J.-P. Mbelu
26/04/07
Il y a une donne de la mondialisation que certains gouvernants Congolais friands du « secret d’Etat » et/ou de ses mensonges n’arrivent pas à apprécier à sa juste valeur. Il s’agit de la mondialisation des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC). Même si ces dernières peuvent jouer un rôle ambigu, c’est-à-dire informer et décerveler, leur usage partagé et critique est d’un apport inestimable pour « les fouineurs », les analystes politiques et les chercheurs.
Au jour d’aujourd’hui, ce que les médias congolais n’écrivent pas par peur des représailles peut être écrit par les journaux français, belges ou américains et être mis à la disposition des millions des lecteurs à travers le monde. Internet aidant, le musellement de la presse devient de plus en plus une entreprise obscurantiste inutile et contre-productif pour ses initiateurs. La relecture des derniers articles de Marie-France Cros publiés dans La Libre Belgique de ces deux derniers jours confirme en quelque sorte cette thèse. C’est à cet exercice que nous nous livrons dans les lignes qui suivent. Nous en tirerons quelques leçons et nous poserons quelques questions suscitées par la relecture de ce contact entre « la spécialiste belge du Congo » et quelques Congolais. Les Congolais (es) lisant régulièrement La Libre Belgique doivent s’être rendu (e)s compte du changement survenu dans le traitement et le reportage des informations faits par la journaliste belge Marie-France Cros. Ses articles publiés les 24 et 25 avril 2007 décrivent la situation politique actuelle du Congo telle que les Congolais (es) la vivent et/ou la subissent sur place. En effet, échangeant avec les Congolais (es) Marie-France Cros constate qu’ « on va vers la pensée unique » (La Libre Belgique du 24 avril), que « l’espoir est en train de disparaître » (La Libre Belgique du 25 avril).
Elle remarque que « les Congolais sont inquiets de la quasi-absence de leur gouvernement. Deux mois après son investiture, rien n’indique que le travail a commencé. » (M.-F. Cros, L’espoir est en train de disparaître, dans La Libre Belgique du 25 avril 2007). Elle affirme que « le problème, c’est d’abord et avant tout, pour le Kinois moyen, la quasi-absence du gouvernement. Ce dernier, depuis son investiture, ne s’est réuni que trois fois, dont deux fois brièvement, pour mettre au point un communiqué, et une fois pour discuter de…la vente d’alcool en sachets. Une action à son actif : la récupération de plusieurs dizaines de voitures appartenant à des ministères et indûment accaparées par l’équipe de la transition, sortante. » (Ibidem) Elle donne raison aux analystes ayant prédit l’échec du gouvernement Gizenga. « Comme les analystes le craignaient, écrit-elle, le cabinet Gizenga est plombé par l’âge du Premier ministre (83 ans), qui le rend incapable de fournir l’énorme quantité de travail nécessaire pour remettre le pays en route; par l’insuffisance d’élites dans son parti, le Palu (parti lumumbiste unifié); par l’inexpérience de ses ministres. » (Ibidem). La mollesse du Premier Ministre contribuerait à l’accroissement du pouvoir de Kabila. En sus, interroge un ressortissant du Bandundu, « Gizenga est-il dans la logique du chef coutumier à qui on a fait des promesses et qui se contente d’être chef, sans se préoccuper de servir? » (Ibidem).
Un autre ressortissant du Bandundu, le Père Ekwa, s’inquiète de l’inaction de ce gouvernement préoccupé par « les séminaires » et « les fêtes ». Il n’a pas été capable de prises de positions officielles sur les événements majeurs du Bas-Congo (massacres des adeptes de Bundu dia Kongo le 31 janvier et le 1er février), du Bandundu (l’occupation des 13 villages de Kahemba par l’armée angolaise) et de Kinshasa (la guerre des 22 et 23 mars). Au contact des Kinois, Marie-France Cros a entendu des plaintes comme celles-ci : « On va vers la pensée unique. On est en chemin vers la dictature. Cela ressemble aux dernières années de Mobutu. Rien n’a changé depuis les élections, sinon en pire; a-t-on vraiment fait tout cela pour légitimer une dictature? » (M.-F. Cros, On va vers la pensée unique, dans La Libre Belgique du 24 avril 2007). La chasse faite à nos compatriotes de l’Equateur, assimilés tous aux membres du MLC de Jean-Pierre Bemba, confirme le plongeon que le pays est en train d’effectuer dans la tyrannie. Ce dernier article de Marie-France Cros contient deux notes importantes. La première indiquant que les militaires angolais sont intervenus dans les événements de Kinshasa pour renverser la vapeur. « Si le fil de ces combats doit encore être raconté, on connaît leur issue, note notre « spécialiste » : après que les hommes de Bemba aient pris le dessus, la situation s’est retournée à l’avantage des hommes du président Kabila, appuyés par les angolais. » (Ibidem). Elle ajoute ceci en note (1) : « De bonne source, certains étaient déjà sur place; d’autres sont arrivés le 23 par avion et sont resté à Ndjili; un groupe arrivé par la route du Bas-Congo s’est rendu au centre-ville. » (Ibidem). Une deuxième note contredit le Ministre belge de la Défense ayant affirmé lors de ces événements que les enfants se trouvant à l’Ecole belge n’étaient pas en danger. Cette note (2) indique que « l’Ecole belge est à 1 km du Collège Boboto et que les enfants y ont bien été en danger, contrairement à ce qu’a dit le ministre belge de la Défense, André Flahaut, estiment les parents des élèves, qui lui ont écrit une lettre de protestation. » (Ibidem).
Quelques leçons pour nous
Cette relecture des derniers articles de Marie-France Cros révèle que le contact avec les Congolais (es) de la base a enrichi ses reportages. Il est révélateur du climat délétère que connaît le pays depuis bientôt plus de dix ans. Ces articles publiés dans La Libre Belgique, un des journaux belges les plus lus en Wallonie et à Bruxelles, peuvent permettre aux contribuables belges d’avoir une information plus ou moins objective sur ce qui se passe au Congo et de mesurer les risques que certains de leurs gouvernants prennent en soutenant un pouvoir inefficace fondé sur la violence et les mensonges. Au besoin, ils peuvent un jour leur demander des comptes. En effet, dans son interview donnée à la presse locale sur les événements de Kinshasa, Joseph Kabila avait jugé « stupide » le fait que certains compatriotes aient soutenu que les militaires angolais étaient présents aux côtés de « sa milice privée » abusivement appelée « Garde Républicaine ». « La bonne source » de notre « spécialiste » confirme les propos des Congolais (es). Si tel a été le cas, il ne serait pas trop oser de penser que Joseph Kabila a commis un crime de haute trahison en faisant massacrer nos populations par une armée étrangère et qu’il serait déférable devant la justice. Il ne serait pas trop oser de croire que la présence des militaires angolais à Kahemba aurait des liens avec « ces arrangements entre les officiels » de nos deux pays tournant nos populations en bourriques. La question se poserait de savoir si toutes ces interventions de l’Angola au Congo ne se paieraient pas en nature; c’est-à-dire à partir de l’exploitation du diamant de Kahemba (et de Tshikapa!) par les Angolais eux-mêmes sans aucun contrôle. Le recours aux « spécialistes » belges et portugais serait une théâtralisation d’une situation dont les initiateurs connaissent les tenants et les aboutissants.
Pris la main dans la sac par un peuple considéré comme naïf, « ces officiels » chercheraient à gagner du temps en recourant aux « spécialistes ». La relecture des articles de Marie-France Cros donne raison à ceux qui pensent que notre peuple, dans sa grande majorité, meurt « faute de savoir », par ignorance. Il s’instruit trop peu ou ne s’instruit pas du tout. Son savoir et ses informations sur les enjeux réels de notre pays sont on ne peut plus lacunaires. Souvent, l’attachement sentimental à tel ou tel autre « leader politique » l’emporte sur tout effort d’étude, d’analyse et de proposition pragmatiques sur le devenir commun chez nous. Quand notre « spécialiste », au vu de la mollesse du gouvernement Gizenga, avoue à l’écoute des Congolais (es), que les craintes des « analystes » au sujet de l’inefficacité de ce gouvernement n’ont pas été vaines, elle prend au mot une bonne portion de ce peuple qui ne cessait de dire aux « analystes » : « Botika bango basala! (Laissez-les travailler!) », « vous êtes des aigris »; « Gizenga a une longue expérience de nationaliste, il va surprendre; etc. » Ces chants de sirène ont été répercutés par certains « spécialistes belges » de la politique du Congo traitant « les analystes » congolais inquiets de la tournure tragique que prenaient les événements chez eux de « nostalgiques » du mobutisme.
En revenant sur l’information donnée par le ministre belge de la défense au sujet de la sécurité des enfants étudiant à l’Ecole belge et sur la lettre de protestation de leurs parents, Marie-France Cros attire notre attention sur la faillibilité de tous « ces officiels » et sur la nécessité de remettre en question certaines de leurs allégations. Néanmoins, les reportages susmentionnés ne débouchent pas sur des propositions concrètes au sujet de la sortie du long tunnel. Rappelons que la plupart d’analyses des Congolais (es) qualifiés d’aigris par « les bien-pensants » et les autres « spécialistes » de la politique du Congo regorgent de ces propositions. Une lecture attentive, assidue et critique des analyses des Professeurs Philippe Biyoya, Kä Mana, Mbaya Kankwenda, Augustin Mampuya, etc. peut être d’un apport de taille en cette matière. (Est-ce la raison pour laquelle ils n’écrivent presque plus?) Malheureusement, des portions entières de notre peuple n’ont pas la volonté, les moyens et le temps leur permettant de se consacrer aux choses de l’esprit. A l’instar des politiques pouvant s’adonner à cette tâche, ils sont souvent « en séminaire » ou « en fête ». « Dans tous les ministères, confie le père Ekwa, quand vous appelez, ils sont en séminaire. Moi-même, on m’invite sans cesse à des séminaires- sur une série de sujets qui ont été traités cent fois.
Tout se passe comme si personne ne voulait prendre ses responsabilités. (…) Certains croient qu’ils ont travaillé parce qu’ils se sont réunis, alors qu’il n’y a pas de rapport de réunion, ni de suivi des décisions prises. Et on fait des fêtes!…De très nombreuses nominations à des postes publics ont été fêtées; on vous invite pour cela dans un restaurant à 11h du matin, en semaine; c’est pourtant une heure où chacun est censé travailler. » (M.-F. Cros, L’espoir est en train de disparaître, a. cit.) Ils n’est pas étonnant que ces messieurs et dames préfèrent « la tutelle » et « l’aide » à toute assomption rationnelle et responsable de notre histoire commune. Ils doivent être « aidés » pour organiser les fêtes; et « la tutelle » permet aux parrains de penser à la place des « filleuls » et d’orienter la marche du pays… Bien que pauvres en propositions, ces reportages soulèvent quand même quelques questions : « Le désenchantement politique de nos populations se limitera-t-il à la formulation des plaintes au sujet du gouvernement et du retour à la dictature kabiliste ou finira par le pousser à s’organiser, en des groupes de pression et de résistance pour s’assumer comme acteur historique de sa destinée, sans trop attendre que Dieu convertisse les cœurs de gouvernants? Notre peuple, dans sa grande diversité et majorité, finira-t-il par comprendre que son salut ne lui sera jamais fabriqué par un petit groupe de politiciens, par devers lui, tout en lui laissant la possibilité d’en récolter les fruits? Ce peuple finira-t-il par comprendre qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de ces messieurs et dames ayant fondé la gestion du pays sur les séminaires, les fêtes, la violence et les mensonges? » L’avenir nous le dira!
Congolite