AFP
08/04/15
Un geste symbolique, un bon début qui demande à être confirmé, mais pas une avancée décisive. Militants associatifs, parties civiles, avocats et chercheurs restaient prudents mercredi après l’annonce de la déclassification d’archives de la présidence française sur le génocide au Rwanda.
“Ce qui me fait sourire, c’est la date choisie”, au 21e anniversaire du déclenchement du génocide dans lequel ont péri quelque 800.000 personnes, principalement des Tutsi, dit Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), association à l’origine de la plupart des plaintes en France contre de présumés génocidaires.
“Il ne faudrait pas que nos autorités pensent qu’elle nous font un cadeau qui nous ferait taire, ça ne nous empêchera pas de continuer à réclamer toute la lumière sur le rôle de la France avant, pendant et après le génocide”. Paris est toujours accusé de complicité par le pouvoir de Kigali, issu de la rébellion tutsi qui chassa en 1994 les génocidaires hutu.
M. Gauthier reconnait “a priori une bonne nouvelle”, mais avec un bémol: “ce ne sont peut-être pas les archives les plus importantes pour apprendre des choses sur le rôle de la France”.
Avis largement partagé, nombre d’experts souhaitant l’accès aux archives du quai d’Orsay (Affaires étrangères), du ministère de la Défense, de la mission d’information parlementaire de 1998, voire de l’Institut François Mitterrand. Choses qui seront faites (au moins pour les trois premières), a assuré mardi l’Elysée, mais chacune “à son rythme”, sans échéancier précis. L’Institut François Mitterrand, établissement privé, est présidé par Hubert Védrine, ancien secrétaire-général de l’Elysée au moment du génocide.
L’annonce de mardi “ne va pas révolutionner les connaissances”, abonde ainsi Rémi Korman, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales. “Avoir des éléments, par exemple, sur l’opération Turquoise (opération militaro-humanitaire de l’armée française de juin à août 1994), serait un enjeu beaucoup plus important.”
L’association Survie, qui pourfend la “Françafrique”, craint elle une “déclassification en trompe l’oeil”. Jugeant “vraisemblable que les documents mentionnés sont déjà connus”, l’ONG exprime le souhait que ce “premier pas vers la transparence s’accompagne d’autres bien plus décisifs”.
– ‘Démarche de vérité’ –
Elle dénonce ainsi les refus de déclassification de documents “secret-défense” plusieurs fois opposés aux juges français instruisant des dossiers liés au génocide au pôle spécialisé créé en 2002 à Paris.
La justice française a une vingtaine de dossiers liés au Rwanda, dont une plainte visant directement l’armée française. Un tout premier procès a eu lieu en 2014, juste avant le 20e anniversaire du génocide, aboutissant à la condamnation d’un ancien membre de la garde présidentielle rwandaise à 25 ans de prison. Un deuxième pourrait avoir lieu à partir de mai 2016.
Emmanuel Daoud, avocat de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) à ce premier procès, souhaite lui aussi la déclassification des documents secret-défense: “Ce serait illogique de procéder à cette mise à disposition sans aller jusqu’au bout de la démarche de vérité pour lutter contre l’impunité ici et là-bas. Ça n’aurait pas de sens, ça ne peut pas être une poire pour la soif”.
Pour lui aussi, le plus important est “la déclassification annoncée” des archives militaires et diplomatiques. “Si elle se confirme, ça devrait permettre d’avoir sinon des certitudes, du moins une vision plus claire de l’implication ou non de l’armée française: soit son incapacité à protéger les populations tutsi alors qu’elle en avait reçu mandat, soit de s’être rendue coupable d’inaction ou de complicité du pouvoir génocidaire”.
En attendant, “la priorité c’est évidemment de déclassifier les documents concernant les dossiers à l’instruction, que l’on sache quelles sont les instructions politiques et militaires qui ont été données à nos forces sur place”, poursuit l’avocat.
Concernant les documents annoncés par l’Elysée, les juges français pourront demander accès aux documents. Les parties civiles peuvent elles s’adresser à la commission d’accès aux documents administratifs, soit faire une “demande d’acte” aux juges qui instruisent les dossiers, s’ils ne le faisaient pas de leur propre initiative.