Colette Braeckman
06/09/08
La campagne électorale vient de s’ouvrir, les élections législatives sont prévues pour le 15 septembre. Quel sens donnez vous à ce scrutin ?
Il s’agît d’un processus démocratique. Les Rwandais, après l’histoire terrible qu’ils ont vécue, ont le droit de choisir librement et régulièrement leurs dirigeants. Ces élections vont aussi permettre aux citoyens de sanctionner les performances de leurs élus, de mesurer le travail fourni par les partis. Pour le FPR en particulier, ce sera l’occasion de mesurer le chemin parcouru dans notre environnement politique.
Il y a cinq ans que vous avez été élu à la tête de l’Etat. Quel est votre propre bilan ?
Lorsque je regarde en arrière, que je considère non pas ce que j’ai fait moi-même, mais bien le gouvernement, les élus et tous les Rwandais, je constate que ce pays a bataillé, travaillé très dur et que les résultats ont dépassé nos espérances. Certes, bien des problèmes subsistent, il y en a même beaucoup mais quand on voit tout ce qui a été fait, dans le domaine social, économique, politique, je crois que nous avons vraiment fait de notre mieux. Plus important, nous gardons l’esprit ouvert, nous analysons ces divers processus et essayons de tirer les leçons des erreurs qui ont été commises.
Parfois, immergés que nous sommes dans les problèmes, nous pensons que nous n’en avons pas fait assez, mais des gens qui viennent de l’extérieur sont surpris et admiratifs des changements qu’ils constatent.
Quelles seront vos prochaines priorités ?
Toutes nos priorités découlent de la réalité du Rwanda : il s’agît toujours d’un pays pauvre, sous développé…C’est au Parlement qu’il appartient de harceler le gouvernement pour qu’il atteigne ses objectifs.
Nous avons concrétisé nos projets dans ce que nous appelons la vision 20/20. Notre ambition, c’est de sortir ce pays de la pauvreté. Nous voulons qu’en 2020, le Produit intérieur brut soit de 900 dollars par citoyen. Si possible, nous aimerions même devancer cette date, aller plus vite encore.
En novembre 2007, la Commission chargée d’établir l’implication de la France dans le génocide vous remettait son rapport, après 18 mois d’enquête. C’est en août 2008 que, finalement, vous avez pris la décision de le publier. Pourquoi ce délai ?
De toutes façons, il n’a jamais été question de ne pas publier ce rapport. Cela devait se faire. Mais nous avons pris le temps de le lire attentivement, de discuter de son contenu en Conseil des Ministres, de bien le comprendre, de prévoir les questions qui pouvaient se poser, les réponses à y apporter. Nous devions aussi réfléchir aux implications, entre autres diplomatiques qui allaient en découler, prévoir la suite que nous allions donner à ce rapport. Au cours des réunions ministérielles, nous avons parfois du donner la priorité à d’autres questions plus urgentes, postposant ainsi par trois fois l’examen du rapport.
Quelles suites peut – on attendre ?
Nous attendons que les gens prennent connaissance de ce document, le lisent, le comprennent. Nous attendons que les Français et ceux qui sont proches d’eux expriment leurs réactions. Depuis que le document est diffusé, nous constatons aussi que davantage d’informations nous parviennent. Des gens qui s’étaient tus jusqu’à présent confirment ce que nous disons et nous apportent des faits nouveaux, des éléments supplémentaires. Même moi qui connaissais un certain nombre de choses sur ce sujet, j’en apprends encore ! Je crois que la Commission a travaillé de manière très professionnelle.
Evidemment, nous attendons désormais la réaction des Français eux-mêmes, ce qu’ils ont à dire. Certes, j’ai déjà entendu des réactions à la radio, où les intervenants balayaient ce rapport sans plus. Mais ce que nous attendons réellement, c’est que la France en tant que telle, à travers ses institutions, son gouvernement, examine sérieusement les points qui ont été soulevés dans ce document. Comment ils vont le faire, et quand, cela dépend d’eux. Ile ne peuvent pas tout simplement écarter ce rapport, d’autant moins que de nombreux points avaient déjà été soulevés par la mission d’enquête parlementaire qui avait été organisée en France même voici dix ans. Les conclusions qui avaient été données à cette enquête étaient ridicules, mais le travail d’investigation, lui, avait été bien fait.
De toutes façons, les conclusions de notre rapport ne sont pas de celles qu’un gouvernement, que des institutions démocratiques, peuvent écarter aussi facilement, en assurant qu’il ne s’agît que du Rwanda, d’un petht pays en Afriqud„ Le second point à propos du rapport est d’ordre judiciaire. Nous examinons la question et voyons, avec noc conseillers, comment les responsabilités peuvent être établies.
A l’aveniR, les juges rwandais pourraient ils émettre des mandats d’arrêt à l’égard des personnalités françaises citées dans le rapport ?
C’est une possibilité que nous entisageons et pour laquelle nous demandons L’avis de spécialistes..
D’aillEurs sur le plan judiciaire, les Fran§ais ont átabdi un précédent. Si eux l’ont fait, -lancer des m`ädats d’arrêt contRe des dirigeants rwandais-nous pouvons le faire aussi à leur égard.
Jusqu’à présent, de telles démarbhes allaient toujours dans le même sens, depuis le Nord vers le Sud, et je ne vois pas pourquoi cela devrait continuer de la sorte. Il n’y a pas deux justices, l’une qui serait appliquées à l’Ouest et étendue ensuite au reste du monde, et une autr% *ustice qui serait réservée aux pays en développement. Quand i, s’agit d’enjeux internationaux, il faut garder à l’esprit que les hommes sont tous égaux. En tous cas, des gens comme nous$ qui nous sommes battus pour nos droits, c’est ce que nous pensons.
Pourriez vous charger Interpgl de mettre en œuvre des mandats d’arrêt contre des ressortissants français ? Je ne peux rien dire de certain dans ce sens. Je laisse les inst!nces judiciaires décider et Opérer dans les cadres légaux apprmpriés.
Une solution Aolitique pourrait-elle encore être envisagée avec la Francd, grâce par exemple à Bernard Kouchner qui reviendrait à Kigali. Ou bien êtes vous décidé à aller jusqu’`u bout ?
Rien n’est encore figé, ni dans un selr ni dans l’autre. Dans ce monde, ce n’est pas comme çà que les choses se passend
Je veux garder l’esprit ouvert et observer.
a questaon désormais est du ressort dEs instances judici!ires ainsi quE de l’opinion publique, et je ne peux préjuger de la suite.
En ce qui concerne un éventuel « arrangement particulier » qui pourrait être pris avec Bernard Kouchner ou avec le président Sarkozy, je crois que dans une situation comme celle-ci, c’est très difficile, les choses sont allées trop loin. En fait, ce sont les Français eux-mêmes, par leur attitude, qui ont rendu tout cela beaucoup plus difficile.
Dans cette épreuve de force engagée avec la France, avez-vous obtenu le soutien de l’Union africaine ?
Certainement, nous sommes très soutenus. L’appui que nous avons obtenu est également révélateur des relations qui existent entre l’Occident et les pays pauvres de notre continent. En fait, on nous a appuyés à cause de la gravité des faits eux-mêmes, mais aussi parce que beaucoup de ces pays ont connu des cas comparables. Mais jusqu’à présent, ils n’avaient pas osé exprimer leurs griefs publiquement. Soit parce qu’ils étaient trop faibles, soit parce qu’ils avaient peur des conséquences graves que cela pouvait entraîner. En effet, les pays, la France ou d’autres pays, qui avaient perpétré ces injustices pouvaient faire pression sur eux ou même leur faire perdre le pouvoir à leurs dirigeants…
En ce qui nous concerne, nous avons pu exprimer nos griefs et cette affaire aura un suivi. Il ne s’agît pas seulement de mandats d’arrêts qui pourraient être délivrés contre des ressortissants français…
Le problème que nous avons soulevé à la suite des mandats d’arrêt délivrés par le juge Bruguière puis par le juge espagnol à l’encontre de dirigeants rwandais est beaucoup plus sérieux, il affecte les relations entre l’Afrique et l’Union européenne, il sera discuté à l’Assemblée générale de l’Onu. Il s’agît d’une question de justice internationale, la question est de savoir comment des juges européens, agissant à titre individuel, peuvent ainsi abuser de la justice et agresser d’autres pays, alors que l’inverse n’est pas vrai. Je suis d’ailleurs certain qu’il y a d’autres cas que le nôtre, d’autres agressions menées par des pays de l’Ouest contre l’Afrique…
La question qui est ainsi posée dépasse de loin les relations entre le Rwanda et la France, c’est un débat très intéressant…
Vous êtes souvent présenté comme « l’ennemi de la France ». Vous considérez vous comme tel ?
Ce n’est pas exact. Je ne suis pas du tout l’ennemi du peuple français, je fais la différence entre un groupe de gens qui, en France, a été complice du génocide et l’ensemble de la population française que je ne tiens pas pour responsable. Il est certain que je suis l’adversaire de ceux qui, dans le passé, ont soutenu les injustices commises à l’encontre de mon pays ou qui aujourd’hui encore n’y voient rien à redire. Mais ce sentiment ne vise pas le peuple français lui-même. La distinction est claire.
Ce que je demande, c’est une reconnaissance des actes qui ont été commis et il ne s’agît pas d’une éventuelle compensation financière. Même en supposant qu’ils nous donnent 10 milliards d’euros, croyez vous que cela effacerait la mort d’un million de citoyens rwandais durant le génocide ? Le dommage est incalculable…
Participerez vous au sommet de la francophonie au Québec cet automne ?
Moi non, je n’irai pas, mais il y aura une présence rwandaise, très certainement, le Premier Ministre fera le voyage.
Je constate que vous ne parlez toujours pas le français…
C’est tout à fait exact. Mon français est toujours mauvais et comme dans ces réunions de la francophonie il n y a pas de traduction, je risquerais d’être perdu. Aussi je préfère ne pas y aller…
Que vous inspire le geste de l’Italie, qui va rembourser 5 milliards de dollars à la Libye, au titre de dédommagement pour la colonisation ?
Ce geste ouvre un débat très intéressant, car il s’agit de reconnaître et réparer les injustices commises durant la période coloniale. Or ces injustices là étaient beaucoup, beaucoup moins graves que celles qui ont été commises par d’autres puissances coloniales, la France ou la Belgique, ce n’est pas comparable. Théoriquement, sur cette base là beaucoup de pays d’Afrique pourraient ouvrir un débat, le Rwanda, en principe, pourrait se tourner vers la Belgique…
La Belgique a-t-elle joué un rôle de médiateur dans votre conflit avec la France ?
Non, elle a simplement fait office de boîte aux lettres, puisqu’il n’y avait plus de représentation diplomatique française à Kigali. Avec les Belges, nous n’avons pas de problèmes…
Un incident a cependant eu lieu récemment, lorsque la Ministre des Affaires étrangères rwandaise et sa délégation qui se trouvaient sur le point de quitter Kigali pour Bruxelles ont annulé le voyage en dernière minute : les Belges nous avaient fait savoir qu’ils seraient dans l’obligation d’arrêter l’un des membres de la délégation, le chef de la sécurité, car il figurait sur la liste des 40 personnes visées par le mandat d’arrêt délivré par le juge espagnol. Nous avons estimé que ce n’est pas aux Belges qu’il appartient de composer notre délégation. Nous n’acceptons pas qu’on décide à notre place, qu’on choisisse nos leaders ou bien les membres de nos délégations…
Mais dans cette affaire, la Belgique était obligée d’appliquer le mandat espagnol, elle n’avait pas le choix…
Ici, les Belges se sont crus obligés de croire le juge sur parole, sans même vérifier ses allégations, sans entendre notre version des choses… Tout cela pose un vrai problème au niveau de l’Union européenne, un problème qui mérite d’être sérieusement examiné. D’ailleurs tous les pays n’interprètent pas ces directives européennes de la même façon… Nous avons stoppé toute la délégation, car pour nous, si un de ses membres est attaqué, c’est comme si le pays lui-même l’était. C’est une question de dignité.
Certains hommes d’affaires et investisseurs belges qui se trouvent au Rwanda ont des problèmes avec la « Rwanda Revenue Authority »,l’institution chargée de percevoir les impôts. Certains songent à quitter le pays, d’autres se demandent si les Belges sont encore les bienvenus au Rwanda ou si on les décourage au profit d’autres partenaires…
Ma réponse, c’est que nous avons plus de problèmes avec ces Belges là qu’avec n’importe qui d’autre ! Le seul fait qu’ils soient ici démontre déjà que nous n’avons rien contre eux.
En fait, leur mentalité est faussée : ils considèrent encore le Rwanda à travers des lunettes héritées du passé, ils pensent que parce qu’ils sont au Rwanda et qu’eux sont des Belges, ils peuvent faire ici tout ce qu’ils veulent !
Des Belges ont été engagés ici pour construire des maisons, nous les avons choisis car ils avaient bonne réputation en Belgique. Mais ici, les maisons qu’ils ont construites ne correspondent pas aux normes, nous l’avons fait constater par plusieurs experts et si vous voulez vous pouvez aller constater cela vous-même. Ne croyez pas que nous visons surtout les Belges : si les Chinois, les Américains ou d’autres ne respectent pas les termes des contrats, nous annulerons ces derniers, de la même façon…Nous avons parfois l’impression qu’ils pensent que ces constructions, qui sont dix fois en deça des normes (certaines d’entre elles n’avaient même pas de fondation) sont assez bonnes pour des Africains !
Je l’ai dit à l’un de vos ministres : je sais que « Thomas et Piron » est l’une des meilleures sociétés de construction en Belgique, que chez vous ils font du bon travail. Mais comment comprendre que lorsqu’ils sont chez nous, ils font n’importe quoi, en pensant que nous allons accepter cela sans réagir ?
Une autre société, Rwandex, qui est dans le pays depuis longtemps, a aussi eu des problèmes : elle empruntait de l’argent à la banque, achetait la récolte de café, la vendait à l’extérieur et tardait à rembourser la banque.
Ces conflits n’ont rien à voir avec le gouvernement ou avec le fait qu’il s’agirait de Belges, ici, les règles sont les mêmes pour tout le monde, il n’y aura pas de compromis la dessus, il faut que les Belges le comprennent. Qu’ils sachent aussi que les impôts à payer seront les mêmes pour eux aussi…
La Rwanda Revenue Authoriry a la réputation d’être implacable, même les Rwandais se plaignent…
Oui, mais elle ne vise pas que les Belges. Il est arrivé que des sociétés contestent les impôts qui leur sont réclamés, menacent d’aller en justice et par la suite, lorsqu’elles sont confrontées aux documents que nous produisons, elles finissent par céder…
Ici, personne ne veut payer des taxes, c’est une vraie bataille que nous menons, il n’y a d’exemptions pour personne…
Le Rwanda a envoyé 2000 hommes dans le Darfour, ils participent à la force mixte ONU-Union africaine. Le général rwandais Karake Karenzi, qui dirige cette force, est contesté, et son nom est cité dans l’acte d’accusation du juge espagnol. S’il devait quitter le Darfour, comment réagirez vous ?
Pour moi, les accusations contre Karenzi sont de la même eau que celles du juge Bruguière, elles ne sont pas isolées.
Chaque fois qu’un pays africain atteint un certain degré d’indépendance, on trouve des moyens subtils pour le casser, le ramener à sa norme. On l’attaque de toutes les manières possibles. On peut utiliser l’aide, l’argent, les pressions politiques, démocratie, droits de l’homme, on peut même créer des cas qui n’existent pas…Maintenant un nouvel instrument, c’est la justice internationale, qui est utilisée par les Occidentaux contre des pays en développement…
Si nous sommes allés au Soudan, c’était pour aider à résoudre un problème africain, à la demande de l’Union africaine. Nous avons été heureux d’apporter notre contribution.
Je sais que le contingent rwandais est nécessaire et apprécié, mais on ne peut gagner sur les deux tableaux : si le commandant de la force est attaqué, c’est le Rwanda lui-même qui se sent visé et qui réagira en conséquence. Pour moi, c’est très clair : si Karenzi part, c’est tout le contingent rwandais qui quittera le Darfour. Le jour même.
Il faut savoir aussi que le Darfour, même si nous y sommes présents et faisons de notre mieux, n’est pas le problème du Rwanda, c’est le problème de la communauté internationale. Nous ne sommes allés là bas en apportant notre petite contribution qu’à cause de la faiblesse de la communauté internationale.
Les combats ont repris au Kivu, entre les forces armées congolaises et les troupes du général Laurent Nkunda. Quel peut être le rôle du Rwanda ?
Je ne veux plus m’occuper moi-même de cette question, je laisse cela à d’autres, à notre ambassadeur pour les Grands Lacs, à nos diplomates. L’an dernier, à la demande de Kinshasa, je suis intervenu auprès de Laurent Nkunda. Des officiels congolais, dont le général Numbi, sont venus à Kigali et à leur demande, je leur ai donné un hélicoptère pour qu’ils puissent aller rencontrer Nkunda quelque part au Nord Kivu, en compagnie du chef d’état major rwandais. Le contact eu lieu, une solution politique a été décidée et les troupes de Nkunda ont accepté d’être réintégrées dans l’armée congolaise.
Alors que ce processus de mixage avait commencé à bien fonctionner, il y a eu une rencontre au Burundi et là, la délégation du Congo a soudain demandé que Nkunda soit arrêté, car il figurait sur une liste de criminels. Surpris, j’ai appelé le président Kabila et je lui ai dit « vous nous utilisez, et vous jouez derrière notre dos : vous publiez maintenant une liste qui mentionne le nom de Nkunda alors même que vous essayez de trouver une solution politique avec lui… »
Par la suite, le président Kabila s’est entretenu avec les Sud Africains et il leur a demandé que Laurent Nkunda puisse s’exiler chez eux. La proposition était qu’il quitte le terrain, au départ de l’aéroport de Kigali. Kabila avait proposé cela sans même nous en avertir ! J’ai dit aux Sud Africains : « pourquoi devrait-il partir de Kigali ? Le président Kabila sait parfaitement où se trouve Nkunda et pourrait lui envoyer un avion au départ de Goma, il n’y a pas de raison de nous impliquer dans cette affaire. » A nouveau, j’ai appelé Kabila et lui ai demandé à quoi il jouait. J’ai redit que nous étions prêts à l’ aider à trouver une solution, mais de manière raisonnable.
En fait, tout cela m’inspire une réflexion de fond : les Congolais aiment se présenter comme des victimes, d’innocentes victimes. Et le monde entier abonde dans ce sens. En fait, ils ne sont pas des victimes, ils ont aussi une responsabilité dans tout ce qui se passe… Lorsque j’ai revu le président Kabila à New York, je lui ai dit « Monsieur le Président, vous devez calmer vos extrémistes. Je ne sais pas si vous êtes extrémiste vous-même, mais vous utilisez cela pour servir vos objectifs politiques. Voyez les problèmes qui se posent au Nord Kivu, entre les Hutus, les Tutsis, les Banande, les Banyarwanda… J’ai l’impression que vous jouez avec cela, et que cela peut vous servir. J’ignore quelle est votre stratégie, mais jouer avec l’extrémisme, cela ne vous aidera que pour une brève période, un jour cela finira par vous revenir au visage… »
Tout de même, une conférence a été organisée à Goma en janvier, où tous les groupes se sont exprimés, où un processus de paix a été enclenché…
C’est vrai, les Congolais l’ont fait, mais leurs esprits étaient ailleurs, comme si, en même temps ils étaient aussi en train de prévoir autre chose. L’initiative de Goma était positive, certes, mais je ne suis pas sûr que les dirigeants congolais étaient réellement convaincus qu’il s’agissait là de la bonne marche à suivre.
Je reconnais que Nkunda pose un problème. Mais ce problème ne vient pas de nulle part, il a des racines, une histoire. Si on n’attaque pas le problème à la racine, en voyant pourquoi Nkunda existe, on n’arrivera à rien. Je l’ai dit au président Kabila : « imaginons que Nkunda disparaisse, au combat ou de mort naturelle, vous croirez alors avoir résolu le problème, mais ce ne sera pas le cas, vous pourrez être confronté à un autre opposant. Certes, vous pouvez considérer que Nkunda exagère, que certaines de ses revendications sont excessives, mais d’autres ont un fondement et ces dernières méritent d’être prises en compte. »
Quelles sont les ressorts réels du combat de Nkunda ? S’agît il de l’insécurité que connaîtraient les Banyarwanda (Congolais d’expression rwandaise)?
Cela ne fait aucun doute. Il ne s’agît pas seulement des Mai Mai (milices congolaises) ou les FDLR (Forces pour la démocratie et la libération du Rwanda, composé de Hutus rwandais) mais de l’élite politique congolaise elle-même qui crée de l’insécurité sur une base ethnique. Vous savez, même si demain, par miracle, les Banyarwanda disparaissaient du Congo, d’autres problèmes surgiraient aussitôt, avec d’autres groupes ethniques, les Bashi combattraient d’autres tribus dans le Sud, les Bahunde se battraient dans le Nord. Tout cela découle du fait qu’au Congo, le pouvoir politique est obtenu sur une base ethnique…Dans ce pays, la principale manière d’accéder au pouvoir est de manipuler des forces souterraines, de jouer avec l’ethnicité, tous les politiciens pratiquent cela……
Comment analysez vous l’action militaire engagée l’an dernier contre les forces de Nkunda ?
Tout le monde avait mis le président Kabila en garde, lui avait dit que ses forces ne pourraient pas l’emporter. De fait, avant même d’engager le combat, les Congolais s’étaient enfuis. Or ils étaient 20.000 devant les 3000 hommes de Nkunda. Ces derniers n’ont plus eu qu’à se servir des armes laissées par l’armée congolaise. Maintenant Nkunda a plus d’armes que ce dont il a besoin, des Katiouchas, des RPG, des mitrailleuses, des munitions…Et après cela, Kabila va raconter que le Rwanda fournit des armes à Nkunda ! Ce n’est même pas nécessaire. Tout cela pour vous dire que ces incidents isolés ne sont pas l’essentiel. Le vrai problème est le management politique. Kabila ne peut ou ne veut s’y atteler et il continue à manipuler l’opinion.
Maintenant encore il veut essayer de résoudre militairement le problème, alors que la conférence de Goma avait entamé un règlement politique et qu’elle avait eu un effet positif. Même l’émissaire européen, le représentant de l’ONU me signalent qu’il y a au Kivu un déploiement militaire massif. Qu’est ce que cela signifie ? Que l’on prépare la guerre.
Pourquoi le processus entamé à Goma est-il en train d’échouer ? Peut être certains ne voulaient ils pas qu’il réussisse…
Kamerhe, l’abbé Malu Malu avaient cependant essayé de trouver une solution politique…
Oui, c’est vrai mais ce n’est pas Kamerhe qui contrôle l’armée, c’est Kabila. Celui qui parle aux commandants sur le terrain, c’est le président. Vous voyez, il y a un double langage tout le temps…
Allez vous appeler Kabila, lui parler au téléphone ?
Non nous ne sommes plus parlés depuis longtemps. D’une certaine manière, j’ai renoncé, j’ai le sentiment d’avoir été utilisé, puis abusé, et accusé aussi. Je laisse tomber, qu’il fasse comme il l’entend…
Vous rendrez vous cet automne à Kinshasa pour participer à la conférence sur la sécurité dans la région des Grands Lacs ?
Non, je n’en ai pas l’intention. J’ai perdu l’appétit d’apporter ma contribution à ce processus, je vous l’assure, je n’en ai plus envie.
Maintenant je regarde d’un autre côté et je ne bouge plus, sauf s’il vient frapper à ma porte, j’ai assez de gens ici qui suivent le Congo, l’envoyé spécial pour les Grands Lacs, notre ministre des affaires étrangères, d’autres encore. Moi, je ne veux plus m’en occuper, j’ai laissé tomber…
Voyez la CEPGL (Conférence économique des pays des grands lacs) : j’y étais favorable, à plusieurs reprises j’en ai parlé au président Kabila, j’ai parlé au président burundais Ngurunziza qui est proche de Kabila et qui était d’accord pour la relancer. En plus des bénéfices économiques que la région peut en tirer, je crois que cette conférence pourrait aider à résoudre des problèmes politiques. Mais Kabila n’en veut pas, et il n’a jamais expliqué à personne pourquoi. Parfois, il dit des choses qui ne sont pas claires, qu’il voudrait par exemple y associer d’autres pays avec lui. Moi, je trouve qu’on devrait d’abord commencer à trois, (Congo, Rwanda, Burundi) et puis on verra comment ajouter d’autres pays. Dans d’autres domaines aussi, les efforts ont échoué : les Congolais refusent toujours que nous ayons un ambassadeur à Kinshasa.
En fait, la situation au Congo m’inspire une autre réflexion : qu’il s’agisse de Lubanga, de Bemba, de Nkunda peut-être, on a toujours tendance à vouloir écarter les gens qui dérangent le président Kabila…. Tout d’abord cela ne résoudt pas les problèmes en profondeur, mais il s’agît aussi d’ une instrumentalisation de la justice internationale. Car enfin, les crimes que l’on impute à Bemba ou à Lubanga, ne peut on les reprocher à d’autres aussi ? Recrutements forcés, utilisation d’enfants soldats, crimes de guerre, mais ils ont tous fait cela…
Lorsque Bemba a été arrêté à Bruxelles, j’ai cru que c’était là un nouveau gage que les Belges donnaient à Kabila, en échange d’autre chose. Lorsque je constate la manière dont la Cour pénale internationale est utilisée comme instrument politique, je me dis qu’à l’époque de sa création, en 2002, j’ai eu raison de ne pas la reconnaître, elle se serait transformée en instrument contre nous…
Que pensez vous de la candidature de Barack Obama ?
Je suis témoin de l’enthousiasme qu’elle suscite dans toute l’Afrique et cela m’inspire plusieurs réflexions. Tout d’abord cette candidature en dit long sur le système politique américain, qui permet à un homme qui a du sang noir de se porter candidat à la présidence. En Europe ce ne serait pas imaginable, mais surtout, il y a des pays membres de l’Union africaine, -que je nommerai pas-, où il serait impensable qu’un Noir devienne chef d’Etat. Cela étant, Obama est d’abord Américain, et ce sont les problèmes des Etats-Unis qu’il va être appelé à résoudre. C’est l’Amérique qu’il va changer et qui va le changer, pas l’Afrique. Les Africains peuvent être enthousiastes à son sujet, mais ils ne doivent pas oublier que leurs problèmes, ils devront les résoudre eux-mêmes. Ce sont les Africains qui relèveront l’Afrique, et personne d’autre…
lesoir.be