Kenge Mukengeshayi
23/06/07
Le chairman du CNDP accuse : « Au lendemain de l’Accord de Kigali, le Porte-parole du Président de la RDC s’est empressé d’en nier l’existence, embarrassant du coup à la fois l’Envoyé Personnel du chef de l’Etat, mais aussi les plus hautes autorités rwandaises dont la médiation avait été sollicitée… »
Ce n’est sans doute pas un simple fait du hasard, si la Note d’Evaluation du « Gentleman agreement » attribuée à Laurent Nkunda a commencé à circuler, subitement, au moment où une délégation du Conseil de sécurité allait séjourner à Kinshasa.
D’abord le contexte. Grâce à ses sources, Le Phare publiait le vendredi 1er juin et en leader, sous le titre « Ce que Nkunda nous prépare », de larges extraits de deux documents attribués à Laurent Nkunda. Le premier, une lettre datée du 07 mai 2007 à Bwiza, adressée au Premier Ministre Antoine Gizenga Fundji. Le général y exposait à grands traits la problématique sécuritaire à l’Est du pays.
Le deuxième document, daté de Bwiza le 14 octobre 2006, est le cahier des charges du « Congrès National pour la Défense du Peuple » dont Laurent Nkunda est le chairman. Ce dernier y développe sa vision de la situation actuelle dans l’Est à travers les questions du processus d’intégration de l’armée, de la présence des forces négatives, du retour des réfugiés… Avant d’avancer des propositions articulées autour du respect du « gentleman agreement » de Kigali et de l’urgence des négociations politiques entre Kinshasa et le CNDP.
« Aurait-on lu Laurent Nkunda en diagonale ? » S’est interrogé lundi, dans ces mêmes colonnes, notre chroniqueur politique (Le Phare n°3101 daté du 18 juin 2007, page 14). Une question qui vaut son pesant d’or au moment où la tension monte de nouveau à l’Est alors que, dans la capitale, les nouveaux vainqueurs – rien appris, rien compris ? – n’ont qu’un seul souci : savourer une victoire qui risque de devenir amère.
Pour que nul n’en ignore, «Le Phare» récidivait le 12 juin en publiant, cette fois in extenso, le cahier des charges du leader du CNDP. Avec cette terrible question : « Le gouvernement aurait-il révoqué le mandant d’arrêt international contre Laurent Nkunda ? Entendrait-il faire de lui l’unique interlocuteur et l’ultime bénéficiaire du dialogue que toutes les tendances politiques et sociales réclament pourtant à haute voix ? »
Nkunda persiste et signe
Cette question n’a jamais reçu de réponse. De la même manière, aucun démenti n’a suivi la publication des documents attribués à Laurent Nkunda. Lequel, pour se faire bien entendre, a récemment récidivé en s’entretenant avec trois grands journalistes de la place de Kinshasa !
Pour le moins donc, on ne peut que se demander où nous en sommes dans cette espèce d’embrouillamini politique, dont les Congolais, échaudés par leur passé le plus récent, ne peuvent avec raison que redouter les effets les plus néfastes.
Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, la preuve que Laurent Nkunda a de la suite dans les idées et qu’il sait ce qu’il veut, c’est la pression qu’il a apparemment décidé de mettre sur les autorités de Kinshasa, avec un nouveau document daté du 1er juin 2007, intitulé « Note d’Evaluation du « Gentleman agreement » conclu à Kigali le 1er janvier 2007 », que Le Phare publie in extenso ci-dessous.
Première observation : la forte ampliation du document, adressé à des personnalités de premier rang : Président de la RD Congo, Président de la République du Rwanda, Président de la République sud-africaine, Président de l’Assemblée Nationale, Président du Sénat, Ministre de la Défense Nationale, Chef d’Etat-major général des Forces Rwandaises de Défense, Chef d’Etat-major (jusqu’il y a peu) de la Force Aérienne à Kinshasa.
Deuxième observation : ce document a commencé à circuler, comme par hasard, au moment où était annoncée la délégation du Conseil de sécurité de l’ONU en RD Congo, au point qu’il est permis de penser que ces messieurs les ambassadeurs onusiens en étaient les principaux destinataires. D’autant que dans leurs récentes déclarations, ces derniers avaient déjà publiquement indiqué que la question de la sécurité – particulièrement dans l’Est – serait au centre de leurs entretiens avec les autorités congolaises. Dans le même ordre d’idées, les dernières missions effectuées dans cette partie de la République par les ambassadeurs français et de l’Union Européenne n’ont malheureusement pas permis de dissiper la grande inquiétude des Congolais. Bien au contraire, largement informé pour l’un par l’Archevêque de Bukavu de la montée de la tension et, pour l’autre, très affecté par le drame des déplacés, les deux diplomates ont indiqué qu’il fallait, de toute urgence, se pencher sur la question de la sécurité dans l’Est.
Habileté politique
Force est donc de constater que non sans une certaine habileté politique et une forte capacité tactique, Laurent Nkunda ne se limite plus à formuler des griefs. Désormais, il passe à l’offensive sur le plan politique et diplomatique, comme pour mettre Kinshasa au pied du mur, en révélant : 1. qu’il y a eu un gentleman agreement suivi d’un cessez le feu ; 2. que c’est Kinshasa qui constitue selon lui l’élément de blocage pour n’avoir pas poursuivi l’opération de mixage et lancé les négociations politiques ; 3. que par contre, le CNDP réalise sa part du contrat en continuant de traquer les Interhamwe.
La question est donc, face à l’avalanche des révélations qui gênent visiblement les autorités, de savoir ce que Kinshasa peut ou ne peut pas faire : renier le gentleman agreement ou poursuivre une collaboration qui irrite une bonne partie de l’électorat des Kivu ; bloquer le mixage et perdre tout contrôle sur Laurent Nkunda ou poursuivre une opération unanimement décriée avec le risque de transformer le paria d’hier en véritable héros populaire ?
Une chose est sûre : toutes les guerres qui ont démarré dans l’Est de la RD Congo depuis 10 ans avaient au départ un soubassement ethnique. Il s’agit désormais de prévenir plutôt que de guérir. Ensuite, la politique, c’est aussi le courage des choix même les plus douloureux si, au bout du processus, le gain est la paix, l’entente et la réconciliation nationale. Or, tous les analystes conviennent que dans la situation actuelle de notre armée, il est difficile, sans certains compromis certes douloureux, de faire face à l’hydre de l’insécurité dans les Kivus. Un dilemme que seul le Président de la République peut dénouer en se fondant sur ses prérogatives constitutionnelles de garant de la paix et de la sécurité des Congolais.
Il est vrai que la délégation du Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas dit autre chose, comme si elle avait lu Laurent Nkunda, en privilégiant la solution politique et diplomatique, quand bien même les diplomates onusiens n’ignorent pas que tous les voisins de la RDC ne lui souhaitent pas nécessairement, pour leur propre confort, de redevenir une puissance sous-régionale comme ce fut le cas il y a de cela quelques années. D’ici-là, s’il faut s’en tenir aux propos des présidents des deux chambres du Parlement face à la délégation du Conseil de sécurité de l’ONU, il ne serait pas du tout exagéré de penser que l’idée fait lentement mais sûrement son chemin dans les cercles du pouvoir à Kinshasa, où l’on aurait visiblement besoin d’un temps malheureusement de plus en plus compté.
Reste que l’initiative, le mouvement, la proposition, face à l’immobilisme de ceux qui font de l’insécurité dans les Kivus leur fonds de commerce, ceux qui ne présentent aucune alternative réellement sérieuse face à la souffrance des populations, ni contre les raids des Fdlr, ni contre les faiblesses structurelles des Fardc, ni enfin contre la haine ethnique, c’est cela faire la politique, la vraie, et non celle qui consiste à jouir du pouvoir envers et contre tous, au risque de nourrir les tensions, les frustrations et les violences. C’est cela avoir un grand destin national et une grande ambition pour le pays.
L’histoire des grands peuples et des grandes nations nous apprend à ce propos qu’en 1945, le Japon faisait le choix de tourner le dos à la guerre pour concentrer tous ses moyens dans la formation de sa jeunesse et la reconstruction. Il est aujourd’hui la deuxième puissance industrielle du monde. Un miracle authentique dont il faut déduire, comme disait le Maître, que la foi soulève les montagnes. Mais aussi et surtout, que ce qui fait l’homme et le différencie des autres espèces, c’est la force de l’esprit et non l’esprit de la force.
le Phare