Kenge Mukengeshayi
27/03/07
La troisième confrontation militaire de la Gombe, après celle d’août et de novembre 2006, semble avoir définitivement tourné en défaveur de JP Bemba. Le nouveau régime de Kinshasa peut désormais ajouter une nouvelle palme, militaire, à la légitimité issue des urnes. Il lui restera, évidemment, à gagner la bataille des cœurs. Un chantier encore plus difficile.
Un signe qui ne trompe pas. Vendredi 23 mars le matin, lorsque Jean-Pierre Bemba lance son appel au cessez-le-feu, il se trouve bel et bien dans une ambassade étrangère, sud-africaine vraisemblablement. Sur le terrain, la garde républicaine contrôle, presque, tout le quartier de la Gombe. Les FARDC sont nettement visibles sur tout le boulevard du 30 juin, alors que des combats sporadiques sont signalés dans le périmètre du beach, et qu’un dépôt de kérosène brûle à Ndolo. Les quartiers « Immo Congo » autour du stade Père Raphaël, et Ndolo, sont secoués, tandis que des obus tirés à l’aveuglette sèment le deuil au sein de la population.
Un appel tardif…
Tous les observateurs admettent que l’appel au cessez-le-feu lancé par le chairman sur RFI n’est pas un simple fait du hasard. Jeudi dans la soirée, alors que les combats avaient vidé le centre commercial et menaçaient de s’étendre à toute la capitale, la diplomatie s’était de nouveau activée pour obtenir la cessation des hostilités. L’aubaine pour JP Bemba, dont les forces étaient sensiblement encerclées tandis que certains de leurs éléments tentaient de s’éparpiller à travers la ville, où la Garde Républicaine avait érigé des barricades sur les grandes artères. L’armement déployé par les FARDC est lourd et très dissuasif. Dans la soirée, le dispositif s’étendra jusqu’aux abords de certains quartiers populaires avant d’être rapidement levé.
Entre-temps, on compte déjà des victimes. Plusieurs sources parlent de deux civils tués dans le centre-ville ainsi que de quelques blessés. Un bilan largement en déça de la réalité, conviennent les témoins les plus sérieux. Cinq à six expatriés sont parmi les blessés, dont un diplomate espagnol. Pire, des obus ont même traversé le pool pour rappeler à quel point Kinshasa et Brazza sont les deux capitales les plus rapprochées du monde.
Ce n’est alors qu’une sorte d’hors d’œuvre. Vendredi, tôt le matin, sur rue Konzo à Bandal, un obus tombé du ciel a déchiqueté une femme et son enfant. Tout le quartier pleurait à chaudes larmes. Même scénario sur Kapanga, quartier Pende, dans la commune de Kinshasa. L’horreur, le deuil, la désolation et l’incompréhension sont au rendez-vous face au déchaînement de la fureur humaine
Drame humain encore plus bouleversant dans le périmètre administratif de la Gombe. Plusieurs enfants, écoliers et élèves, enseignants, chauffeurs et vendeurs sont pris au piège des affrontements de jeudi, y compris des enfants de la maternelle. L’atmosphère est invivable au Lycée Bosangani, où tout le monde passera à la fouille tard dans la nuit. Aucun couloir humanitaire n’est organisé ni pour les tout petits, ni pour leurs parents angoissés et incapables de les rejoindre. Au Collège Bosembo, le directeur des études fait un forcing pour faire déposer par minibus quelques enfants de Bandal vers 17h30’. Les autres passeront la nuit dans l’angoisse au Collège même. La situation est pire ailleurs. A la fin, le bilan est lourd. 60 morts selon le gouvernement. « Des centaines de blessés et de morts », selon le CICR. Des pillages, une citerne de SEP Congo incendiée. Des élèves et leurs enseignants pris au piège, des parents éplorés.
Objectif : évacuer toute menace de déstabilisation dans la capitale
Sur RFI, la radio mondiale, JP Bemba invoque évidemment l’accord d’octobre 2006, avant le 2ème tour, pour justifier son refus de désarmer sa garde. Mais qui a encore envie de lire ce papier lorsque le rapport de forces a évolué ? Il explique que la douzaine de policiers qui lui sont promis ne garantissent pas sa sécurité. Il appelle à la négociation pour dégager les modalités d’application de l’accord d’octobre 2006. Mais, deux ministres lui avaient déjà répondu. Celui de la Défense, mercredi, pour lui indiquer ce qu’il devait faire et, surtout, ce qu’il ne devait pas faire. Jeudi, le ministre de l’Information enfonçait le clou en rappelant que la situation ne pouvait pas perdurer. Pas moyen de se tromper sur l’état d’esprit…
Justement, lorsque JP Bemba s’exprime sur RFI, le sort des armes a sensiblement évolué. Ses principales forces sont encerclées et d’autres éparpillées. En ce moment, l’Etat-major général des FARDC n’a aucune envie de snober son avantage sur le terrain. Bien au contraire, il n’a besoin que de la reddition d’une force qui s’est longtemps constituée, selon la hiérarchie militaire, en milice privée. L’humiliation n’est pas loin pour le leader du MLC.
L’affaire était d’autant plus mal engagée pour JPB qu’on sentait le pouvoir déterminé à prendre l’ascendant sur un rival qui l’a toujours mis mal à l’aise à Kinshasa. Et, à défaut de se faire aimer par une capitale toujours aussi rebelle, à s’assurer à tout le moins qu’il n’existera plus dans la ville la moindre menace potentielle de déstabilisation. « Face à une milice qui avait pour objectif de s’en prendre aux sièges des institutions, qui avait pour but de contrôler la capitale, il fallait à tout prix rétablir l’ordre », a déclaré le Chef de l’Etat lors de sa conférence de presse de lundi, précisant dans la foulée que « le problème n’était pas politique (mais) militaire et sécuritaire…Ce n’est pas par la négociation qu’on assure la sécurité ».
Il reste, néanmoins, la question de fond. Celle de savoir si la démocratie en est sortie gagnante. A en croire le ministre belge des Affaires étrangères, le doute est pour le moins permis. Pour sa part, dans sa conférence de presse de lundi, le chef de l’Etat n’a pas non plus évacué l’interrogation en déclarant que le Kabila qu’on a toujours connu avait changé. Et qu’un président élu n’avait pas à rechercher, par tous les moyens, le consensus. Un ton ferme confirmé par tous les observateurs, mais adouci par l’engagement du Président de la République à garantir la sécurité des parlementaires de l’Opposition et à ne jamais accepter le retour au parti unique.
Le Phare