RDC: Que veut le Président Joseph Kabila ?

Mokabi Dawa

26/04/07

Aux premières heures de la journée du mercredi 11 avril 2007, Jean Pierre Bemba a pris l’avion pour le Portugal, où il est arrivé avec toute sa famille dans sa villa située dans la banlieue de Faro. Officiellement pour traiter une jambe traumatisée à la suite d’une chute intervenue bien avant les événements des 22 et 23 mars derniers, dans son ex- résidence officielle de la Gombe.

L’exfiltration de l’ancien vice-président de la RD Congo, après moult tractations, a donc eu pour soubassement des considérations d’ordre humanitaire. Paradoxalement, son départ n’a pas apporté l’apaisement politique escompté. Au contraire, ses partisans se plaignent de plus en plus d’une chasse à l’homme organisée par le camp de Joseph Kabila, au point d’obliger les groupes parlementaires de l’opposition à suspendre leur participation aux travaux de l’Assemblée nationale, en guise de protestation.

Si dans certains cas, comme celui du gouverneur de la province de l’Equateur, M. José Makila, cette insécurité est à nuancer, dans la rue kinoise le parti de Jean Pierre Bemba, le Mouvement de Libération du Congo (MLC), est quasiment frappé d’anathème. Une situation qui interpelle de plus en plus les observateurs sur le modèle de démocratie en train de s’élaborer en RD Congo, un pays dont le processus de sortie de crise par voie d’élections lourdement financées par la communauté internationale avait été salué comme « exemplaire ».

Aujourd’hui, le processus semble se dévoyer dans le sang, pendant que le pouvoir à Kinshasa est en train de se radicaliser, en affichant des positions de plus en plus autoritaires et tranchées. Une nouvelle dérive dictatoriale après Mobutu ? « Le Joseph Kabila que vous avez connu avant les élections, recherchant toujours le consensus, n’est pas le même Kabila que celui qui a été élu », expliquait le « petit » Joseph Kabila lors de sa première sortie médiatique après les événements sanglants des 22 et 23 mars 2007.

Agé de 36 ans révolus, ce jeune homme qui semble né avec une cuillère en or dans la bouche, cherche visiblement à prendre ses marques et à faire respecter l’autorité liée à son statut et à sa fonction à Kinshasa, une ville qui l’avait « cocufié » au profit de Jean Pierre Bemba, son principal challenger lors de l’élection présidentielle de juillet 2006. A travers l’impressionnante artillerie déployée en milieu pour déloger la garde de Jean Pierre Bemba dans le cadre d’une vulgaire opération de police, Joseph Kabila a-t-il voulu, a postériori, lancer un message aux Kinoises et Kinois, atteints selon lui de la maladie de la « rumeur » ? En tout cas, il n’a pas caché son irritation face à des expressions du genre « bateki mboka » – « ils ont vendu le pays » – couramment utilisées à Kinshasa et qui le visent personnellement, en le désignant comme un « étranger » complice des « envahisseurs ». De leur côté, les chancelleries occidentales à Kinshasa ont semblé accréditer cette thèse de manière quasi explicite lorsqu’elles ont pris le contre-pied de la satisfaction de Joseph Kabila en déplorant le « recours prématuré et inadapté à la force, alors que les voies du dialogue n’étaient pas encore épuisées ».

La lutte de leadership au cœur d’un drame sanglant

Selon de bonnes sources, il semble que Joseph Kabila en avait de plus en plus marre de voir Jean Pierre Bemba se pavaner dans les rues de Kinshasa en chef d’Etat bis. L’escorte de l’ancien vice-président, plus luxueuse et plus impressionnante que celle du président de la République élu, donnait l’impression que celui qui n’était plus qu’un « simple sénateur » faisait un pied de nez à l’institution qu’il représentait.

Pour Joseph Kabila et les « sécurocrates » de son régime, Kinshasa et son « icône » Bemba étaient potentiellement en état d’insurrection. Une situation aggravée par la présence d’environ deux cents militaires en détachement auprès d’un homme devenu une véritable légende politique. Par sagesse, afin de minimiser les risques de conflit dans la capitale, siège des institutions politiques, Joseph Kabila s’est efforcé à dépêcher, à plusieurs reprises, différents émissaires auprès de Jean Pierre Bemba, porteurs de l’exigence du chef de l’Etat de le voir se faire « plus discret ».

Ayant attendu sans recevoir un signal satisfaisant en retour, Joseph Kabila est passé à la vitesse supérieure en signant un décret aussitôt contesté par Jean Pierre Bemba, pour des raisons de « sécurité ». Destiné à tous les anciens vice-présidents, ce décret visait en réalité Jean Pierre Bemba, en réduisant sa garde à 12 policiers au maximum et en demandant le désarmement et le reversement des effectifs du détachement de protection présidentielle (DPP) qui assurait sa garde, au sein des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC).

Le refus de Jean Pierre Bemba à se plier aux dispositions du décret présidentiel, qu’il affirmera clairement dans ses médias Canal Kin et CCTC aujourd’hui réduits au silence, rendra « inévitable » sa confrontation avec Joseph Kabila, décidé à aller jusqu’au bout d’un bras-de-fer qui s’annonçait irréversible. « Kabila ne me fait pas peur », fera savoir Bemba en guise de réponse du berger à la bergère. Par le chef d’état-major des FARDC interposé, Joseph Kabila passe quant à lui à l’action en fixant au 15 mars 2007 le délai butoir pour l’exécution de son décret.

Une semaine après expiration de cet ultimatum, le 22 mars à 11 heures, les FARDC passent à l’attaque pour désarmer et ramener à la caserne les hommes de Bemba. La voie était ainsi ouverte au règlement par les armes d’une lutte de leadership que même des élections sous haute surveillance internationale n’avaient pu vider. Au total, selon des chiffres communiqués au volatile, ces affrontements auraient occasionné dans le camp des hommes de Bemba six morts et une quarantaine de blessés déposés par la Monuc à l’hôpital général (ex- Mama Yemo).

Le film de la chute manquée de Kinshasa

On ne peut pas dire que l’attaque de l’ex- résidence officielle de Jean Pierre Bemba ait vraiment surpris les quelque deux cent éléments de sa garde. Selon des informations recueillies par le volatile, les hommes de Bemba qui ont fait le coup de feu à Kinshasa lors des derniers affrontements étaient sur le qui vive depuis au moins une semaine. Passé l’ultimatum de l’état-major général des FARDC du 15 mars, ils savaient que tout pouvait désormais arriver. Néanmoins, affirment-ils, ils ne connaissaient ni la date exacte à laquelle une action serait déclenchée pour les désarmer, ni imaginer une opération d’une telle envergure en milieu urbain.

A 11 heures, leur déploiement terminé par le quadrillage de la résidence de l’ancien vice-président de la transition 1+4=0 – selon les Kinois -, les FARDC ouvrent le feu. L’attaque, faite à l’aide d’armes de guerre assez lourdes de type Chilca de deux mille munitions, des Yana à 48 trous de mortiers, des lance roquettes, des MAG portatifs individuels, ainsi que des blindés, est repoussée après quelques minutes d’intense combat. Un couloir est alors créé, qui permet d’évacuer Jean Pierre Bemba et sa femme, accompagnés du major Kere Ngaze Baso, commandant de compagnie chargé de la sécurité du patron du MLC. Direction : ambassade de l’Afrique du Sud, à quelques encablures de là, où les enfants Bemba, exfiltrés de l’école belge par la Monuc, arrivent plus tard.

Une fois leur chef en sécurité, les hommes de Jean Pierre Bemba se déploient sur l’ensemble de la commune de la Gombe , de l’avenue Batetela (qui passe devant le Grand Hôtel de Kinshasa) jusqu’au centre ville.

Dans leur progression, ils s’emparent de l’immeuble dit Kin Mazière, où se trouvent les geôles d’une dépendance de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) du colonel RAUS et libèrent tous les détenus, puis prennent le contrôle du Beach Ngobila. Plus à l’est, ils investissent les locaux de RTNC2, la deuxième chaîne nationale ; s’emparent du camp Kokolo et de l’aéroport militaire de Ndolo où ils flambent 2.000 litres de carburant par un tir d’obus. Une tentative de percée vers le centre pénitentiaire et de rééducation de Makala, sur la route de Selembao, se heurtera à une forte résistance de différentes forces étrangères venues prêter main forte aux FARDC, à environ deux cent mètres de l’objectif.

Ils perdront rapidement tous les points clé de la capitale dès le lendemain 23 mars, faute d’effectifs pour tenir les positions acquises, faute de munitions suffisantes (toutes les poudrières avaient été vidées) et de renforts. Abandonnés à eux-mêmes, les hommes de Jean Pierre Bemba n’auront d’autre choix que de reculer et de libérer progressivement leurs positions dans la journée du 23 mars. Pendant au moins vingt quatre heures, ils auront réussi à tenir tête au commandement des FARDC, et même à contrôler une partie stratégique de Kinshasa. Le coup aurait été vraiment « bien préparé » comme on l’a prétendu, il ne fait aucun doute que Kinshasa serait tombé comme un fruit bien mûr.

Si le règlement militaire est appliqué à la lettre, nul doute que Joseph Kabila, en tant que commandant suprême des forces armées, devrait faire tomber certaines têtes au sein des FARDC, qui ont consommé un échec cuisant dans la mission qui leur avait été assignée de désarmer la compagnie de sécurité de Bemba et de la faire rentrer à la caserne. Au lieu d’en faire des réfugiés à la mission des Nations Unies (Monuc) et à Brazzaville.

Brazzaville touchée par l’onde de choc du conflit

Le vendredi 23 mars dans l’après midi, le conflit traverse le fleuve avec trois obus qui tombent à Brazzaville, dont l’un vient percuter la mairie centrale. La même nuit, à bord de deux bateaux appartenant respectivement à Jean Pierre Bemba et à son père, dont Ville de Gemena, une centaine de rescapés accostent au Beach de Brazzaville. Désarmés et placés du 23 mars au 9 avril sous étroite surveillance policière au centre sportif de Makélékélé, ils seront ensuite transférés à 80 Kms sur la route du nord, dans un camp spécialement aménagé dans le cadre du « plan de contingence » mis en place pour des raisons d’urgence humanitaire lors de la période électorale en RDC, en raison des troubles qu’aurait pu engendrer l’élection présidentielle de juillet et novembre 2006.

Les éléments de Bemba qui ont fui à Brazzaville – environ une compagnie d’une centaine d’hommes – faisaient partie d’un groupe d’environ 400 hommes. Plus de la moitié est resté à Kinshasa, ventilé entre ceux qui ont réussi à trouver refuge auprès de la Monuc et deux éléments seulement qui se sont rendus, à leurs risques et périls, aux FARDC qui n’ont d’ailleurs pas manqué d’exhiber les « rebelles » devant les caméras, telle une belle prise de chasse. Le déferlement à Brazzaville d’une grande partie de la compagnie de sécurité de Jean Pierre Bemba constitue, en réalité, la deuxième vague des hommes en armes en provenance de la RDC qui se déverse au Congo à la suite des hostilités.

Dix ans sépare cette nouvelle vague de la première, celle de mai 1997, fruit de la débandade des ex- Faz et autres ex- DSP obligés, à cause de la « trahison » de leurs chefs, d’abandonner Kinshasa aux mains des Rwandais et des « Kadogos » – les enfants soldats enrôlés par Laurent Désiré Kabila et l’AFDL, un mouvement politico-militaire que le Mzee qualifiera après sa rupture avec ses alliés rwandais et ougandais de « conglomérat d’aventuriers » (sic) !

Selon des sources ex- Faz qui se sont confiées au journal Le Coq, si l’on tient compte des « résidus » de la première vague se trouvant encore sur le territoire de la République du Congo – malgré l’opération de rapatriement organisé conjointement avec la RDC fin 2005 -, on peut aujourd’hui estimer la population de réfugiés militaires originaires de la RDC à une brigade et une compagnie, soit environ quatre mille cent cinquante hommes. De quoi faire trembler les autorités de Kinshasa, émues de savoir si proche de leurs frontières un fort contingent de professionnels du maniement des armes, politiquement « hostiles » et potentiellement dangereux.

La diplomatie congolaise dans la danse

Pour calmer les inquiétudes de Kinshasa, Denis Sassou-Nguesso a mobilisé la diplomatie congolaise en dépêchant auprès de Joseph Kabila, le 12 avril dernier, un émissaire spécial en la personne du professeur Charles Zacharie Bowao. Nouveau ministre à la présidence chargé de la Coopération et de l’Action humanitaire, ce dernier était porteur d’un message rassurant sur les motivations strictement humanitaires de l’accueil des « fuyards » en territoire congolais. Cette démarche, sage et préventive, trouve sa pleine justification dans un passé récent, caractérisé par toutes sortes de rumeurs et de fantasmes de coups d’Etat fomentés depuis Brazzaville par les milieux ex- Faz.

Une véritable paranoïa s’était ainsi emparée à un moment donné de certains esprits malins, alimentant entre Brazzaville et Kinshasa une industrie « florissante » de la « déstabilisation ». La réalité a vite fait de démentir ces rumeurs, et la mise en place d’un cadre d’échanges et de concertation entre les deux a empêché leur prospérité. En attendant, Kinshasa n’a pas fini de compter ses morts, dont la grande partie se retrouve dans les rangs des FARDC, sans compter des civils illustres comme Hugo Tanzambi, un ami « personnel », lecteur assidu de notre journal et un riche homme d’affaires fauché dans les locaux d’une banque à la Gombe. Si les chiffres publiés par l’ambassadeur de la République d’Allemande situant le bilan macabre des affrontements des 22 et 23 mars entre 300 et 600 morts demeurent sujet à controverse, on peut toutefois affirmer, sur la base des recoupements opérés par Le Coq, qu’il y a eu un véritable bain de sang à Kinshasa durant ces deux jours de folie qu’ont été les journées des 22 et 23 mars. Spécialement au niveau du cimetière de la Gombe, où il y aurait eu un véritable carnage.

Le Coq/brazza.info

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