé toute son indignation devant l’ampleur des dégâts. Il a également déploré la réaction disproportionnée du gouvernement qui a usé de la voie militaire alors que des négociations n’étaient pas exclues.
Cependant, Aldo Ajello n’a pas du tout été tendre envers les FARDC, accusant cette armée « des pilleurs, des violeurs ». Il a également fustigé la violation de la Convention de Vienne par le fait des éléments armés en violant l’espace des misions diplomatiques. Ce qui, pour lui, est extrêmement grave et insiste pour que les responsables de ces actes soient jugés et punis car, c’est « l’impunité qui demeure le cancer en République démocratique du Congo ».
Auparavant, Aldo Ajello avait insisté sur le fait que cette situation était prévisible et il n’était pas du tout surpris. Il a relevé que la période électorale a été marquée par des propos incendiaires, surtout de la part de Jean-Pierre Bemba, des propos à la limite des insultes à l’endroit du président Kabila. Ce qui a fait accumuler les frustrations et la tension. Aussi, les faucons de l’entourage du chef de l’Etat n’attendaient qu’une occasion pour se « venger », a-t-il reconnu.
Quant à Jean-Pierre Bemba, il a précisé qu’il s’est toujours comporté en « chef de guerre », donnant l’impression de n’avoir pas d’obligations vis-à-vis du gouvernement. Et c’est l’explosion.
PROPOS SURPRENANTS
Pour certains observateurs, ils apprécient autrement les propos de l’ancien envoyé spécial de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs. Certes, il a raison d’exprimer toute son indignation et d’affirmer que ces affrontements lui font mal au coeur.
Cependant, pour avoir accompagné le processus de transition, pris une part active dans le processus électoral, il a une part de responsabilités dans ce dérapage pour avoir conseillé durant tout le processus de transition, tous les acteurs politiques congolais. S’il a toujours relevé que le problème en RDC est l’armée, des efforts devraient être concentrés dans ce domaine, mobiliser tous les partenaires impliqués dans ce processus pour accélérer justement le processus d’intégration de l’armée afin d’éviter ce genre de dérapage que l’on déplore aujourd’hui.
L’intégration de l’armée devrait être une priorité et non les élections. C’est le contraire qui s’est passé et les effets négatifs sont là.
A moins que l’ancien envoyé spécial, de par ses déclarations, accuse ouvertement les principaux animateurs du processus de la transition de n’avoir pas fait preuve de lucidité politique, refusant ainsi de s’impliquer correctement dans le processus d’intégration de l’armée. On pourrait s’empresser de dire que le travail ayant été fait à moitié, les répercussions sont toujours fatales.
Certes, ce sont les dirigeants congolais qui en sont les premiers responsables pour autant qu’il leur revient d’assurer et d’assumer le destin de leur propre pays. N’empêche que les propos d’Aldo Ajello ressemblent à de l’huile que l’on vient de jeter sur le feu, surtout de la part de l’une des plus importantes personnalités qui ont accompagné le processus de transition en RDC. Ils sont surprenants. Il se disait satisfait, nonobstant quelques incorrections constatées ici et là.
Cette lecture sévère surprend plusieurs observateurs qui saluent tout de même son souhait de voir instaurer un dialogue entre Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba.
Aldo Ajello : « Je réagis avec beaucoup d’indignation et je ne suis pas surpris »
Dans une interview accordée à Radio France internationale, Aldo Ajello a fait la lecture de derniers combats de Kinshasa. Entretien.
Rfi.- Comment réagissez-vous aux derniers événements meurtriers de Kinshasa ?
Aldo Ajello : Je réagis avec beaucoup d’indignation et c’est un grand malheur pour moi. Mais je ne peux pas dire que je suis entièrement surpris. Parce que le feu couve depuis longtemps. C’est-à-dire, pendant la campagne électorale, les tons qui ont été utilisés, surtout de la part de Bemba, ont été très durs, très agressifs, et à la limite très insultants vis-à-vis du président Kabila. Donc, il y a eu une accumulation de frustration et de tension. Et cela a explosé de façon très irrationnelle et à la mesure d’une armée qui n’a aucune discipline, qui n’est pas payée, une armée de pilleurs. D’ailleurs, ils se sont immédiatement lancés dans les pillages, dans l’agression, dans le viol. Il y a certainement autour du président de la République des faucons qui n’attendaient qu’un moment pour prendre leur revanche.
De la part de Bemba, il y a eu aussi une tendance de continuer à se considérer comme chef de guerre qui n’avait pas d’obligation vis-à-vis du gouvernement. Mais la réaction de l’armée, comme d’ailleurs, cela est exprimé très bien dans le communiqué des chefs de mission de l’Union européenne, a été absolument disproportionnée et tout à fait inacceptable. Le fait qu’ils ont violé l’immunité diplomatique, ils sont rentrés dans une ambassade, une résidence de l’ambassadeur, celui de l’Italie, ils ont tiré sur d’autres ambassades, enfin c’est quelque chose d’inouï qu’on ne peut pas tolérer. Il faut réclamer que les gens qui sont responsables de ces actes soient punis immédiatement. Il faut arrêter cette histoire de l’impunité. L’impunité est le cancer qui est en train de dévorer le Congo.
Pour justifier l’intervention des forces de l’ordre la semaine dernière, le président Kabila dit qu’ une milice avait pour objectif de s’en prendre au siège des institutions et avait pour but de contrôler la capitale, et c’est à cela qu’il fallait à tout prix rétablir l’ordre…
C’est évident que Bemba se comportait un peu en chef de guerre. Il voulait garder ses gens armés. De là, à dire qu’il se préparait à s’emparer de la ville de Kinshasa, il y a un bout de chemin à parcourir. D’autant plus que d’un côté, on avait un groupe de miliciens, 500, 1000 à peine, et de l’autre côté, il y a une garde républicaine de 10 mille hommes. Si Bemba avait une vocation superbement suicidaire, il aurait pu envisager d’aller occuper la ville de Kinshasa. On ne va pas occuper la ville de Kinshasa avec 1000 hommes contre 10 mille. Donc, je ne crois pas que cela soit le vrai problème même si certains des conseillers du président ont élaboré cette théorie. C’est tout à fait inacceptable qu’il y ait une milice armée en pleine ville. Donc, on ne doit pas réagir à cela, et on doit arriver à un affrontement militaire qu’après avoir exploité toutes les possibilités de discussion et de négociation ».
Aujourd’hui, Jean-Pierre Bemba est réfugié dans l’ambassade de l’ Afrique du Sud à Kinshasa. Il est poursuivi pour haute trahison. Il est donc mis hors la loi. Qu’en pensez-vous ?
Je crois que la chose la plus logique serait, et le président de la République devrait y réfléchir un moment, de récupérer l’atmosphère de coexistence pacifique entre les deux. Tenant compte de Bemba, même s’il n’a pas gagné les élections, il en est sorti avec plus que 40%. On devrait essayer de restaurer un peu un dialogue démocratique entre les deux. D’ailleurs, quelque chose avait déjà commencé, et c’est vraiment dommage que ces événements se soient produits. Parce qu’après le malheureux résultat de l’ élection du bureau de l’Assemblée nationale au terme de laquelle la majorité a tout ramassé, rien laisser à l’opposition, le nouveau président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, avait démontré assez de sensibilité à ce problème. Il avait déjà commencé à négocier avec le chef du groupe parlementaire du MLC, M. François Mwamba, pour qu’on remette à l’opposition un certain nombre de présidents des commissions parlementaires, de créer un espace politique pour l’opposition.
Et si Jean-Pierre Bemba n’est pas réintroduit dans le jeu politique, craigniez-vous une reprise de la rébellion dans l’Equateur ?
Je ne veux pas penser à cela parce que c’est un scénario très négatif. Je crois que le MLC est quand même une force politique importante avec 42 % de suffrages populaires, on ne peut pas le chasser du jour au lendemain et revenir au parti unique. Ca ne sera jamais accepté.
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