Omer Nsongo die Lema/MMC
17/01/10
En s’appuyant par moments sur la défense des intérêts des Bantous qui seraient menacés par les Nilotiques, les promoteurs de la « congolité » sont bien obligés de trouver à ce concept un contenu à la fois convaincant et rassurant, particulièrement pour les compatriotes des provinces de l’Est frontalières condamnés à vivre pour l’éternité aux côtés des Nilotiques – dont les Tutsi – aussi bien de la RDC que des pays voisins comme l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie. D’un.
De deux, ils sont bien obligés, également, de répondre aux préoccupations, fondées, des compatriotes de la Diaspora déterminés à garder la double nationalité tout en ayant la possibilité d’accéder à des fonctions officielles dans leur pays d’origine. Jamais deux sans trois – donc de trois – ils sont davantage obligés de répondre aux préoccupations des étrangers voulant devenir Congolais et, partant, exercer les mêmes officielles dans le pays d’adoption. S’ils ont conscience de ne pas y parvenir, alors autant renoncer à un concept désossé, exactement comme le fut celui du Recours à l’Authenticité…
Telle que conçue et promue par ceux qui s’en réclament – suivez mon regard – la congolité consiste à laisser le Congo aux Congolais, exactement comme l’Amérique (lisez Etats-Unis) aux Américains, la France aux Français, le Rwanda aux Rwandais.
Il n’y a rien de mal à cela. Pour rappel, le slogan « L’Amérique aux Américains » fut lancé par le président Monroe dans le but précis de galvaniser le sentiment national.
En attendant de savoir – juste pour blaguer – la dénomination du concept que vont devoir s’appliquer les Congolais de Brazzaville dès lors que la congolité est pour les Congolais de Kinshasa – force est de constater que le seul argument évoqué jusqu’ici par les concepteurs est l’anti-rwandaïsme visant non pas la communauté Hutu appartenant aux Bantous, mais la communauté tutsi appartenant, elle, aux Nilotiques.
N’ayons pas peur de le dire à haute voix : c’est bien de cela qu’il s’agit. Naturellement, perçue sous cet angle-là, la congolité tombe dans le piège du racisme, du ségrégationnisme. Un sale piège pour un Etat bantou à plus de 99,99%, car il prend l’allure d’un racisme opposant les Bantous aux Tutsi du Congo et aux Tutsi des Etats voisins. Sale piège d’autant plus qu’il génère l’autre concept, subtilement dangereux celui-là, de « majorité ethnique » d’un côté, donc de l’existence de la « minorité ethnique », de l’autre côté.
Vu d’Amérique (Etats-Unis et Canada) et d’Europe (Ouest), alias Occident, alias « Communauté internationale », ce concept justifie dans le chef des décideurs l’impératif de la protection de la minorité (nilotique ou tutsi) devant la majorité (bantu).
Dans cet ordre d’idées, la « congolité » devient un couteau à double tranchant en ce qu’elle justifie la balkanisation du pays ; question d’aménager un espace géographique où sécuriser – via le cantonnement ou la transplantation – la minorité supposée menacée d’écrasement et de disparition par la majorité !
Que la balkanisation arrive ou n’arrive pas, les victimes premières de la congolité sont, on s’en doute, les compatriotes de l’Est, ressortissants des provinces congolaises frontalières avec des Etats voisins où vivent des Nilotiques. Cas justement du Katanga par rapport à la Tanzanie , du Sud-Kivu par rapport au Burundi, du Nord-Kivu par rapport au Rwanda et de l’Orientale par rapport à l’Ouganda. Ne perdons pas, en plus, de vue que la communauté nilotique est aussi présente au Kenya, au Soudan, en Somalie, en Erythrée et en Ethiopie.
Ainsi, condamnés à côtoyer éternellement cette communauté tant en RDC que dans la sous-région des Grands Lacs (avec prolongement en Afrique orientale), les compatriotes bantus de l’Est vivront une situation que ne vivront ni ceux de l’Ouest (Equateur, Bandundu, Kinshasa et Bas-Congo), ni du Centre (Kasaï occidental et Kasaï oriental).
Dans cette logique, il est évident qu’ayant des voisins Bantu en Rca, au Congo-Brazzaville et en Angola, les Congolais de l’Ouest ne subiront jamais les effets du racisme puisqu’ils n’en émettront jamais eux-mêmes.
En définitive, la « congolité » est belligène pour la sous-région des Grands Lacs !
Des « Mutombo Dikembe » de l’étranger…
De même, elle est un concept discriminatoire à l’égard des Congolais de l’étranger, singulièrement ceux qui revendiquent la double nationalité. Il s’agit, on le devine, des compatriotes de la Diaspora.
Bien que devenus les uns Américains ou Belges, les autres Canadiens ou Sud-Africains, les autres encore Australiens ou Français sinon Britanniques ou Namibiens, ils veulent bien être utiles à leur pays d’origine. Pas seulement pour « exporter » de l’argent liquide via les messageries financières comme « Western Union », « Money Gram » ou « Mister Cash » – ce n’est pas de la pub, svp – mais aussi pour agir dans la gestion institutionnelle.
Il est vrai que la Constitution du 18 février 2006 consacre l’unicité et l’indivisibilité de la nationalité congolaise. Son article 10 dispose, citation : « La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre. La nationalité congolaise est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle. Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance. Une loi organique détermine les conditions de reconnaissance, d’acquisition, de perte et de recouvrement de la nationalité congolaise ». Fin de citation.
De ce fait, elle fait sien le concept « congolité ». Personnellement, je ne me gêne pas de le déclarer haut et fort, et je le déclare plus haut et plus fort aujourd’hui : cette Constitution a, dans cette question, son défaut de cuirasse, son ventre mou.
A « Demain le Congo » – journal dont j’ai eu à diriger la rédaction entre 1998 et 2005 – je me bats et je continue de me battre pour une nationalité congolaise ouverte ! Je considère, de ce fait, improductive toute politique empêchant, par exemple, Mutombo Dikembe d’être bourgmestre de Masina pendant que tout Masina se reconnaît en lui au travers de la construction, dans cette commune, du plus grand centre médical privé du pays !
Or, les Mutombe Dikembe, la RDC en compte par dizaine de milliers. Pour l’anecdote, à l’ouverture du Dialogue intercongolais à Sun City le 25 février 2002, le chef de l’Etat malawite avait invité la classe politique à créer des conditions favorables au retour de l’expertise congolaise omniprésente en Afrique australe.
Aujourd’hui au Senarec – Secrétariat national pour le renforcement des capacités – je vis un vrai choc intérieur devant le diagnostic de l’Administration publique de mon pays. Nous travaillons sur un programme de mobilisation et de stabilisation des experts nationaux pour cette superstructure constituant à la fois l’épine dorsale, le poumon et le cœur de la Reconstruction. Parmi les initiatives retenues, il y a le recours à la Diaspora congolaise.
Serait-ce alors conséquent que les experts congolais présents dans les administrations publiques asiatiques, européennes, africaines, océaniques et américaines ne soient bons que pour des fonctions apolitiques alors qu’ils peuvent aussi être qui chef d’Etat, qui député ou sénateur, qui Premier ministre ou ministre, sinon gouverneur de province ou conseiller urbain ?
Pour revenir au concept « congolité », la Diaspora pourra, elle-même, vivre les effets du ségrégationnisme en ce que les compatriotes demeurés congolais pourront, eux, revenir au pays briguer un mandat électif ou exercer une fonction politique pendant que les compatriotes devenus « étrangers », tout en gardant de puissants liens avec les leurs restés en RDC, seraient privés de ce droit !
…aux Forrest, Stravos et Damseaux du Congo !
On imagine déjà, au travers de ce concept, le drame de ces étrangers devenus congolais (comme Chaloupa) et de ceux qui peuvent devenir congolais (comme Léon de Saint Moulin, les Van Lancker, les Forrest, les Stravos, les Damseaux etc.).
En se basant sur la race (bantu), la congolité ne leur offre aucune possibilité d’une intégration effective de la Nation congolaise.
Conséquence logique : ils continueront de se sentir étrangers en terre congolaise, et ils n’arrêteront jamais de se servir pour réinvestir « chez eux ». Comble d’ironie : ce « chez eux » peut être l’Afrique du Sud ou le Kenya, l’Ouganda voisin ou le Lesotho, l’Angola voisine ou la Zambie tout aussi voisine, simplement parce que dans ces pays-là est consacrée la nationalité ouverte.
Pour revenir à « Demain le Congo », j’ai eu à plusieurs reprises à stigmatiser le fait que dans bien des familles des Congolais, on fête lorsqu’on apprend qu’un des leurs est devenu américain ou belge, mais on râle, on s’enrage lorsqu’on apprend qu’un libanais ou un sénégalais a acquis la nationalité congolaise l On lui prête instantanément l’idée de vouloir piller le pays !
Dans un des papiers, j’avais relevé la frustration des Ouestafricains ayant fait les uns 30 ans, les autres 50 ans de vie en permanence à Kinshasa, mais obligés, tous les six mois, de s’en aller renouveler la carte de séjour. C’est à la fois aberrant et injuste.
Devoir de réparation…
Résultat : en 125 ans d’existence, le pays successivement appelé Etat Indépendant du Congo, Congo-Belge, République du Congo, République Démocratique du Congo, Zaïre puis République Démocratique du Congo ne compte pas plus de 1.000 Belges devenus Congolais alors qu’au cours de ces 20 dernières années, ils sont plus de 50 mille, les Congolais (de race bantu) naturalisés Belges ! Mieux, un bon nombre opère en politique.
A mon humble avis, le Congo-Kinshasa a un devoir de réparation s’il veut rentrer dans le concert des nations modernes. C’est le devoir de décréter l’octroi collectif de la nationalité à tous les ressortissants des pays qui l’ont littéralement bâti. Tous ces Asiatiques, tous ces Européens, tous ces Américains, tous ces Africains venus les uns construire des infrastructures de base comme les chemins de fer, les ports, les aéroports, les centrales hydroélectriques etc., les autres (principalement les « missionnaires ») œuvrer dans l’enseignement et dans la santé, les autres encore lancer des activités industrielles et commerciales y ont droit par eux-mêmes, mais aussi par leur descendance. On ne devrait pas se gêner, mais alors pas du tout, d’ouvrir la nationalité congolaise aux descendants des opérateurs économiques dont les biens avaient, par exemple, été zaïrianisés sous Mobutu.
Réparer un mal, c’est un acte courageux ; c’est un geste de noblesse. En définitive, comme on ne peut que s’en rendre compte, la congolité est un concept anti-congolais. On devrait s’y opposer !