La RDC a besoin d’un leadership plus visionnaire et dynamique, déclarent les évêques.

Kimpozo Mayala

11/02/08

 

C’est un message d’une tonalité plus que sévère que viennent de délivrer les évêques catholiques de la RDC, dans leur déclaration datée du 09 février courant. Prenant prétexte de la catastrophe nationale qui a frappé dernièrement la ville de Bukavu et des atermoiement qui bloquent l’Acte d’engagement de Goma, ils se sont permis de critiquer le leadership politique national, la société civile privatisée par quelques individus mais surtout les défis sociaux présents et à venir.
S’agissant de leur perception du travail des gouvernants, les prélats catholiques ne cachent pas leur déception au sujet de la non tenue des promesses électorales plus d’une année après les verdicts électoraux au niveau de la présidence de la République, de l’Assemblée Nationale, du Sénat, des assemblées provinciales et des gouvernorats de provinces. Sans pour autant exiger à ceux-ci qui sont aux affaires de rendre le tablier, l’Eglise catholique congolaise leur recommande de requalifier leur vision politique et partant, leurs actions, pour le bien du grand nombre.

Si certains ont, dernièrement, lancé la campagne nationale de changement des mentalités, le staff de la conférence épiscopale nationale du Congo estime, pour sa part, que le vrai changement de l’homme congolais devrait commencer par le fond de son cœur. Un décideur ou un citoyen congolais nouveau, est celui appelé à cultiver la paix, l’unité nationale, la réconciliation nationale, la justice, l’amour patriotique, la bonne gouvernance, la non violence, le respect de la dignité humaine, etc.
De l’avis de la Cenco, les richesses nationales, notamment celles qui dorment dans les concessions minières, devraient profiter sans exclusive à tous les Congolais. D’où son appel pressant à ceux qui gèrent le sulfureux dossier des contrats léonins de sauvegarder l’intérêt général à travers l’annulation des dossiers maffieux et la révision de ceux qui appellent des correctifs.
La misère généralisée, surtout dans les rangs des employés du secteur public, donne prétexte à la Cenco pour exiger des gestionnaires du patrimoine collectif la prise en compte responsable des besoins du petit peuple. La jeunesse congolaise va à la dérive, en raison du dysfonctionnement du système éducatif national mais aussi de la chute libre de la moralité, du civisme.
En termes clairs, les évêques critiquent en fait les retards de réalisation des cinq chantiers du Chef de l’Etat : infrastructures, emploi, santé, éducation, eau et électricité. Mais, sans sécurité, sans paix, sans unité nationale et territoriale, à garantir par une armée république remodelée et réunifiée, tous les efforts de développement seraient vains. Sans changement de cœur, le pays va continuer d’aller mal. Ci-dessous, le texte intégral de la déclaration des évêques de la RDC.

CHANGEONS NOS COEURS (JL 2, 13)

Introduction

1. Nous, Archevêques et Evêques membres du Comité permanent des Evêques, réunis en session statutaire à Kinshasa du 05 au 09 février 2008, saisissons l’occasion, en ce début de Carême, pour adresser à notre peuple et à nos dirigeants un vibrant appel à un sursaut national et à un changement de mentalité en vue d’un engagement réel dans l’œuvre de la reconstruction de notre pays.

2. En effet, une année entière est déjà passée depuis la mise en place des Institutions nationales issues des élections. Cependant notre pays semble traîner les pas par suite de graves crises relatives à la question de la paix et de la justice, des exigences éthiques dans la gestion de la chose publique ainsi que d’un leadership visionnaire et dynamique susceptible de faire face aux différents défis que la Nation est appelée à relever. Il y va de l’avenir de notre pays, nous ne pouvons pas nous taire !

Message d’espérance

3. Loin d’être un simple cri d’alarme pour effrayer les uns et les autres, notre appel se veut un message d’espérance, pour nous mobiliser en vue d’affronter notre pénible présent et envisager l’avenir avec optimisme et réalisme, lucidité et responsabilité. En effet, quel que soit le poids des épreuves du temps présent, nous ne devons pas être « abattus comme les autres qui n’ont pas d’espérance » (1 Th 4,13). Celui qui espère vit différemment ; une vie nouvelle lui a déjà été donnée .

4. Ce message d’espérance, nous l’adressons particulièrement, en ce moment, à la population de Bukavu et à son pasteur, notre frère dans l’Episcopat, Son Excellence Mgr François-Xavier MAROY, touchés par la catastrophe causée le dimanche 03 février 2008 à la suite d’un violent tremblement de terre.

L’Archidiocèse de Bukavu compte des morts, des blessés et déplore des dégâts matériels importants. L’Eglise-famille de Dieu en RD Congo et dans le monde assure ses frères et ses soeurs de son soutien et de sa proximité spirituelle. Elle les exhorte au courage et à l’espérance. En même temps elle en appelle aux personnes de bonne volonté pour apporter l’aide à la population sinistrée et à la reconstruction de ce qui a été détruit. Pour sa part, la CENCO, à travers sa Commission épiscopale Caritas-Développement, s’emploiera, dans la mesure de ses moyens, à les assister. Nous présentons nos condoléances émues aux familles éprouvées.

Atouts majeurs

5. A l’heure actuelle, notre pays dispose de beaucoup d’atouts qui nous permettent de reprendre très vite une place de choix dans le concert des nations tant au niveau continental que mondial :

1° La dignité et la maturité d’un peuple qui a réussi le pari de tenir dans le calme l’ordre et la discipline les élections que d’aucuns qualifiaient d’élections de tous les dangers, et de se choisir ses dirigeants.

2° Le fonctionnement effectif des institutions issues des élections démocratiques (Présidence de la République, Sénat, Assemblée nationale et Assemblées provinciales, Gouvernement central et Gouvernements provinciaux), constitue un cadre général juridique et administratif de référence pour une gestion responsable du pays .

3° La présence des ressources humaines de grande qualité qui n’attendent que d’être mises à contribution.

4° Les ressources naturelles d’une valeur insoupçonnée qui justifie le qualificatif de « scandale géologique » (ressources minières, forestières, hydriques, énergétiques…).

5° L’intérêt de plus en plus manifeste dont jouit le pays à l’heure actuelle sur le plan international. Pour s’en convaincre, il suffirait de voir le nombre de missions de haut niveau venues non seulement présenter leurs civilités aux institutions élues, mais aussi exprimer leur volonté de coopérer avec la RD Congo. L’on assiste depuis l’avènement de la IIIe République à des visites ininterrompues des investisseurs à la recherche de partenaires en RD Congo.

Problèmes majeurs

6. Hélas ! malgré tous ces atouts le peuple continue à vivre dans une misère sans cesse croissante et le pays est en proie à de nombreux problèmes sécuritaires, socio-économiques et politiques toujours inquiétants.

Malaise social

7. De façon générale, les populations sont impatientes, parce que fatiguées par la guerre, la pauvreté et la misère. Cette impatience se traduit par des grèves, notamment des enseignants du primaire et du secondaire ainsi que des professeurs d’université, du personnel de la santé et des agents de la fonction publique. Ces grèves successives attestent un malaise social profond et inquiétant pour l’avenir du pays. La non-réalisation de nombreuses promesses pour résoudre dûment le problème des salaires des enseignants et d’autres agents de la fonction publique, risque de plonger le pays dans une grave crise sociale.

L’avenir de la jeunesse

8. Nous ne pouvons dissimuler notre inquiétude sur l’avenir de la jeunesse. Nous sommes préoccupés par le nombre de plus en plus croissant des enfants de la rue et dans la rue, et déconcertés par la baisse de niveau tant au point de vue intellectuel qu’au point de vue de la moralité. Comme nous l’avons souligné dans notre message « A vin nouveau, outres neuves », « aujourd’hui encore de nombreux jeunes ne vont plus à l’école à cause d’une paupérisation généralisée et d’une misère grandissante. D’aucuns, même avec un diplôme d’université, sont simplement au chômage ». Si la jeunesse est l’avenir de la Nation, que deviendra le pays dans vingt ou trente ans avec des jeunes aujourd’hui négligés et sacrifiés.

L’exploitation des ressources naturelles

9. L’exploitation des ressources naturelles ne cesse de soulever de graves problèmes de souveraineté, d’équité, de légalité, de respect des populations locales et de l’environnement. Avec d’autres organisations, nous dénonçons le manque de transparence dans la négociation et l’octroi des marchés, les conflits d’intérêts non déclarés, le manque d’évaluation appropriée des atouts et des apports congolais aux marchés, et l’inclusion des clauses désavantageuses pour l’Etat congolais. Nous appuyons le processus de révision des contrats léonins et nous exigeons des gouvernements étrangers ainsi que de leurs institutions financières publiques de respecter ce processus, afin qu’il puisse être conduit de manière sérieuse et objective. Nous demandons à notre gouvernement de donner les mesures et les conditions de renégociation, et de rendre ainsi clair et transparent le cadre juridique de la signature des contrats miniers et forestiers. Les entreprises minières et forestières devront respecter leurs obligations en matière sociale et environnementale. Notre Commission ad hoc suivra avec attention ce dossier.

Les problèmes sécuritaires et les enjeux économiques

10. La récente conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu a attiré l’attention de tout le monde sur les enjeux majeurs des questions sécuritaires pour l’avenir du pays. Nous déplorons le martyre subi par notre population à cause des guerres récurrentes avec leur cortège de souffrances, notamment, la perte d’innombrables vies humaines, les tueries aveugles, les violences particulièrement exercées sur les femmes, les pillages des biens, les déplacements des populations fuyant les combats.

Nous saluons la grande avancée obtenue à la Conférence de Goma avec « l’Acte d’engagement » signé par les groupes armés et le gouvernement ainsi que la mise sur pied du « Programme AMANI » pour le suivi et l’aboutissement heureux des résolutions de cette Conférence.

Cependant, des interrogations persistent. A notre avis, elles méritent d’être relevées sous peine d’hypothéquer l’avenir de la paix chèrement acquise et du développement de la Nation. Ces interrogations concernent :

1° Le conflit d’intérêt des groupes économiques, éventuellement soutenus par leurs Etats, autour de l’exploitation de ressources naturelles de la RD Congo, ne constitue-t-il pas une des raisons de l’insécurité sur notre territoire?
2° L’attitude de certains pays voisins avec des visées expansionnistes et soutenus par les puissances étrangères ne met-elle pas en péril l’existence et l’avenir de la RD Congo ?
3° Le laisser-aller de l’Etat congolais dans l’exercice de ses fonctions régaliennes (Paix, Sécurité, Fiscalité, Justice) ne donne-t-il pas libre cours à une multitude des rebellions internes et n’ouvre-t-il pas des brèches à des ingérences plurielles et extrêmement ravageuses ?
4° Le niveau de conscience morale et de culture civique de la population n’en fait-il pas une proie facile des désordres de tout genre ?
5° L’absence d’une armée républicaine à même de protéger les frontières du pays et sa population ne fragilise-t-elle pas la RD Congo au point d’attiser des convoitises ?
6° L’application de la Constitution, particulièrement en matière de la rétrocession aux provinces, ne mérite-t-elle pas la nécessité d’un examen approfondi?

11. Solidaires de notre peuple et placés devant nos responsabilités pastorales pour un Congo nouveau à construire, nous voulons ici rappeler quelques priorités incontournables qui constituent comme des lieux de combat que nous ne pouvons déserter, sous peine de trahir notre mission de veilleurs et d’éveilleurs des consciences.

Priorités incontournables

1° La nécessité d’un leadership plus visionnaire et dynamique, à tous les niveaux et dans tous les secteurs, capable d’anticiper sur les événements, de garantir l’unité du peuple congolais, d’assurer son développement harmonieux et d’incarner le rêve d’un Congo fort au cœur de l’Afrique.

2° La responsabilité de la communauté internationale pour aider la RD Congo à rapatrier dans leur pays d’origine les populations et les groupes armés étrangers dans le respect du droit international.

3° L’urgence de la création d’une armée républicaine avec comme mission principale de garantir la stabilité du pays car, nous ne le dirons jamais assez, l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale ne sont pas négociables . Nous en appelons ainsi à la tenue des états généraux de l’Armée dans les meilleurs délais. La stabilité de notre pays en dépend.
4° L’exigence de la probité morale indispensable en particulier pour la classe dirigeante et la lutte contre la corruption et l’impunité sous toutes ses formes.
5° La constitution d’une société civile responsable et bien organisée, capable d’influer sur les acteurs étatiques, en vue de l’émergence d’un changement qualitatif au niveau des structures et des institutions de l’Etat. Elle pourra ainsi contribuer à la consolidation de la démocratie, à l’amélioration de la gouvernance dans tous ses aspects politique, économique, social, culturel et à la défense des droits des citoyens.

6° L’éducation aux valeurs civiques et républicaines, pour un changement réel de mentalité, devrait être une préoccupation majeure au sein de la nation congolaise. L’Etat doit y apporter un appui déterminant en matière financière, logistique et thématique. Cette éducation porterait sur les connaissances élémentaires des institutions républicaines, sur l’initiation aux droits et devoirs des citoyens, aux valeurs qui les sous-tendent parmi lesquelles la cohabitation pacifique, la tolérance, la convivialité, la complémentarité, la capacité de prévenir ou de gérer les conflits, la vérité, la justice, la réconciliation, l’esprit d’initiative, le sens du bien commun, le respect de l’autre et de la parole donnée. Les médias sont particulièrement interpellés pour véhiculer ces valeurs. Celles-ci constituent, en effet, « le fondement inébranlable et la garantie solide d’une convivialité humaine juste et pacifique, et donc d’une démocratie véritable qui ne peut naître et se développer qu’à partir de l’égalité de tous ses membres, à parité des droits et des devoirs ».

7° La mise en œuvre rapide d’un programme économique et social prenant en compte les besoins réels de la population : adduction et distribution en eau potable, alimentation en énergie électrique, assurance des soins de santé, encadrement de la jeunesse, politique claire d’orientation scolaire, création des emplois, paiement de salaires dignes, construction des infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires.

8° L’exigence du respect du droit national et international de la part des pays voisins, de la communauté internationale et des multinationales, afin de résoudre, dans l’équité, les grands problèmes qui se posent à la Nation. En effet, les relations entre les peuples et les communautés politiques doivent exclure le recours à la violence et à la guerre ainsi qu’à des formes de discrimination, d’intimidation et de tromperie pour trouver leur juste régulation dans la raison, dans l’équité, dans le droit, dans la négociation.

Conclusion

12. Nous sommes convaincus qu’à l’heure actuelle un sursaut national est nécessaire pour nous engager réellement dans l’œuvre de la reconstruction de la RD Congo. Le pari peut être gagné mais il faut une véritable « metanoia », un changement de cœur et de mentalité. L’Eglise s’engage à apporter son concours spécifique en ce domaine en menant une réflexion pastorale éclairant la mise en marche d’une commission de pacification, de réconciliation et de reconstruction communautaire. Comme nous le recommande le Saint-Père Benoît XVI, nous travaillerons à l’unité du peuple de Dieu et nous nous donnerons sans compter pour le constituer en peuple des frères . Les membres du clergé et de la vie consacrée y contribueront efficacement par leur témoignage de vie et leur engagement pour le changement des mentalités.
13. En ce temps de carême, nous invitons notre peuple et nos dirigeants à cette « metanoia » pour nous considérer tous comme les premiers artisans de l’édification de la grande nation congolaise.
Puisse la Vierge Marie, Mère de l’espérance, veiller sur nous à cette heure où nous cherchons à dissiper les ténèbres de l’insécurité, de la guerre et de la misère sous toutes ses formes ; qu’elle nous conduise sur le chemin de la paix, de la justice, de la réconciliation et de l’engagement dans l’œuvre de la reconstruction de notre pays.

Que Dieu bénisse la RD Congo, notre pays.

 

 

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