Jeune Afrique
23/07/07
Accusé par le président Kabila d’avoir tenté de l’éliminer, son principal adversaire réagit, le chef de l’opposition se défend, préconise le dialogue avec le pouvoir et prépare … l’échéance de 2011!
«Il y a un mois, le président J Kabila vous accusait dans nos colonnes d’avoir tenté de l’éliminer physiquement lors des événements de mars 2007…
Ce sont des accusations totalement gratuites et non fondées. En novembre, au lendemain de l’élection présidentielle, j’ai accepté les résultats proclamés par la Cour suprême pour éviter au pays le chaos. J’ai également décidé de mener mon action politique dans le cadre d’une opposition forte et républicaine. On avait donc, d’un côté, un pouvoir qui gouverne et, de l’autre, une opposition qui observe, critique, fait des propositions et se prépare à être une alternative. Je me suis présenté à l’élection sénatoriale et j’ai été élu.
Comment expliquez-vous les affrontements tragiques du 22 mars?
Ils n’auraient jamais dû avoir lieu. Mais soyons sérieux. Pensez-vous que quelqu’un qui va faire un coup d’Etat ou éliminer le président de la République enverrait ses enfants à l’école? Mes cinq enfants étaient bien ce jour-là à l’école belge de Kinshasa, comme d’habitude. Moi, j’étais à la maison avec mon épouse et mes deux béquilles – comme vous le savez, en décembre, j’avais subi une opération au tibia, à la suite d’une fracture. Mon programme pour la journée était connu. Je devais recevoir, à 15 heures, le ministre portugais des Affaires étrangères et à 18h 30, la ministre française déléguée à la Coopération, Mme Brigitte Girardin. En outre, le lendemain très tôt, je devais me rendre à Pretoria pour rencontrer le président Thabo Mbeki à 15 heures…
La semaine suivante, le 2 avril, j’avais rendez-vous avec mon médecin au Portugal pour le suivi de l’évolution de ma blessure. Pensez-vous sérieusement que c’est là le programme de quelqu’un qui prépare un coup d’Etat?
En revanche, ce que je trouve très curieux, c’est que les enfants de la famille Kabila, qui fréquentent eux aussi l’école belge, aient été évacués à 9h 45, pendant la récréation. Alors, je pose la question : qui a prémédité cette attaque du jeudi 22 mars 2007. Celui qui laisse ses enfants exposés au danger ou celui qui les met à l’abri?
Donc, l’agressé, ce serait plutôt vous?
Rappellez-vous que le 21 août 2006, c’est-à-dire entre les deux tours du scrutin présidentiel, ma résidence à Kinshasa a été déjà attaquée. Et cela en présence de pas moins de quatorze ambassadeurs, dont ceux des Etats-Unis, de la France, de l’Afrique du Sud, du Royaume-Uni, de la Belgique, de l’Union africaine, de l’Union européenne…
Enfin, en novembre, le régime Kabila a fait encercler ma résidence pendant trois semaines. Le 22 mars 2007, c’est donc la troisième fois qu’on attaquait ma résidence pourtant protégée depuis sept mois par des blindés de la Monuc, la Mission des Nations unies au Congo. Je pose donc la question : qui veut éliminer qui?…
«Le président Kabila affirme pourtant que vos troupes ont marché sur son palais…
Mais, ce n’est pas vrai! Une enquête de l’ONU a été menée sur ces événements, on peut lui demander de publier son rapport. On verra bien alors qui a commencé. Les éléments de la Monuc peuvent confirmer que le jeudi 22 mars, à 11h 15, dès les premiers coups de feu échangés autour de ma résidence, des roquettes ont été tirées depuis le Palais de la nation sur ma résidence. Ce qui nous a contraints, mon épouse et moi à nous réfugier à l’ambassade d’Afrique du Sud, située à 300 mètres. Nos enfants, eux, sont restés bloqués trois jours à l’école. Je repose, donc, la question : qui a voulu tuer qui? Qui a intérêt à tuer qui ? Moi, je n’ai aucun intérêt à tuer le président Kabila. Sa mort ne profiterait en rien à Jean-Pierre Bemba.
Alors que l’ONU est engagée dans notre processus avec plus de 15000 hommes, quel homme politique sérieux pourrait se lancer dans un coup d’Etat ? A quoi pouvait-il s’attendre après? A des applaudissements de la communauté internationale? Non, tout cela n’est pas crédible.
Voilà pour les faits. J’ajouterai quand même que la veille, le mercredi 21 mars, j’ai reçu à 18h 30 M. William Swing, le représentant du secrétaire général de l’ONU. Il voulait me voir pour finaliser la question de ma sécurité en application de l’accord signé, le 27 octobre 2006, entre le président Kabila et moi-même. Lequel stipule que le candidat qui gagne la présidentielle s’engage à garantir au perdant la sécurité de ses biens, la libre circulation à l’intérieur et à l’extérieur du pays ainsi qu’une sécurité rapprochée appropriée.
M. Swing devait ensuite réunir les deux parties pour mettre en œuvre cet accord. J’ai donné mon feu vert dès ce mercredi 27 octobre 2006.
Et le président Kabila ?
Posez-lui la question ! Pourquoi n’a-t-on pas donné une chance à cette solution, pourquoi n’a-t-on pas finalisé cet accord ? Le jeudi 22 mars à 18heures, grâce à l’intervention de M. Swing, un appel à l’arrêt des hostilités est lancé. J’en fais autant sur des radios nationales et internationales, dont celle de l’ONU, captée partout. Pourquoi cet appel n’a-t-il pas été suivi d’effet? Sans doute parce qu’il y avait une volonté de m’éliminer physiquement. Pour en terminer avec ces malheureux événements, je redirai ce que j’ai expliqué au président Kabila les yeux dans les yeux, au lendemain des événements du 21 août 2006 :
«Mon protecteur, c’est Dieu. Et tant que Dieu n’a pas décidé de m’enlever de cette terre, rien ne m’arrivera». Tout ce que je souhaite maintenant, c’est de pouvoir rentrer chez moi en toute sécurité, jouer normalement mon rôle de leader politique, exercer mon mandat parlementaire et circuler librement dans le pays.
Les faits passés sont certes graves, mais pas importants finalement. L’important, c’est qu’on regarde, de part et d’autre, les conséquences de l’absence de toute communication entre ce pouvoir, que je reconnais, et l’opposition. Sans cela, le pire est à craindre.
Le Sénat vous a autorisé à prolonger votre séjour au Portugal jusqu’au 31 juillet.
Que comptez-vous faire si, à cette date, toutes les garanties pour votre sécurité ne sont pas réunies à vos yeux ? Et si les poursuites judiciaires engagées contre vous se confirment ?
Je vous rappelle que j’ai été vice-président de ce pays pendant trois ans. Je sais donc ce que certains parviennent, malheureusement, à faire avec la justice. En tout état de cause, je prendrai le peuple et la communauté internationale à témoin. Tout le monde saura qu’on m’empêche de rentrer.
A moins que ce soit vous qui préfériez ne pas rentrer…
Je ne souhaite qu’une chose : retourner chez moi. C’est mon pays, et personne ne peut m’enlever cette appartenance. Je le répète, je veux être au milieu de mes compatriotes, exercer mon mandat de sénateur et de leader politique.
C’est exactement ce que j’ai dit au commissaire européen Louis Michel, quand il est venu me voir ici à Faro, le 13 juillet. Je lui ai confirmé ma volonté de rentre au pays, d’y assumer mes responsabilités politiques dans le respect de la Constitution.
Je n’ai pas du tout l’intention de contester les institutions. Je les respecte. N’oublions pas que j’ai lutté pour engager le pays sur la voie de la démocratie. Et dans un Congo démocratique, le gouvernement gouverne, certes, mais l’opposition contrôle, fait des propositions et formule des critiques. Or, nous sommes, semble-t-il, à un tournant de notre histoire. Ce serait le comble si nous glissons à nouveau vers la dictature.»
Dictature, le mot est fort tout de même !
Quand on attaque les opposants dans leur maison, qu’on pille les résidences des députés et des sénateurs, qu’on arrête des militants, vous appelez cela la démocratie ? Plus de 250 de nos militants sont en prison pour avoir porté des tee-shirts à mon effigie. Ils n’ont même pas été jugés. Les locaux de mes chaînes de télévision ont été saccagés à trois reprises en moins de huit mois. Mais que veut-on en fin de compte ?
Une démocratie qui respecte les droits de l’opposition ou une dictature qui les piétine ?
Comment sortir de la situation actuelle ?
Par la voie du dialogue, bien sûr. Un Congo qui connaît une dérive totalitaire n’inspire pas confiance.
Aucun investisseur sérieux ne voudra s’y installer. Le Congo ne peut pas être un pays fermé sur lui-même. Il est entouré par neuf voisins. Sa position géographique, sa taille font qu’il domine l’Afrique centrale. Une instabilité de ses institutions peut avoir des conséquences graves sur toute la région.
Le Parlement est en train de discuter une loi instituant un statut de l’opposition. Son porte-parole serait notamment élevé au rang de ministre d’Etat. Cela va, apparemment, dans le sens que vous souhaitiez…
On ne fait pas une loi pour un individu, mais pour créer un environnement démocratique. Tout cela est d’ailleurs la conséquence logique des élections. C’est une bonne chose. Même en France, le nouveau pouvoir veut améliorer le statut de l’opposition. En démocratie, le pouvoir ne doit pas avoir peur de l’opposition.
J’admire énormément la manière moderne avec laquelle le président français Nicolas Sarkozy traite certains de ses adversaires politiques. Je me reconnais volontiers dans cette démarche…
Pensez-vous qu’elle soit possible au Congo ?
Absolument. Les élections sont terminées, il faut à présent gérer le pays. Et je vois mal comment on pourrait le faire en mettant de côté les 42% des électeurs qui ont voté pour moi au second tour de la présidentielle.
Depuis deux mois et demi, l’opposition parlementaire tente de rencontrer le président Kabila, en vain.
Elle ne cherche pourtant qu’à l’entretenir de problèmes d’intérêt national. La nouvelle loi sur le statut de l’opposition devrait éviter ce genre de blocage. En réalité, je ne reconnais pas aujourd’hui le Congo pour lequel je me suis battu et dont rêvent les Congolais. Car si on juge la qualité d’une démocratie à la possibilité pour la minorité de s’exprimer, on est encore loin du compte. Je crois à l’ouverture, pas au système de pensée unique.
Comment continuez-vous le combat politique, depuis Faro ?
Je suis toujours le président du MLC, le Mouvement de libération du Congo, et je sais m’organiser.
J’ai des collaborateurs avec qui je travaille quotidiennement. Je rencontre aussi beaucoup de monde.
Votre parti connaît des tiraillements…
Ce n’est pas facile. Mais nos structures fonctionnent. Membres du bureau politique, députés, sénateurs, structures provinciales, tout le monde travaille, malgré les obstacles, les intimidations.
Quelles sont les faiblesses que vous avez notées en matière de bonne gouvernance ?
Je ne peux pas entrer dans les détails. On m’accusera de chercher à polémiquer, et ce n’est pas le but de ma démarche.
Croyez-vous qu’on est au moins sur la bonne voie ?
Evidemment non. Et ce n’est pas seulement Jean-Pierre Bemba qui le dit. La bonne question à poser est d’ailleurs de savoir si la population se sent gouvernée. Mes compatriotes qui liront cet entretien répondront eux-mêmes.
Mais encore ?
C’est clair, je ne souhaite pas insister. Mon objectif est de faire en sorte que la démocratie s’installe dans mon pays. Pour cela, il faut que je puisse rentrer et exercer mon mandat parlementaire.
Quant aux questions politiques, mes camarades députés, sénateurs et autres collaborateurs s’en chargent au jour le jour. En ce qui me concerne, je prépare l’avenir et organise mon temps à cet effet. La prochaine présidentielle est dans quatre ans. C’est cette échéance qui occupe ma réflexion. J’essaie d’imaginer ce que sera le pays dans quatre ans et de concevoir les réformes dont il aura besoin.»
«Est-ce là votre programme pour les quatre ans à venir ?
Absolument. Nous ne voulons pas être pris au dépourvu si en 2011 le peuple nous fait confiance.
Car, il aura besoin de solutions immédiates. Voilà le vrai chantier. Pour le reste, tout le monde voit ce qui se passe.
Jean-Pierre Bemba a-t-t-il tourné le dos au business ?
Pas totalement. J’ai encore quelques avions que je mets en location. Mais depuis que je suis entré en politique, je ne fais plus beaucoup d’affaires.
Et la téléphonie ?
Je n’ai pas abandonné. Le régime précédent s’est organisé pour que mes sociétés ne puissent plus fonctionner.
En Afrique, la politique coûte cher. Et c’est le chef qui prend tout en charge…
Chez nous, au MLC, les militants cotisent, les élus également. Ce sont eux qui assurent la vie du parti et qui font tourner la boutique, comme on dit.
A Faro, vous devez être isolé de la scène internationale…
Détrompez-vous. J’entretiens des contacts avec de nombreuses personnalités, des chefs d’Etat…
Y compris avec les voisins rwandais, ougandais, angolais ?
Avec tout le monde, dans la région et en dehors, car nous sommes tous préoccupés par le problème de la sécurité à l’intérieur du pays et à ses frontières. Mais ce sont les tenants du pouvoir, Kabila et son gouvernement, qui sont aux responsabilités. Ce n’est pas Jean-Pierre Bemba, ce ne sont pas les opposants, ce n’est pas non plus la communauté internationale. La réalité, c’est que nous ne savons pas où nous allons, à cause du déficit de démocratie au Congo.
Suite à une plainte de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) contre l’ancien président centrafricain Ange-Félix Patassé et contre vous-même, la Cour pénale internationale a décidé de lancer une enquête à propos des exactions qu’auraient commises vos miliciens sur les populations de Bangui, en 2002 et 2003…
Je vous arrête tout de suite. Je n’ai rien à dire sur cette histoire. Ces accusations sont totalement infondées. Je ne me sens pas concerné. C’est le Congo qui m’intéresse.
A quand remonte avec votre dernier contact, physique ou téléphonique, avec le président Kabila ?
A l’année dernière, à l’époque où j’étais encore vice-président.
Depuis, plus rien ?
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