Colette Braeckman
08/02/07
Retour sur les affrontements dans l'ouest du pays entre les forces l'ordre et des partisans d'un mouvement politico-religieux qui auraient fait plus d'une centaine de morts. Inquiète de la violence qui a éclaté dans le Bas-Congo du 31 janvier au 2 février, la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) a mené sa propre enquête et son porte-parole militaire a déclaré qu'il estimait à environ 134 le nombre de victimes. Le bilan officiel du Ministère congolais de l'intérieur est de 87 morts, dont dix membres des forces de l'ordre. Près de 300 Casques bleus ont été déployés dans le Bas Congo et une équipe multidisciplinaire a été envoyée sur place afin d'évaluer la situation sécuritaire et les besoins d'urgence. D'après plusieurs témoignages recueillis sur place, des raisons
politiques sont à l'origine des tensions: lors de l'élection, le 27 janvier, du gouverneur de province et de son adjoint, au suffrage indirect, les élus provinciaux membres de l'UN (la coalition ayant soutenu Jean-Pierre Bemba à la présidentielle d'octobre dernier) tournèrent casaque, se prononçant en faveur d'un candidat d'un parti proche du président Joseph Kabila.
Selon un témoin local, «les élus se sont sentis délaissés, car après sa défaite électorale, Jean-Pierre Bemba n'a plus organisé de réunion ni dépêché de membres de son équipe. Mais surtout, suivant la formule, «l'argent a circulé: les «grands électeurs» ont reçu 5000 dollars avant le vote, et la promesse de recevoir l'équivalent plus tard, à condition de voter pour le candidat de Joseph Kabila». Ce qui fut fait, à la grande fureur du groupe politico-religieux Bundu dia Kongo. Cette organisation, que beaucoup qualifient de «secte», s'était prononcée en faveur de Jean-Pierre Bemba. Son chef spirituel, Muanda Nsemi, est député national sur les listes du Mouvement de libération du Congo (MLC), le parti du perdant de la présidentielle.
De source militaire, les violences se sont déclenchées lorsque la police de Matadi, perquisitionnant au siège de Bundu dia Kongo, y découvrit des dépôts d'armes. Cette opération fut suivie de combats de rue. Selon l'ONG «La Voix des Sans Voix» les affrontements à Matadi se sont soldés par 18 tués, 10 blessés et des dégâts matériels importants comme la mise à sac de la Cour d'ordre militaire. A Muanda, les bâtiments publics ont été encerclés et saccagés par une foule en furie. Mais surtout, quatre policiers et deux militaires ont été tués à la machette par les manifestants qui les mutilèrent et ont refusé de rendre les corps. Dépassés par les événements, les policiers ont alors fait appel à l'armée et des centaines de militaires furent dépêchés depuis Kitona et Banana. Ces hommes, non formés au contrôle des foules, sont intervenus avec brutalité, ouvrant le feu sur les civils. Des
adeptes de Bundu dia Kongo ont été abattus sans sommation et poursuivis jusque dans leur église, qui a été incendiée par la suite. Entre-temps, les manifestations avaient fait tâche d'huile dans les autres villes du Bas-Congo, Boma, Songololo, Kisantu, Mbanza-Ngungu, Kimpese. Extrêmement préoccupée, la Monuc a demandé de «respecter le principe de proportionnalité» et certains de ses responsables parlent de «massacre». En effet, l'armée a ouvert le feu sur les manifestants armés de bâtons et d'armes blanches. Cependant, selon des témoins, le spectacle de ces foules fanatisées évoquait les «techniques» mises en œuvre au Rwanda ou dans l'Ituri (région située dans l'est du pays). Le Ministère de l'intérieur affirme avoir voulu déjouer un plan visant à paralyser la province et à couper la route reliant Kinshasa au port de Matadi, vitale pour l'approvisionnement de la capitale tandis que le barrage d'Inga, essentiel pour l'approvisionnement en énergie de toute la sous région, aurait pu être menacé. Même si le calme est revenu, les observateurs relèvent que le Bas-Congo a gardé tout son potentiel insurrectionnel, d'autant plus dangereux que le baril de poudre se trouve aux portes de la capitale.
(Le Temps.ch 08/02/2007)