Colette Braeckman
05/10/08
Absent depuis trois mois de la scène médiatique, Laurent Nkunda, le chef rebelle du Nord Kivu, était donné pour blessé, malade ou disparu. Il vient de démentir toutes les rumeurs en accordant plusieurs interviews téléphoniques successives, à la BBC et à la RTBf, -d’une voix cependant bien différente que celle que nous lui connaissions-ce qui ne manque pas de laisser perplexe même si dans ses propos il est pareil à lui-même…
Si ses déclarations se veulent rassurantes à propos de son état de santé, en revanche, elles sont de très mauvais augure pour la paix dans la région. Car ce qu’annonce Nkunda, c’est la guerre. Le général tutsi dénonce l’échec du processus de paix « Amani » prévoyant le désarmement des groupes armés et il annonce la création d’un nouveau mouvement, un Front pour la libération totale du Congo, une formation politico militaire qu’il aurait mis sur pied au cours des dernières semaines, ce qui pourrait expliquer sa discrétion durant cette période.
Dans ses déclarations, Nkunda a revu ses ambitions à la hausse : il ne se contente plus, comme par le passé, de se présenter comme le défenseur des Tutsis congolais, de plaider pour le retour des réfugiés rwandophones se trouvant dans les pays voisins, de dénoncer la présence de combattants hutus rwandais au Kivu, le principal grief de Kigali. Comme ces revendications avaient déjà été soigneusement étudiées lors de la conférence de paix qui s’était tenue à Goma en janvier dernier et que des pistes de solution se dessinaient, le général va plus loin : il accuse le gouvernement de Kinshasa d’avoir « trahi le peuple congolais », dénonce l’échec général du programme Amani avec lequel il refuse de collaborer. Mais surtout, avec des accents qui rappellent les discours tenus en 1998 par le RCD Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie, un mouvement apparu en août 1998 lors du déclenchement de la deuxième guerre du Congo à l’initiative du Rwanda) il exige désormais une négociation directe, sinon d’égal à égal, avec le président Kabila et dénonce, bien au-delà des problèmes du Kivu, d’autres points faibles de la République : la situation dans le Bas Congo, où la secte Bundu dia Kongo avait été sévèrement réprimée par les forces gouvernementales, des tensions au Katanga, la reprise des hostilités en Ituri, où un nouveau groupe armé est apparu, dans lequel des lieutenants de de Nkunda pourraient se retrouver, le sort réservé à Jean-Pierre Bemba, dont le parti, le MLC (Mouvement pour la libération du Congo) vient de fêter son dixième anniversaire en l’absence de son chef, toujours incarcéré à La Haye.
Se faisant l’avocat de tous ces conflits, Nkunda, étonnamment sûr de lui et présentant désormais une équipe pluri-ethnique, s’est exprimé comme si les futures lignes de fracture d’un pays à nouveau menacé de balkanisation étaient soudain dessinées…Et cela alors que Kinshasa attend toujours la nomination d’un nouveau Premier Ministre!
Les propos bellicistes du général rebelle, s’accompagnant au Nord Kivu de nouveaux combats et de nouveaux déplacements de population, ont suscité de nombreuses réactions : le commandant des opérations des forces gouvernementales le général Kayembe, a invité Nkunda à réintégrer le programme Amani, tout en renforçant la pression militaire sur le terrain, le ministre congolais de la Défense Chilkez a qualifié ces propos d’ « irresponsables ». Quant au représentant à Kinshasa de la Mission des Nations unies au Congo, le Britannique Alan Doss, il a demandé au Conseil de Sécurité que soient renforcés les effectifs de la MONUC (qui compte actuellement 17.000 hommes) ainsi que ses moyens, entre autres aériens.
A Goma, les «facilitateurs » internationaux (ONU, Union européennes, Etats-Unis) ont réitéré leur soutien au programme Amani et à son coordinateur l’abbé Malu Malu, mais ces déclarations suscitent un scepticisme croissant dans une région qui compte plus d’un million de déplacés, totalement dépendants de l’aide humanitaire et qui assurent que les terres qu’ils ont du abandonner sous la menace sont déjà occupées par des nouveaux venus. Sur le terrain, l’action de la MONUC est de plus en plus contestée, les populations locales reprochant aux Casques bleus de ne pas agir avec assez de détermination contre Nkunda. La situation est cependant moins simple qu’il n’y paraît : dans certains cas, la MONUC épaule efficacement les forces gouvernementales, empêchant par exemple les insurgés de s’emparer de certaines localités comme Sake ou de routes stratégiques. Mais dans d’autres cas, lorsqu’il apparaît que les FARDC combattent avec l’appui des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) les miliciens hutus solidaires du génocide au Rwanda, (ce qui confirme certaines accusations de Nkunda), les forces des Nations Unies veillent soigneusement à se démarquer de ce compromettant voisinage, ce qui amène la population à les accuser de passivité…
La situation au Kivu est d’autant plus inquiétante que Kinshasa attend toujours un successeur au Premier Ministre Gizenga. Aux dernières nouvelles, le président Kabila entendrait se tenir à l’accord préélectoral que l’AMP (Alliance pour une majorité présidentielle) avait conclue avec le PALU (Parti lumumbiste unifié) de M. Gizenga, auquel reviendrait donc le poste de Premier Ministre. La balle serait donc dans le camp des lumumbistes : à eux de présenter un candidat valable, capable de tenir la barre par gros temps…
Si les candidats présentés n’étaient pas jugés suffisamment costauds, les partenaires du PALU pourraient alors présenter d’autres candidats choisis au sein de la majorité présidentielle (Evariste Boshab du PPRD, ou Vital Kamerhe, qui a déjà fait ses preuves dans plusieurs dossiers difficiles mais qui s’avère peut-être indispensable à la tête de l’Assemblée nationale). Parmi les indépendants, le nom de l’ancien mobutiste Mabi Mulumba est également cité. Il s’agît là d’un homme affable et brillant, économiste réputé, ancien président de la Cour des Comptes, bien vu parmi les financiers occidentaux ( le Congo est toujours en froid avec le FMI et la Banque Mondiale à cause des contrats chinois) et qui présente aussi l’avantage d’être Kasaïen, une province qui, à cause des déboires de l’UDFPS s’est quelquefois sentie marginalisée….
De toutes façons, au-delà des considérations d’appartenance ethnique ou politique, il faudra avant tout un Premier Ministre attaché au rétablissement de l’autorité de l’Etat, rassurant la population et capable de faire face, avec détermination, aux rêves ou manœuvres dissidentes qui recommencent à se manifester, spontanément ou non.
Lesoir.be