Dans moins de six mois, la République démocratique du Congo, notre pays, totalise cinquante ans d’existence. Nous devons interroger notre passé d’une manière froide pour savoir d’où nous venons et où nous allons.
I. De l’Etat, de l’Etat de droit et de la justice
Le Congo est aujourd’hui, par la faute de ses dirigeants, un non Etat. Nous sommes, au mieux, un Etat fragile qui se singularise par la déliquescence et par l’incapacité à asseoir son autorité sur l’ensemble du territoire.
L’absence ou la fragilité de l’Etat, comme cadre de définition et de gestion de l’intérêt général, compromet gravement l’émergence d’un Etat de droit, génère l’impuissance et le dysfonctionnement de toutes les institutions. Conformément à la Constitution, le pouvoir exécutif devait s’articuler en une structure bicéphale partagée entre un président de la République qui symbolise l’Etat et assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et un premier ministre, chef du gouvernement, qui conduit la politique de la nation. La pratique nous offre un régime asymétrique où le premier ministre est réduit à un simple exécutant. Ce premier ministre est, par ailleurs, paralysé par les querelles et diktats des chefs des partis, transformant le gouvernement en un centre permanent de négociations et d’intrigues politiques.
Le pouvoir législatif, quant à lui, est émasculé. La production législative, même quantitativement significative, est inapte à orienter et à encadrer le jeu politique qui se déroule en dehors du cadre formel. Les procédures sont détournées et la libre expression menacée…
S’agissant de la justice, socle de la démocratie et garantie de tout Etat, elle est tout simplement instrumentalisée, ballottée dans des mouvements de nominations, de révocations et de retraites inconstitutionnelles et clientélistes.
La Constitution, base des institutions, est totalement désorientée et soumise aux secousses et menaces de révisions permanentes. Le patriotisme est érodé. La volonté politique qui doit soulever les montagnes, dans un élan sacré, est totalement inexistante : c’est du chacun pour soi.
Lorsqu’un investisseur est pris d’assaut par l’administration et les gouvernants, seuls parlent les mots commission, concussion et corruption. La bonne gouvernance n’est qu’un concept connu dans l’imaginaire des dirigeants congolais. La tolérance zéro est devenue un slogan. Les grands criminels courent toujours la rue.
Ainsi, faute d’Etat, d’Etat de droit, de justice et d’institutions crédibles, le développement économique devient illusoire.
II. De l’économie congolaise
Alors que notre sol est fertile, nous ne savons pas nourrir notre population, encore moins d’autres peuples. Nous ne savons plus cultiver. Ceux qui vivent dans les milieux ruraux comme en milieu urbain croupissent, tous, dans des conditions infrahumaines. Ils ont cessé de se lamenter ; ils considèrent leurs souffrances comme une fatalité.
Au lendemain du scrutin, le peuple congolais s’attendait à une politique économique rationnelle, cohérente, planifiée, équilibrée et fondée sur des mesures novatrices et courageuses privilégiant les infrastructures de transport, l’économie rurale, une fiscalité de développement et l’élimination des tracasseries administratives et policières afin d’attirer les investisseurs nationaux et étrangers, d’enrayer progressivement l’extraversion et la pauvreté ainsi que de promouvoir une intégration économique nationale.
Face à cette attente, le pouvoir a initié les « cinq chantiers » dont personne ne connaît la philosophie, ni les tenants et les aboutissants. Slogan propagandiste, les « cinq chantiers » ne sont rien d’autre qu’un semblant de politique, du reste, incohérente, totalement déséquilibrée, n’ayant ni objectifs réels quantifiés, ni inventaire précis des moyens adéquats pour leur réalisation, ni volonté affichée des initiateurs de promouvoir une croissance proportionnée.
Depuis 2007, la politique économique du gouvernement semble reposer sur les orientations retenues dans le cadre du Document de stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté (DSCRP), orientations reprises chaque année dans tous les projets de loi budgétaire. Entre-temps, rien de consistant n’a été réalisé à l’effet d’inverser la tendance par rapport aux fléaux tels que : dépendance alimentaire et pauvreté, rétrécissement du marché intérieur, chute des exportations de produits agricoles, déficit du secteur énergétique (eau, électricité, forêts et hydrocarbures), inexistence d’une politique industrielle, platitude des administrations fiscale et douanière, dégradation du climat des affaires, extension du chômage et du sous-emploi.
L’élite politique au pouvoir a choisi le mensonge et l’indifférence comme outils de gouvernance frisant même la complicité voire la trahison face à : *la criminalisation de l’économie notamment par l’exploitation illégale et le pillage des ressources minières du Katanga, dans les trois provinces de l’ancien Kivu et en Province Orientale ; *l’ampleur de l’hémorragie fiscale et des détournements des deniers publics perpétrés dans les institutions étatiques ; *la profusion des constructions immobilières financées par le blanchiment de l’argent sale en lieu et place d’une politique des logements sociaux en faveur des gagne-petit ; *la gestion funeste du secteur des hydrocarbures qui pénalise le Trésor public ; *le délaissement coupable voire le bradage des entreprises publiques et/ou d’économie mixte : SNEL, REGIDESO, GECAMINES, KILO-MOTO, MIBA pour ne citer que celles-là ; *l’enrichissement empressé et sans cause des tenants du régime et de leurs thuriféraires au mépris de l’intérêt général.
La carence d’une vraie politique de développement n’a fait qu’exacerber la désarticulation de l’économie et la crise du secteur agricole et rural totalement laminé par les importations subventionnées dans les pays d’origine, ruiner l’infrastructure manufacturière en butte aux assauts des produits importés, différer l’intégration économique nationale, ajourner le décollage et aggraver le chômage, la pauvreté et la fracture sociale.
III. De la situation sociale
Le pillage et la prédation font du Congolais un être privé de tout alors que son pays constitue un des espaces les plus riches de la planète. Le Congolais de 2010 vit moins bien que celui d’il y a 15 ans et dramatiquement encore que celui de 1960.
Ainsi, en matière d’éducation, nous avons enregistré un violent recul, de l’école maternelle à l’enseignement supérieur et universitaire. En ce qui concerne particulièrement l’université, l’explosion des effectifs a atteint, dans certaines facultés, un dépassement de 560% de la capacité d’accueil.
S’agissant de la santé, le taux brut de mortalité est de 57 fois plus élevé que le taux moyen en Afrique subsaharienne.
Quant à l’eau potable, seulement 22% de la population y ont accès dans un pays qui regorge 60% de l’eau du Bassin du Congo. De même, le taux d’électrification est des plus faibles du continent. Il atteint à peine 6% alors que le potentiel hydroélectrique de la RDC représente 13% de celui du monde.
Concernant l’habitat, aucune politique ne semble avoir été élaborée et mise en œuvre, en dépit de l’ampleur des besoins en logements sociaux dont le déficit annuel se situe à 240.000 logements, tel qu’indiqué dans le DSCRP.
IV. De la paix et de la sécurité
La situation sécuritaire sur l’ensemble du territoire est préoccupante et incertaine. L’absence d’un dispositif défensif crédible condamne la Nation à la vulnérabilité par rapport aux menaces réelles ou virtuelles et la prive de toute capacité d’action, de protection et de projection de son avenir.
A l’Est, par exemple, les FDLR, malgré les proclamations des uns et des autres, conservent toute leur capacité de nuisance, et plus encore, ils ont étendu leur espace opérationnel et leur puissance en signant des accords avec des groupes armés nationaux.
Au Nord-Est, les LRA qui se réorganisent, continuent de tuer, de violer et d’enlever des jeunes filles et garçons dans le Haut-Uélé et dans le Bas-Uélé. De même, les bruits de bottes et de canons recommencent en Ituri sur fond de violation de nos frontières.
A l’Ouest, plus ou moins préservé malgré les brimades et les représailles disproportionnées qui ont frappé les populations du Bas-Congo, les risques d’embrasement se précisent à l’Equateur. A Dongo, dans le cas d’espèce, des mouvements consécutifs à un déficit de gouvernance semblent vouloir engager l’Etat dans une dynamique de subversion-répression.
En somme, toutes ces explosions sont l’expression d’une problématique centrale, celle d’une absence de stratégie nationale de sécurité post-conflit et post-électorale, l’offre gouvernementale étant faible. Au refus d’aborder les problèmes dans une perspective démocratique, l’approche gouvernementale privilégie le recours à la violence, à tout le moins, improductive.
V. Conclusion
L’état des lieux tel que brossé ci-dessus se révèle inquiétant. Pareille gestion ne peut continuer indéfiniment sans hypothéquer durablement l’avenir de tout un peuple. Trois ans après le début de la Législature, il est impérieux pour le pouvoir en place de s’arrêter un moment, évaluer le parcours et réajuster le tir, corriger les dérives afin de garantir une fin heureuse pour le reste du mandat.
L’occasion du cinquantenaire de l’indépendance doit être exploitée par les dirigeants en vue de se ressaisir, de trouver des repères pour prendre un nouvel élan fondateur d’un vrai Etat de droit capable de redonner confiance et espoir aux Congolais aujourd’hui résignés.
Le peuple congolais doit se réveiller, se prendre en charge et lutter pour la conquête de ses droits. Car, dit-on, chaque liberté acquise est en réalité une liberté conquise. Fait à Kinshasa, le 21 janvier 2010
Jacques Djoli Iseng’Ekeli
Florentin Mokonda Bonza
Moïse Nyarugabo Muhizi