Un cocktail explosif pour le gouvernement Gizenga.
Marcellin Sole
05/22/07
"En fait, l’Angola a évalué son budget 2007 à +/- 30 milliards de dollars, avec une population de ± 11 millions d’habitants. Le Congo/Brazzaville affiche un budget 2007 estimé à 3 milliards USD, avec une population de moins de 3 millions d’habitants. Pour faire face aux nombreux défis et problèmes qui se posent, la RDC a besoin d’un budget plus consistant, mais la capacité contributive de son économie pour financer le budget est sous-évaluée. C’est, notamment, sur ce terrain que le gouvernement issu des urnes, doit opérer des réformes."
Ce passage est tiré d’un article publié récemment par le journal de Kinshasa « L’Observateur » qui parlait de la modicité et du retard dans l’élaboration du budget 2007 évalué à 2,150 milliards USD pour une population de 60 millions d’habitants. A ce propos, le ministre du Budget a récemment déclaré que le budget 2007 sera financé à 60% par les recettes internes et à 40% par des appuis budgétaires attendus des partenaires. Dans tous les cas, il reste encore beaucoup de zones d’ombre sur les chiffres exacts relatifs au social, aux investissements… Avant d’être déposé au Parlement, ce budget doit être d’abord débattu au niveau du gouvernement. En ce qui concerne les appuis attendus de l’extérieur, il faudrait attendre la conclusion des négociations en cours. Le retard observé dans l’élaboration du budget 2007 tient au fait qu’il faudrait attendre la conclusion des discussions engagées avec les partenaires extérieurs susceptibles d’apporter des appuis budgétaires. Plus ces discussions durent, il est difficile de boucler le projet de budget 2007 pensent certains observateurs.
Pour le ministre des Finances, c’est toute une autre version des faits. De retour des assises mondiales qui ont regroupé tous les pays membres de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, il a déclaré avoir reçu des promesses de la relance des négociations avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International pour un nouveau programme dit « Triennal » et dont les paramètres seront, a-t-il indiqué, définis dès le mois de septembre 2007. Suivant ses explications, il est clair que l’enveloppe attendue des bailleurs des fonds pour appuyer le budget 2007, sera accordée plus tard. A en croire le ministre, ce retard est dû à l’échec du Programme Relais de Consolidation (PRC).
Le djihadisme financier des organismes internationaux
Pour mieux comprendre nos appréhensions, et éviter d’être embarqué dans un arsenal de dispositifs trompeurs garnis de bonnes promesses et racontées avec talent, nous allons décrire la quintessence des programmes économiques dans l’entendement des Institutions Financières Internationales ainsi que l’état des lieux. Ceci vous permettra de saisir le jeu subtil des fonctionnaires de Washington qui n’entrevoit aucune alternative immédiate devant prendre en considération la misère du peuple et les possibilités d’y remédier. En effet, la structure de l‘économie congolaise porte en elle-même les germes de blocage endogènes (la culture d’une élite affairiste) et exogènes ( le modèle économique hérité du colonialiste ). Il y a cinq ans, la R.D.Congo reprenait contact avec les Institutions de Bretton Woods (IBW)
à travers le programme économique du gouvernement (PEG) comprenant : le programme intérimaire renforcé (PIR) qui avait comme objectif de rompre avec l’hyper-inflation et favoriser la stabilité de la monnaie. Le PIR sera suivi du programme d’urgence d’autofinancement alimentaire ( PUAA ), celui d’urgence pour la réhabilitation rapide ( PURR ) et finalement le fameux programme multisectoriel d’urgence pour la réhabilitation et la reconstruction ( PMURR ) d’un coût global de 1,7 milliards de dollars devant provenir du financement extérieur. Le Programme économique du gouvernement (PEG), qui depuis avril 2002, liait la RD Congo aux partenaires, s’est arrêté brutalement le 31/03/06 suite à des résultats catastrophiques au niveau des dépenses budgétaires. Il a été remplacé par un programme de stabilisation, dit Programme relais de consolidation (PRC) dont la spécificité était de ne bénéficier d’aucune assistance des partenaires extérieurs jusqu’en décembre 2006. La RDC sera obligée de fonctionner avec ses propres moyens et l’on sait dans quelles conditions socio-économiques la Transition politique s’est achevée consacrant l’échec du PRC. Et pourtant, ce dernier était censé baliser le chemin entre avril et décembre 2006, pour faciliter la conclusion d'un deuxième programme économique du gouvernement, au titre de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). On en est resté à ce stade d’une interminable suite de programmes inintelligibles dont personne à Kinshasa, Paris ou Washington ne peut démontrer leur efficacité en terme du vécu quotidien des populations durant plus de 5 ans de leur application.
A ce jour, les Institutions de Bretton Woods ont décaissé près de 1,4 milliards de dollars dont 70 % ont servi à apurer les arriérés au près d’elles et le reste à financer des projets mal ficelés à cause de la cupidité des responsables congolais et des experts internationaux. Certes des résultats probants – dans quelques régions du pays – avaient été enregistrés au niveau de la maîtrise de l’inflation, une certaine stabilité du Franc congolais sur les marchés de change. Mais sur le plan social, ce fut une catastrophe durant la triste Transition comme l’a si bien décrit le rapport mondial sur le développement humain 2006 : « La RDC est l¢un des 59 pays prioritaires qui ont pris la direction contraire à celle tracée par les objectifs du Millénaire pour le développement ( OMD ) consistant à réduire de moitié, d¢ici 2015, la proportion de la population vivant avec un dollar/jour et celle souffrant de la faim. » Ce rapport parle d’une pauvreté accrue avec près de 80 % des ménages qui dépensent 29 cents américains/jour, 86 % des ménages consomment moins de 3 repas/jour, l’apport calorifique estimé à 1.800/jour alors que la norme minimale est de 2.500 calories, 31 % d’enfants âgés de 6 à 14 ans n’ont jamais fréquenté l’école dont 56 % des filles, 1 enfant sur 5 meurt avant l’âge de 5 ans et 126 enfants sur 1.000 meurent sans avoir fêté leur 1er anniversaire, sur 100.000 naissances vivantes il y a 1.289 femmes qui meurent des suites de grossesse ou d’accouchement, etc.… bref un tableau apocalyptique qui contraste avec les satisfecit affichés par les autorités congolaises et leurs mentors occidentaux. L’adhésion de la RDC à l’initiative Ppte ( pays pauvres très endettés ) avait été présentée comme la panacée ouvrant la voie au bonheur de nos populations et pourtant c’est tout un processus qui devrait durer 2 à 3 ans durant lesquels les experts internationaux et les autorités du pays allaient continuer à laminer les efforts d’un peuple en le nourrissant d’espoir. En effet, et en des termes plus simples, l’éligibilité de la R.D.Congo à l’initiative Ppte étaient en fait l’admission à la 1ère étape appelée « Point de décision » suite aux éventuels succès des programmes intérimaires renforcés ( Juin 2001 à mars 2006 ) censés stopper le cycle infernal de l’hyper-inflation et de la dépréciation continue du Franc congolais. Cette étape étaient le prélude à l’accès aux avantages du mécanisme Ppte constitués non seulement du rééchelonnement de la dette extérieure, mais surtout de l’effacement de plus de 80 % de ce handicap majeur au développement socio-économique, soit 5,4 milliards de dollars sur un total de +/- 10 milliards. Le passage du « Point de décision » au « Point d’achèvement » qui était la 2ème étape appelée aussi « période flottante » devrait durer 2 à 3 ans pour vérifier la consolidation de la stabilité macro-économique et la promotion d’une croissance soutenable. Ce n’est qu’au vu des progrès réalisés, d’ici 2008, dans la mise en œuvre d’une politique de développement axée sur la lutte contre la pauvreté que les allégements des dettes prévus produiraient leurs effets, parce qu’irrévocables ! C’est cela la triste réalité des relations entre notre pays et les Institutions de Bretton Woods qui ressemblent plus à un jeu d’esprit ou mieux à une fiction au regard de la misère humaine qui continue d’envelopper la R.D. Congo. Le Pr Jeffrey SACHS de l’Université Harvard est parmi ceux qui se sentent révoltés par l’hypocrisie de l’opération « remise partielle de la dette » car cette stratégie oblige les pays pauvres à rembourser plus sûrement les tranches et le service de la dette restante. Il préconise que non seulement les dettes soient effacées en totalité mais que les Institutions de Bretton Woods ( Ibw ) donnent des aides massives afin de permettre à ces pays de sortir réellement de leur pauvreté accrue. Les quelques pays qui ont été qualifiés pour l’initiative Ppte ont vu leurs dettes effacées avec possibilité de réinvestir les sommes devant être remboursées dans les domaines recommandés par le FMI. Mais depuis, certains ont replongé dans le rouge soit parce qu’ils ont contracté de nouveaux emprunts, soit qu’ils ont continué à exporter peu pour inverser la tendance. C’est pourquoi nous pensons que les Ibw s’attaquent certainement à de vrais problèmes mais en appliquant des méthodes inadéquates, ne tenant pas compte des réalités spécifiques de chaque pays en programme avec le FMI et la Banque Mondiale.
La corruption : un élément du code génétique de l’élite congolaise ?
Prenons le cas de la RD Congo qui rêve de sortir de sa longue période sombre caractérisée par l’exploitation systématique de ses ressources au profit d’un gang de prédateurs-mobutistes, par un terrorisme financier préventif de l’ère afdelienne et actuellement par le nouveau concept sibyllin de libéralisme économique à la base de la liquidation méchante du patrimoine minier : la signature de contrats léonins. Pour mieux masquer leur irresponsabilité, les autorités du pays ont accepté de se soumettre aveuglement à des programmes standardisés à conditionnalités multiples. Et pourtant, tout espoir de développement passe par la restructuration préalable de notre économie en s’attaquant aux origines du mal avant de penser à des schémas de financement. Rappelons que le Congo est resté un pays de paradoxe avec des potentialités immenses au carrefour des enjeux internationaux en face d’une misère noire qui le classe au plus bas niveau des pays pauvres. A ce sujet, nous avons apprécié l’analyse de M. MAYEMBA qui a développé une thèse portant sur deux modèles fondamentaux. D’un côté le modèle d’un sous-développement subi et imposé par la colonisation pour l’industrialisation de l’occident. Notre économie a été montée selon une structure d’extraversion pour servir de réserve en matières premières indispensables au développement de l’hémisphère Nord. Le système bancaire devrait ainsi répondre à cette exigence en finançant exclusivement les produits d’exportation dont les prix restent fixés par les mêmes acheteurs jusqu’à ce jour. Ce schéma d’exploitation systématique des richesses n’a jamais tenu compte des exigences des populations autochtones considérées comme superflues. D’un autre côté surgit le modèle d’un sous-développement spécifiquement culturel ancré dans l’âme et l’être de l’élite congolaise. Tous les dirigeants ( intellectuels ou non ) qui se sont succédé à la tête du pays l’ont géré comme un bien abandonné par le colonisateur belge sans se soucier de son avenir. Il n’est donc pas surprenant de constater que cette élite s’est donnée à cœur joie au pillage des ressources en encourageant les étrangers à y participer. Depuis plus de 40 ans d’indépendance, il n’y a pas eu émergence d’une classe d’entrepreneurs capables d’impulser un dynamisme économique en vue de la création de richesses pour le bien-être des populations. L’analyste MAYEMBA conclut en disant : « Les deux modèles se sont toujours manifestés simultanément dans une relation de causalité en corroborant à l’érection d’une nation vouée à un effondrement continuel. A ce point, l’échec actuel du Congo interpelle et les origines de son sous-développement intégral continuent à tout remettre en question… » Ce point de vue semble être justifié par le récent état des lieux décrit par le journaliste René Lefort du Nouvelob en ces termes : " Corruption et prédation, pratiquées à la fois par la classe politique et des entreprises étrangères, étaient les deux piliers du système Mobutu. Malgré l'intervention massive et musclée de la communauté internationale, la « transition démocratique » et l'élection de Joseph Kabila, rien n'a changé…[..] Entre les deux tiers et les trois quarts des recettes fiscales n'ont jamais atteint les caisses de l'Etat. Un quart du budget national, dont les bailleurs internationaux financent pourtant plus de la moitié, s'est évaporé, sans qu'il faille en déduire que le reste aurait été convenablement dépensé. Plus la fin de la transition approchait, plus la voracité de ses animateurs s'aiguisait puisque ceux qui allaient perdre les élections savaient qu'ils seraient privés de leur part du gâteau. Des ministres ont laissé à leur successeur un bureau nu, emportant à leur départ tout le mobilier, jusqu'aux rideaux. [..] Après un tour des ministères du nouveau gouvernement Gizenga pour proposer ses services, un expert d'un cabinet d'études est revenu stupéfait du décalage entre la situation du pays et l'attitude de ses dirigeants. «Non seulement leurs dossiers sont vides, a-t-il constaté, mais ils sont encore plus gourmands qu'au Gabon ou au Cameroun! La plupart sont des néophytes avec une carrière très ordinaire et, au mieux, une bicoque et une vieille bagnole. Ils se disent : c'est maintenant ou jamais!» A tort ? Pendant toute la transition, personne n'a été condamné pour corruption. L'impunité est totale. L'exemple vient d'en haut ". Humaniser et responsabiliser le politique congolais, en faire un guide pour le développement du pays, c’est possible, mais cela reste un défi pour tous les intellectuels afin d’offrir à nos populations un lendemain meilleur. C’est dans ce cadre que nous félicitons la corporation des syndicats des travailleurs congolais qui vient d’adresser une lettre au Premier ministre dans laquelle elle démontre que la RD Congo peut se passer des appuis financiers dans l’élaboration du budget 2007 car, avec un minimum de bonne volonté, le gouvernement pourrait réunir 10 milliards de recettes publiques si des mesures drastiques sont prises à tous les niveaux. Certaines pistes ont été donnée notamment : le renforcement de la mobilisation des recettes internes; l’élargissement des sources de recettes à savoir le paiement de la CPM (Contribution personnelle minimum), des impôts fonciers et locatifs sans oublier les diverses fraudes consistant par des minorisations des recettes en faveur de l’Etat; la suppression des exonérations inconsidérées; la lutte contre la minoration des recettes dans le domaine des accises qui sur plus de 150 produits éligibles (taxables) frappent seulement quelque 16 produits qui à eux seuls ont généré quelque 35 milliards de francs congolais en 2006; la lutte contre la fuite des recettes notamment dans les régies financières grâce au renforcement de la bonne gouvernance et l’activation du système d’audit; la mobilisation des recettes dans les secteurs fiscalisés et non fiscalisés; … bref un peu de sérieux et d’honnêteté dans le travail de nos responsables. Malheureusement, on a de plus en plus l’impression que la corruption constitue un élément du code génétique de l’élite congolais. Dans un numéro de « L’Intelligent » M. Francis Kpantide n’a pas eu tort en écrivant : « La République démocratique du Congo, qui se félicite de façon quelque peu indécente de sa récente admission au sein du club des pauvres : on pouvait rêver meilleur dessein pour un pays aussi riche… ».
Marcellin Sole
Consultant
Bureau d’Etudes et de Développement
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