Marie- France Cros
02/14/12
Condoléances attristées au sein du régime de Kinshasa, satisfaction éhontée sur Internet : la mort, dans un accident d’avion à Bukavu, dimanche (voir LLB 13 février), d’Augustin Katumba Mwanke ne laisse personne indifférent au Congo.
En raison du peu de sympathie qu’il suscitait, l’accident dans lequel il a péri – avec les deux pilotes sud-africains de son jet privé – passe, sur certains sites Internet congolais, pour un "attentat". Absolument rien ne vient soutenir cette thèse, toutefois. La Monusco (Mission de l’Onu au Congo), qui a secouru les blessés dans l’appareil accidenté, n’a rien évoqué de tel. L’aéroport de Bukavu est encaissé entre les collines; les pilotes auraient posé l’avion en milieu de piste – au lieu de son début – et n’ont pu arrêter l’appareil à temps; il a donc versé dans un ravin, après avoir fauché deux paysans. Selon un des blessés, Marcellin Cishambo, gouverneur du Sud-Kivu, qui aurait les deux jambes brisées, M. Katumba, dans le cockpit de son avion, avait débouclé sa ceinture à peine l’appareil s’était-il posé et a donc été projeté lors du choc.
Augustin Katumba Mwanke était, selon les sources, soit celui qui tirait les fils de "la marionnette Joseph Kabila" et le vrai dirigeant du Congo, soit le mentor du chef d’Etat. Il s’était fait connaître hors de son Katanga natal lorsque, nommé gouverneur de la province par Laurent Kabila, après un long séjour en Afrique du Sud, il avait signé "pour approbation par le gouvernement" le fameux contrat léonin Gécamines-Rautenbach (voir LLB 27-10-98), qui dépouillait la première société minière d’Etat.
Ses liens avec Joseph Kabila se seraient forgés à cette époque. Lors de l’assassinat de Laurent Kabila, en janvier 2001, Katumba aurait promis son appui au futur président, qui séjournait alors à Lubumbashi après la déroute militaire de Pweto. Ce dernier lui donna, une fois arrivé au pouvoir, une place privilégiée auprès de lui; place qu’il n’a jamais quittée depuis. Quand Katumba avait été cité, en 2002, par un rapport de l’Onu comme un des principaux responsables du pillage du Congo, il avait été formellement écarté de son poste – mais les familiers du palais savaient qu’il y gardait un bureau et des prérogatives intactes. Dès 2003, il retrouvait d’ailleurs une fonction officielle, secrétaire général du gouvernement, puis ambassadeur itinérant du Président en 2004, secrétaire exécutif de la plateforme présidentielle en 2007.
Ce n’est cependant pas tant ces fonctions qui rendaient Katumba puissant que sa position unique de "passage incontournable pour réussir une affaire au Congo", commente un homme d’affaires. En clair : "Il fallait lui verser quelque chose – et pas de petites sommes !" Dans le cas contraire, il était le verrou qui empêchait d’atteindre le chef de l’Etat. Considéré à Kinshasa comme "l’homme des Sud-Africains", le défunt avait également d’excellents contacts d’affaires en Chine, où il séjourna plusieurs fois. Son principal partenaire est toutefois l’Israélien Dan Gertler, que Katumba mit à même d’opérer une razzia sur plusieurs investissements miniers au Congo.
Augustin Katumba était également connu comme celui qui indiquait à Joseph Kabila qui placer à quel poste. Ainsi, le gouvernement en cours de formation est forcément sorti du cerveau du défunt, commentent plusieurs sources. On s’attend donc à ce que la mort de celui qui se vantait de "tenir le Président dans sa main" suscite une révolution de palais à Kinshasa, le gouvernement parallèle installé à la présidence étant décapité. On s’affairait beaucoup, dimanche à Bukavu, à rassembler les documents éparpillés par l’accident, dans l’espoir de mettre la main sur les fonds qu’il gérait. Cette lutte déstabilisera-t-elle le régime ?