Contrairement à l’appel du Conseil de Sécurité optant pour la solution militaire de la crise à l’Est de la RDC, le sommet des pays des Grands lacs a privilégié l’arrêt des combats et l’envoi d’une force internationale neutre pour consolider la paix.
Le 3 août dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies (CS) rend à la presse une déclaration sur la République démocratique du Congo (RDC) concernant la rébellion du Mouvement du 23 Mars (M23), dont la montée en puissance à partir des provinces orientales inquiète Kinshasa. Issus des formations politico-militaires et d’autodéfense intégrées dans l’armée régulière (FARDC) suite à l’accord de mars 2009, les mutins réclament la pleine application du protocole signé et critiquent le manque de gouvernance d’un groupe dirigeant corrompu et installé au pouvoir par des élections marquées par la fraude massive. Fait nouveau par rapport aux guerres précédentes dans ces régions de la RDC frontalières avec le Rwanda, les revendications des insurgés rencontrent les faveurs d’une bonne partie de la classe politique et des communautés des deux Kivu et de l’Ituri, où le président Kabila est de plus en plus impopulaire.
Dans le texte de la déclaration, rédigé par la France qui préside le CS, les quinze membres de ce dernier « réitèrent leur ferme condamnation de tout appui extérieur apporté au M23… et… demandent en outre à tous les pays de la région de coopérer activement avec les autorités congolaises pour le démantèlement et la démobilisation du M23 ». Suivant l’allusion au soutien prétendu de Kigali à la rébellion, l’appel à l’intervention musclée des Etats voisin de la RDC donne toute la mesure du risque de l’escalade militaire ou même de la conflagration régionale pris par l’instance onusienne. On dirait qu’avant tout, il faut sauver le soldat Kabila, même au prix de la déstabilisation de la sous-région entière. Destinataires principaux du message, les pays membres(1) de la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL) se réunissent quatre jours plus tard à Kampala, en Ouganda. Selon une démarche déjà éprouvée, ils sont censés en mettre en exécution la lettre et en premier lieux s’accorder sur l’envoi d’une force internationale neutre chargée d’éradiquer les mutins. Ceux-ci sont désormais aux portes de Goma, capitale du Nord Kivu, alors que les FARDC, en pleine déroute, n’opposent plus de résistance.
Entre temps, le décor est prêt avec tous les éléments du dispositif classique appliqué lorsqu’une force antagoniste aux équilibres géopolitiques établis par les grandes puissances doit être mise hors jeu : ONG et agences des Nations unies évoquent l’aggravation d’une crise humanitaire qu’en réalité sévit depuis bien longtemps à l’Est de la RDC sans avoir, jusque là, suscité autant d’émoi ; des réseaux de désinformation s’évertuent, à l’aide de médias serviables, dans la diabolisation du M23 et du Rwanda, dont la complicité avec la rébellion est affirmée dans un mémorandum d’un groupe d’experts onusiens aux agissements douteux que l’on découvrira plus tard; on fait planer le spectre d’une justice internationale au droit variable sur certains de ses commandants « qui constituent la plus grave menace pour la population civile », dit-on, alors que la conduite de la guerre du M23 n’a jamais suscité de telles allégations par la plupart des observateurs. Une évidence qui crée la cacophonie au sein de l’Administration à Washington, car le chef du bureau américain de la justice pénale internationale déclarera à la mi-août ne pas avoir de preuves que le M23 ait commis des crimes de guerre. Pour finir, le jour de l’ouverture des travaux de la CIRGL, la secrétaire d’Etat américaine Hilary Clinton en tournée africaine lance depuis Pretoria : « Nous exhortons tous les Etats de la région, y compris le Rwanda, à travailler ensemble pour tarir le soutien aux rebelles du M23, pour les désarmer et pour traduire leurs leaders devant la justice ».
Pourtant et en dépit de toutes ces pressions, le sommet de Kampala se clôture dans ce que un analyste ougandais, le journaliste Angelo Izama, a défini « un silence bruyant dans la Déclaration finale des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats de la CIRGL sur la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC ». « Ce silence, ajoute-t-il dans son blog, est un camouflet infligé aux Nations unies qui ne sont mentionnées même pas une seule fois dans la déclaration ». Cette dernière est fondamentalement axée sur l’arrêt des combats -une trêve ayant été négociée officieusement avec les deux belligérants avant le début de la Conférence. Et, lorsqu’on évoque dans le document la mise en fonction de la force internationale neutre –sur les possibilités de déploiement de laquelle cependant, nombreux observateurs expriment un scepticisme manifeste-, il n’ya aucune référence à un mandat qui comporterait l’éradication ou le démantèlement du mouvement rebelle. Dans la précédente réunion de la CIRGL tenue à Khartoum le 1er août, la discussion sur la zone d’intervention de la force -la frontière congolo-rwandaise pour prévenir toute infiltration ou une bande d’interposition entre les belligérants pour éviter la reprise des hostilités- en avait déjà exclu un positionnement offensif contre la rébellion. On souligne également dans le texte que la composition de la force doit être limitée aux pays de la sous-région. Car, selon les Etats de la CIRGL, la réflexion s’impose sur la recherche de « solutions locales aux problèmes des Grands lacs » et sur les racines d’une crise longue de dix-huit ans. Affirmation cette dernière qui a été particulièrement appréciée par la direction du M23, dont un communiqué a salué comme positives les conclusions des travaux dans la capitale ougandaise.
On remarque de surcroît, dans la résolution de Kampala, l’absence de toute mention à l’appui extérieur dont les rebelles bénéficieraient. Signe que failles et vices de procédure du mémorandum des experts de l’ONU ont été pris en compte. Basé sur les témoignages non vérifiés des services de renseignement congolais, ce qui est stupéfiant si l’on considère ces derniers comme l’une des parties en cause, le document a été rédigé sous la direction d’un ‘expert’ qui s’est avéré être un sympathisant des FDLR titulaire d’un blog diffusant des thèses révisionnistes sur le génocide rwandais ! Peut-on alors continuer à le citer comme un élément probatoire dans l’analyse de la crise ?
Quoi qu’il en soit, la prise de distance de la déclaration de Kampala avec celle du CS demeure radicale dans le choix implicitement adopté d’entamer un processus de paix à la place de l’option guerrière assumée comme exclusive et portant sur l’éradication de la rébellion. Le refus, de la part d’une organisation régionale, de fonctionner comme courroie de transmission des décisions des NU et, par là, de la volonté des grandes puissances indique aussi un modus operandi plus équilibré dans les relations internationales. D’autre part, l’histoire des derniers dix-huit ans de tragédies dans la région des Grands lacs a dû finalement convaincre les dirigeants de ces pays que l’ingérence occidentale est partie et non pas solution du problème. Les convaincre et les obliger à en tirer les conséquences.
(1) Ouganda, Rwanda, Burundi, Tanzanie, RDC, Angola, Zambie, République du Congo, Kenya, RCA, Soudan.
Luigi Elongui
(Fin août 2012)
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