Congo Forum
10/03/07
Le Congo et l’Angola ont hérité une frontière tracée par les Portugais et les Belges. Cette ligne traverse une savane sans obstacle et coupe en deux des populations qui sont identiques de part et d’autres. Elle est donc difficile à retrouver. Un document de 1956 fait état d’incidents relatifs à la délimitation de la frontière entre les deux pays à cet endroit.
Le commissaire du district du Kwango de l’époque, M. Carels, avait informé son supérieur hiérarchique, le gouverneur de la province de Léopoldville, de ces incidents. Il indiquait à l’époque que la frontière entre les deux pays se situait dans la région comprise entre les rivières Loange et Lushiko sur le 7e parallèle sud. A la source de la rivière Kakamba en territoire congolais, existe un poteau minier placé par des prospecteurs miniers en 1972. Ce poteau signale la présence des richesses minières de cette rivière. La partie angolaise tenterait de transformer actuellement ce poteau en une borne de délimitation frontalière.
Si l’on considère quelles sont les frontières, quelles sont les ressources naturelles locales, en particulier la situation de l’explotation du diamant en Angola, et le passé du trafic de diamat dans la région, on aura bientôt quelque idée de l’enjeu .
La frontière Ouest du Congo.
Si on actualise à la date d'aujourd'hui la description générale de la frontière occidentale de la RDC avec ses voisins, on obtient ce qui suit. Une ligne partant de la source de la Luao; la Luao jusqu'au Kasaï; le Kasaï jusqu'au parallèle 7° 17' de latitude Sud; des sections de parallèle et de thalwegs jusqu'au Kwango, vers le 8°7' de latitude Sud; le Kwango jusqu'au parallèle de Noki; ce parallèle jusqu'à Noki (5°52' de latitude Sud); la ligne moyenne de l'embouchure du fleuve Congo; l'Atlantique jusqu'à la lagune de Lunga; le parallèle 5° 44'20'' jusqu'au méridien 12°32'12'' ; ce méridien jusqu'à la Lukula; la Lukula jusqu'au Shiloango; le Shiloango jusqu'à sa source; la crête du bassin du Congo et du Kwilu-Niari; une ligne irrégulière partant du Sud du Minduli (Congo Brazzaville) et finissant à Manyanga, situé sur le fleuve, en aval du Pool; le fleuve Congo jusqu'au Stanley-Pool; une ligne en travers du Pool laissant l'île Mbamu au Congo Brazzaville; le fleuve Congo jusqu'au confluent avec l'Ubangi; l'Ubangi jusqu'au 5° de latitude Nord. Les grandes lignes présentées ici ne sauraient remplacer les traités et accords internationaux en vigueur, textes diplomatiques décrivant de manière très détaillée les limites territoriales. Ces documents sont indispensables, s'il faut départager les Etats en conflit au sujet de la souveraineté même sur une petite localité convoitée, par exemple, à cause des richesses du sous-sol.
Le diamant en Angola (données chiffrées de 2002)
Bien que des permis de prospection existent dans presque tout le pays, la richesse en diamants se concentre dans le Nord-Est. Une série de vallées parallèles, toutes affluentes du Kasaï, coulent du sud vers le nord, du Cuango à l'O au Kasaï lui-même (Cassai en portugais) à la frontière orientale; les principales sont celles du Cuilo, de la Chicapa, du Luachimo et du Lubembe. Outre leurs sites alluviaux, on a trouvé des kimberlites dans leur bassin; le nombre de cheminées est évalué à quelque 700!
Le principal gisement, et de loin, est celui des kimberlites de Catoca (Lunda Sul), le plus méridional, mis en valeur par la SMC; il est resté à l'écart des incursions de l'Unita et qui a reçu un financement décisif russo-israélien; il fournit une bonne moitié de la production actuelle. Dans la vallée du Cuango, le deuxième centre de production est Luzamba (ancienne Cuango), confié à la SDM, où se trouvent Ashton (donc Rio Tinto) et une firme brésilienne.
Dans la partie orientale du Lunda Norte, la plus touchée par les conflits, plusieurs gisements, la plupart alluviaux, sont très partagés. Le site complexe de Lucapa est géré par la SML et inclut les gisements voisins de Mufuto et de Calonda; juste à côté se trouve Camafuca, où s'affairent Southern Era et la Welox de Leviev. Le long de la vallée de la Chicapa, en amont et en aval de Calonda, sont les sites de Luo et Yetwene, qui relèvent de DiamondWorks et ont été en grande difficulté, ainsi que celui de Luarica dans la vallée voisine, où TransHex s'est associée à Endiama en septembre 2002. Enfin, près de la frontière congolaise, la situation est encore plus confuse dans les petites concessions entremêlées autour de N'Zagi (anc. Andrada) et Dundo (Chitotolo, Tejok), où se trouvent AmCan et des sociétés relevant de militaires angolais récompensés, parfois sur des terres qui avaient été concédées à De Beers. D'autres périmètres sont concédés au nord-ouest (à American Mineral Fields dans la basse vallée du Cuango le long de la frontière congolaise), à l'ouest dans le bassin de la Cuanza (AmCan), au sud-est près de Mavinga (De Beers).
Ces sites et ces concessions laissent une grande place aux artisans garimpeiros[1], sans doute plus de 100 000, 300 000 selon certaines sources, dont beaucoup ont eu à fournir l'Unita. Celle-ci a mis la main sur certains gisements à différentes reprises, et a obtenu jusqu'aux deux tiers de la production, et même 90% de 1992 à 1994, soit un revenu évalué à 3,7 G$ de 1992 à 1998. La production totale, estimée à 1 Mct en 1988, 1,4 Mct en 1990, était de l'ordre de 700 M$/an, dont seulement 21% en régime «légal» en 1995. Elle aurait été de 3 Mct en 1998, mais certaines sources avançaient qu'on aurait alors extrait en réalité 5,1 Mct: 2,5 par des artisans sous le contrôle ou pour le compte de l'Unita, 1,2 par d'autres indépendants, 1,4 dans les gisements «officiels». Le chiffre officiel est de 3,7 Mct pour 1999, 4,3 pour 2000 (739 M$), 5,9 pour 2001 (800 M$), ce qui fait de l'Angola le 6e pays du monde en poids, mais le 4e en valeur, la production «artisanale» étant estimée à 2 Mct (400 M$). Toutefois, Catoca annonce à elle seule 7,5 Mct pour l'année, ce qui porterait le total à plus de 10 Mct. La part de l'«officiel» est montée à 3,8 Mct en 2001 (74%), pour 439 M$ (60%). Les réserves sont supposées être de 180 Mct.
Une nouvelle loi, en 2000, fixe une taille maximale aux concessions (300 000 ha) et impose un certificat d'origine des diamants brut sur papier timbré. Endiama a confié à une société Ascorp, dirigée en fait par L. Leviev, le monopole d'achat de tout le brut, ce qui a le mérite d'assurer à l'État de plus amples redevances, en principe 100 M$ au lieu de 12: «Angola becomes Leviev country» (Ch. Even-Zoar, février 2000). La récolte d'Ascorp pour 2000 a été de 2,7 Mct et 367 M$, la contrebande étant évaluée à 1,2 Mct mais dépassant la précédente en valeur (371 M$); Ascorp payant moins bien que les réseaux illicites, les sorties illégales continuent. De Beers, frustré, dépossédé d'une partie de ses concessions et qui avait un accord d'exclusivité sur les bruts de la Cuango depuis 1990, a engagé un procès… Il est vrai que sa filiale Debcap (DeBeers Centenary Angola Properties) avait eu des perspectives ambitieuses, et achevé en 2000 de construire en plein centre de Luanda une tour de 12 étages, comportant un centre de tri, en accord avec Endiama. Si les conflits armés sont officiellement terminés depuis la mort de Savimbi en février 2002, les luttes de pouvoir continuent entre les grands acteurs du monde du diamant.
Le trafic dans la région contestée
On trouve à ce sujet un témoignage précieux dans les archives du Sénat Belge.
M. Filip De Boeck. – À partir de 1987, j’ai travaillé au Congo, dans la province de Bandulu (sic, pour Bandundu), à la frontière entre le Congo et l’Angola. Je participais à une étude d’anthropologie médicale. J’ai passé deux années dans un petit village Nzofu, à cinq kilomètres de la frontière. Ce village est situé entre les villes de Kahemba et de Tembo, lesquelles étaient, à la fin des années 80 et au début des années 90, les plaques tournantes
du trafic de diamant entre la province du Lunda Norte, en Angola, et le Congo.
J’y ai séjourné jusqu’en 1989 et, par la suite, à nouveau en 1991, en 1994 et en 1997. Dès 1987, j’ai été le témoin du développement et, en partie, du déclin du trafic de diamant.[2]
Ce trafic peut être subdivisé en trois grandes phases. Il a été créé entre 1981 et 1982 par des Congolais issus des centres diamantaires traditionnels du Kasaï, de Kinshasa ou de Kikwit. Ceux-ci recrutaient des villageois sur place afin de former une caravane pour transporter toutes sortes de marchandises dans le but de traverser la frontière, en direction du Lunda Norte, pour se rendre dans la région située autour de la vallée Kwango, dans deux grands sites
miniers du nord-ouest du Lunda Norte, Cafunfo et Luzamba, et plus à l’est, vers la frontière avec Tshikapa et le Katanga. Les caravanes parcouraient la grande forêt de Corta Mata.
La plupart du temps, c’est pendant la nuit qu’elles se rendaient dans les villages proches de sites miniers, dans lesquels des Angolais échangeaient des diamants contre des marchandises. À l’époque, le troc était très avantageux. Les Congolais traversaient aussitôt à nouveau la frontière, ce qui n’était pas sans danger puisque la frontière entre le Congo et l’Angola était officiellement fermée. La région minière de Lunda était sous le contrôle des troupes gouvernementales.
En dehors des petites villes, de nombreuses patrouilles des rebelles UNITA circulaient. Ce trafic était une entreprise dangereuse, parfois mortelle. Du côté congolais, ce n’était guère mieux. De petits groupes de militaires zaïrois y patrouillaient, officiellement pour surveiller la frontière mais, en réalité, ils allaient de village en village pour y attendre les caravanes qui revenaient et pour dérober les diamants. Pour éviter cela, nombreux étaient ceux qui avalaient les diamants.
Il arrivait que dans les villages, pour récupérer ces diamants, on éventre le cadavre de ceux qui avait été victimes d’une mine terrestre et étaient décédés à la suite d’une hémorragie.
À la fin des années 80, des comptoirs ont commencé à s’installer dans les villes frontalières comme Kahemba et Tembo ainsi que dans des petits villages. Un grand nombre de ces comptoirs étaient aux mains de Congolais. À un moment donné, Mobutu a fait fermer un certain nombre de comptoirs mais, par la suite, il y a eu une période de libéralisation. Les comptoirs étaient contrôlés par des Sud-Africains, des Portugais, des Belges, des Sénégalais, des Libanais ainsi que des Israéliens, tant à Tembo qu’à Kahemba. Les diamants étaient vendus par la population locale pour être transférés via les comptoirs vers Kinshasa, avant d’être acheminés, généralement vers Anvers.
En 1992, les élections présidentielles en Angola ont modifié la nature du trafic de diamant. Contre toute attente, le président en fonction, José Eduardo dos Santos, a recueilli la majorité des voix au premier tour. Il n’y a jamais eu de deuxième tour. Savimbi et l’UNITA ne l’ont pas accepté et ont occupé, à partir de la partie centrale d’Angola, de larges zones du pays. À un certain moment, ils contrôlaient 80% du territoire angolais. La région du Lunda Norte les intéressait vivement, à cause de la présence de diamant. Les mines d’État de Cafunfo et de Luzamba au Lunda Norte existaient déjà avant l’indépendance de l’Angola et étaient en
possession de la société Diamang, laquelle fut supprimée en 1986, sous la pression des attaques de l’UNITA. De 1992 à 1994, l’UNITA contrôlait la situation à Cafunfo et à
Luzamba. Cette région du nord-ouest assurait 60% de la production officielle de diamant en Angola. Les 40% restants provenaient de Dundo et de Lucapa, dans l’est. Pendant l’occupation de Cafunfo et de Lusama, l’UNITA a assassiné es surveillants philippins, détérioré les installations et ouvert des sites miniers sauvages le long de la rivière Kwango, qui forme partiellement la frontière entre le Congo et l’Angola et qui est l’une des rivières diamantifères les plus riches au monde. Elle contient du diamant alluvial, que l’on recueille en plongeant. À partir de 1992, l’UNITA a installé des dizaines de camps le long de la rivière, ce qui a eu pour conséquence une modification profonde de la nature du trafic de diamant. En premier lieu, les Congolais qui faisaient du troc ne devaient plus traverser la frontière dans les deux sens. De plus, des dizaines de milliers de jeunes, les Bana Lunda, se sont rendus au Lunda Norte pour s’installer dans les camps miniers et y séjourner longuement, dans le but de
plonger ou de creuser, à la recherche de diamant. Ils vendaient les diamants à des comptoirs, au-delà de la frontière du Congo, ou à des comptoirs de l’UNITA. Cela a conduit à une sédentarisation du trafic. En 1992, encore avant les élections présidentielles, le Financial Times avait fait état de la présence de 50.000 jeunes Congolais au Lunda
Norte. Par la suite, leur nombre a certainement encore augmenté. En outre, à partir de ce moment-là, on a assisté à la monétarisation du trafic de diamant et à la disparition du
troc. L’UNITA a joué en rôle important en la matière, via les circuits gravitant autour de Mobutu. On a connu une flambée de capitalisme sauvage. Jusqu’en 1997, à la chute de Mobutu, le dollar a évincé la monnaie locale et il existait un circuit économique propre qui s’étendait jusqu’au sud-ouest du Congo et jusqu’en Angola. Le kwanza n’avait plus aucune
valeur.
À ce moment-là, on constate également de grands arrivages du fameux diamant UNITA sur le marché du diamant à Anvers, en dehors du monopole de la De Beers. Les quantités sont si importantes que le prix mondial du diamant par carat a considérablement diminué. L’UNITA gagne des centaines de millions de dollars par an. Cette situation persista environ jusqu’en 1997.
La troisième phase commence en 1997 avec la chute du régime Mobutu. Savimbi de l’UNITA travaillait en étroite collaboration avec des gens de l’entourage de Mobutu. Il y avait, par exemple, de nombreux transports quotidiens par avion entre Kinshasa et Cafunfo, même pendant l’embargo sur le pétrole décrété contre l’UNITA. En 1997, l’UNITA éprouve des difficultés à écouler ses diamants au départ du Lunda Norte. Elle déplace ce commerce de Kinshasa vers Brazzaville sous la direction de Lissouba. Mais cela n’a pas duré longtemps. À partir de 1997, le gouvernement angolais essaye de plus en plus de contrôler la situation, jusqu’à fin 1998, époque où la guerre reprend entre le MPLA et l’UNITA. À partir de 1997, le gouvernement angolais choisit également d’autres cibles, tout d’abord la région de Dundo et de Lucapa, avec l’aide de compagnies minières internationales. Il s’agissait souvent de sociétés minières qui soutenaient Kabila père – je pense, par exemple, à America Mineral Fields Inc – et qui achètent de grandes concessions dans la région du Lunda Norte, souvent avec leur propres armées privées qu’ils utilisent contre les garimpeiros, les chercheurs de diamant congolais illégaux. Entre 1997 et 1998, la région est progressivement nettoyée d’est en ouest. En 1998, ils atteignirent la rivière Kwango et, après de durs combats, une petite ville comme Luremo devint un terrain neutre d’où l’UNITA est chassée. Tous les Congolais sont assassinés ou refoulés vers le Congo. Au Congo, on appelle cela sai sai. Beaucoup de personnes ont été tuées. En décembre 1998, la guerre reprend entre l’UNITA et le MPLA parce que l’UNITA perd le contrôle de la production du diamant. À l’été 1999, l’UNITA ne contrôle plus guère que quelques mines dans la région du Lunda Norte. Lors de l’approbation de la résolution 1173 des N.U. en 1998, on parle déjà beaucoup moins du diamant UNITA et, en 1999, pratiquement plus.
Les chiffres le prouvent. En 1998, L’UNITA retirait encore 250 millions de dollars du diamant brut, 300 millions en 1999 et à peine 100 millions en 2000, alors que, pour cette même période, les rentrées de l’État angolais augmentent. Voilà la situation durant la troisième phase qui se termina par la disparition totale de l’UNITA avec la mort de Savimbi.
Dans la région du Lunda Norte, quelques groupes de rebelles ont repris la tactique du hit and run qu’ils utilisaient dans les années quatre-vingt : on attaque une société minière ou un village et ensuite on se retire rapidement.
Le trafic est revenu à sa forme initiale, c’est-à-dire tel qu’il existait avant 1992 : le troc. En 1999, l’activité était réduite à néant, en tout cas en ce qui concerne le diamant angolais qui arrivait au Congo par voie artisanale. Actuellement, les activités ont repris dans la zone frontalière, mais pas autant qu’entre 1992 et 1997. L’UNITA contrôlait totalement cette région et avait installé des check points dans des petits villages comme Caungula et Samucuale situés à la frontière entre l’Angola et le Congo. On y délivrait des permis aux Congolais qui arrivaient en Angola. Ces permis étaient payés en dollars. Le nom de la mine dans laquelle on pouvait se rendre y était inscrit. Dans ces petits villages de 40 à 50 habitants, il y avait parfois 6000 à 7000 personnes qui attendaient de pouvoir franchir la frontière vers l’Angola. C’était la même chose à Tembo, le seul endroit au sud du Kwango, du côté congolais, où l’on trouve également du diamant. Les zones de Kahemba et de Kasongo-Lunda sont officiellement reconnues comme régions minières et, en tant qu’étranger, il faut une autorisation spéciale, mais il n’y a pas de diamant là-bas. Tout cela sert à cacher que ces
diamants proviennent de l’Angola.
Jusqu’en 1997, les activités dans ces petites villes étaient fabuleuses. Kahemba était une petite ville de 30 à 40.000 habitants. En 1992, il y en avait plus de 100.000. C’était de véritables boomtowns où les gens attendaient de franchir la frontière.
Cette activité a disparu en grande partie. Il y a encore des comptoirs – certainement à Tembo et à Kahemba – mais moins qu’auparavant. L’ancien commerce du diamant d’avant 1992 est en train de reprendre. Les chercheurs de diamant congolais illégaux recommencent à passer la frontière en plus grand nombre.
M. Michiel Maertens (AGALEV). – La banque belge Casa de Angola est active dans la région. Selon mes informations, ses comptes seraient gelés. Avez-vous plus de renseignements à ce sujet ?
Vous parliez de la « dollarisation » du commerce du diamant et du capitalisme à la far west. Dans quelle mesure cette banque belge était-elle impliquée ? À l’époque, son directeur était un homme de l’UNITA, Azevedo Kangage. Actuellement, celui-ci serait placé sous surveillance pour le rôle qu’il a joué dans les diamants UNITA. Quelles informations possédez-vous à ce sujet ?
La multinationale Lazare Kaplan appartenant au juif américain Tempelsman est également active en Angola. Quel est le poids de cette entreprise dans cette histoire ?
Vous avez également parlé de petites armées privées qui protégeaient entre autres America Mineral Fields. Sont-elles encore sur place ? Connaissez-vous les noms des private military contractors concernés ? Comment fonctionnent-ils ?
S’ils sont américains, ils doivent être très sophistiqués. Selon divers journalistes d’investigation, il s’agit de militaires américains pensionnés qui entretiennent des liens étroits avec le Département d’État américain. Est-ce exact ?
Une dernière question concerne ASCORP qui a repris les choses en mains sous la pression internationale. J’aimerais savoir si ASCORP contrôle effectivement la situation et si
cette évolution satisfait aux normes occidentales.
M. Filip De Boeck. – Mon travail se situe au niveau de la population locale, des villageois. Mon enquête concernait principalement l’impact du commerce du diamant sur la vie des gens dans les villages, dans les petites villes comme Kikwit et, éventuellement, à Kinshasa. J’ai écrit des articles à ce sujet. Mon but n’était pas d’étudier les transactions économiques.
ASCORP existe depuis l’an 2000 et Sodiam, à savoir l’État angolais, y participe ainsi qu’une entreprise belge et une entreprise israélienne. Elle a remplacé six sociétés d’achat officielles qui étaient actives en Angola auparavant. En fait, ASCORP a repris le rôle de ENDIAMA (Empresa Nacional de Diamantes) qui représentait les intérêts publics dans l’ancienne Diamang dans laquelle la De Beers avait une option depuis très longtemps. Tout comme le monopole IDI du côté congolais, ASCORP a été créée pour contrer l’effet garimpeiro. Certains chercheurs de diamant congolais illégaux ont pu se faire légaliser en Angola. ASCORP a en partie réussi ce premier objectif. Le deuxième objectif était d’augmenter les rentrées de l’État provenant du commerce du diamant. Cela a également réussi. Un troisième objectif était de veiller à ce que l’on exporte moins de diamants UNITA via les circuits officiels à Luanda, comme c’était le cas auparavant. Certains de mes collègues ont décrit la manière dont des transactions étaient effectuées très régulièrement entre des généraux du MPLA et des gens de l’UNITA. Je ne peux pas vous dire dans quelle mesure ASCORP a réussi àcontrer ce phénomène.
M. Michiel Maertens (AGALEV). – Si j’observe les chiffres des statistiques ASCORP de 1998 à 2001 – donc avant la création d’ASCORP – je constate 1.117.000 carats en 1999, 1.264.000 carats en 2000 et 1.342.000 en 2001.
L’augmentation n’est donc pas tellement importante. Pour l’Angola, le marché informel du diamant était de 1,357 millions de carats en 1999. Les chiffres d’ASCORP ne sont pas si élevés pour 2001. Soit il y a encore du pain sur la planche avec ASCORP soit le diamant est négocié par d’autres voies.
M. Filip De Boeck. – Je ne peux démentir ni confirmer ces chiffres. Ceux dont je dispose pour ASCORP indiquent une augmentation : 180 millions de dollars en 1998, 263 millions de dollars en 1999, 371 millions de dollars en 2000. Il est illusoire de penser pouvoir formaliser le marché du diamant en Angola. Il n’y a plus d’économie formelle au Congo ni en Angola. Personne parmi les intéressés n’oserait qualifier d’illégal le trafic du diamant. Pour eux, le diamant est un moyen de survie. Des Congolais font 1.000 kilomètres à pied au-delà de la frontière dans l’espoir de gagner un peu d’argent. Je ne connais aucune famille de Kinshasa ou de Kikwit dont un membre ne soit allé en Angola ces dix dernières années. C’est pourquoi on entend souvent dire à l’intérieur du pays que tout allait mieux du temps de Mobutu et de l’UNITA. Le diamant assurait les rentrées. De nombreux professeurs et étudiants se rendaient en Angola pendant les vacances pour gagner un petit supplément ou de quoi payer les frais scolaires. Cela n’a aucun sens de vouloir y mettre un terme. On n’y arrivera pas.
M. Michiel Maertens (AGALEV). – La commission doit étudier l’économie de guerre. Le diamant était peut-être un bon revenu complémentaire mais quelle est, selon vous, la
relation entre ce système et l’économie de guerre ?
M. Filip De Boeck. – Jusqu’à la chute du régime de Mobutu en 1997, les comptoirs existants, libanais pour la plupart, travaillaient en collaboration étroite avec des gens du régime : des généraux, des enfants de Mobutu. Les seules rentrées du régime provenaient alors des diamants.
Avec Kabila père, les choses ne se sont pas passées aussi facilement. Sous la dernière année de son régime, il y eut de nouvelles rumeurs d’accords avec l’UNITA, mais il y a toujours eu des comptoirs, aussi bien à Luanda qu’à Brazzaville et à Kinshasa, tenus par des gens d’Anvers qui ont toujours eu des liens étroits… La situation est la même aujourd’hui. Ceux qui avaient ou ont des comptoirs au Lunda Norte et à la frontière, et qui achètent directement des diamants en grande quantité – je pourrais donner les noms à huis clos – financent actuellement certains mouvements rebelles au Congo.
M. Michiel Maertens (AGALEV). – Vous avez parlé de la dollarisation de l’économie locale et nous avons souvent entendu dire que le produit des taxes directes sur le secteur du diamant ne finançait pas la guerre. Le paiement des creuseurs en dollars contribue naturellement à l’introduction de devises dans ces territoires. Avez-vous une idée du flux de dollars vers l’économie formelle et de l’influence éventuelle sur les investissements de guerre?
M. Filip De Boeck. – Comme je l’ai déjà dit, mes propres centres d’intérêt ne se situent pas à ce niveau. J’entends beaucoup de rumeurs mais je ne peux en confirmer aucune.
D’où viennent les dollars ? Je viens de parler du refoulement de l’argent local au début des années 90 en Angola. Au Congo, en 1993, on est passé de l’ancien au nouveau zaïre :trois millions d’anciens valaient un nouveau. Sous le régime Birindwa, ce zaïre a perdu de sa valeur en raison d’un incroyable inflation annuelle.
L’argent ne fut plus fabriqué à la banque nationale mais contrôlé par des familles de commerçants libanais qui ont fait imprimer l’argent zaïrois au Brésil. Tout le monde le sait, les billets étaient faux. Une partie fut livrée à Mobutu, une autre fut convertie en devises étrangères et le reste fut mis en circulation sur le marché, ce qui fit à nouveau monter les prix. Toutes les trois ou quatre semaines, les prix faisaient du yoyo. Il y avait aussi différents circuits monétaires. Le nouveau zaïre fut accepté et utilisé à Kinshasa et à Lubumbashi, mais certaines coupures ne furent pas acceptées, tandis qu’à Mbuji-Mayi et au Kasaï, l’ancien zaïre était encore utilisé.
Au fond, toutes les transactions de diamants se faisaient avec de l’argent qui n’existait plus officiellement. Il y avait certainement aussi un trafic à partir de la banque nationale où l’argent était encore fabriqué et vendu sous le comptoir, mais officiellement, il n’en existait plus. C’est vraiment incroyable : une économie mondiale du diamant tourne autour d’une monnaie qui n’existe plus. On spécule et certains tirent avantage du système parce qu’à un moment donné, il y avait quatre ou cinq circuits, avec différentes coupures et sortes d’argents, et entre ces circuits, il y avait encore des fluctuations de valeurs.
Cela s’est aussi produit après le soulèvement de 1998, quand on commença à spéculer sur la différence de valeur du franc congolais dans la zone des rebelles et dans le territoire des autorités congolaises.
La dollarisation n’était que partielle. Les gens sur place étaient souvent payés en monnaie locale. En achetant des diamants et en les vendant contre des dollars, l’argent congolais, qui n’avait aucune valeur, pouvait être converti en dollars. C’était en quelque sorte une économie informelle. Il y a encore d’autre flux de dollars : un circuit d’argent noir provenant de la reconstruction de Beyrouth et du secteur immobilier de là-bas. L’argent est blanchi par l’intermédiaire du commerce du diamant. Bien que je ne puisse le prouver, je suis persuadé que les dollars de la drogue provenant du trafic de drogue qui part de la Colombie et passe par le Nigeria et l’Afrique du Sud, sont injectés dans le circuit du diamant congolais et sont ainsi blanchis. Je ne connais pas les détails de ces opérations.
Mme Sabine de Bethune (CD&V). – Plusieurs témoins nous ont dit de ne pas nous fixer sur le diamant. De nombreuses personnes gagnent leur vie grâce à l’exploitation du diamant au Congo. Selon eux, le seul élément provenant de ’exploitation du diamant que l’on retrouve dans l’économie de guerre est la taxe ou le produit indirect, par ’intermédiaire d’autres activités. Certaines personnes peuvent éventuellement s’enrichir grâce à la situation de guerre. Ce n’est toutefois pas avec ces rentrées que ’économie de guerre est alimentée et que les armes sont achetées.
Selon ces témoins, les diamants ne sont pas l’enjeu géopolitique de la guerre. Ils ont aussi dit que nous ferions mieux de porter notre attention sur l’or, le coltan et d’autres minerais qui ont une importante industrielle et géopolitique bien plus importante que le diamant. Quel est votre avis à ce sujet ?
M. Filip De Boeck. – Les revenus engendrés par le diamant ne peuvent quand même pas être sous-estimés. L’UNITA dépendait certainement des revenus du diamant. Des régimes se maintiennent aussi indirectement parce qu’ils peuvent ’appuyer sur les revenus du diamant. De 1990 à 1997, Mobutu et son régime ne maîtrisaient pas le commerce du diamant. Certains comptoirs, des gens de l’UNITA ou des acheteurs collaboraient avec ce régime en lui rendant toutes sortes de services. Certaines personnes de l’entourage du gouvernement ou de l’armée recevaient un pourcentage sur les bénéfices provenant du commerce du diamant. La plus grande partie de cet argent a quitté le Congo. Je suis persuadé que le régime n’a reçu qu’une infime partie du produit du trafic du diamant.
En Angola, la situation est différente. L’UNITA avait jusqu’il y a peu un monopole sur le diamant. Le gouvernement angolais avait le monopole du pétrole. Le diamant est aussi utilisé pour stabiliser les régimes. Eduardo dos Santos, par exemple, octroie des concessions à ses généraux, à des gens du MPLA et en a accordé à l’époque à l’UNITA-Renovada pour s’attacher ces personnes.
Vous avez parlé de America Mineral Fields et des armées privées. Ce phénomène n’est pas exclusivement américain. Depuis 1997-1998, les autorités angolaises peuvent faire des joint ventures et il y a des sociétés américaines, canadiennes, russes, australiennes et brésiliennes.
M. Michiel Maertens (AGALEV). – Branch Energy et Executive Outcomes en font-elles partie ?
M. Filip De Boeck. – Executive Outcomes était certainement à à cette époque, mais ces firmes changent vite de nom, de forme et de composition. Executive Outcomes a entre-temps changé de forme et opère sous d’autres noms.
M. Michiel Maertens (AGALEV). – Vous avez dit que vous vouliez donner des noms à huis clos. Je demande au président de passer à huis clos à la fin de la réunion.
M. le président. – Savez-vous quelque chose sur la situation à Lubumbashi ou est-ce en dehors du territoire que vous connaissez ?
M. Filip De Boeck. – C’est un peu en dehors mais le Lunda Norte jouxte le Katanga. Dundo et Lucapa sont des territoires miniers importants. De même qu’il y a un trafic au-delà de la frontière à l’Ouest, il y en a également un à partir de Tshikapa et des villages environnants vers le nord-est du Lunda Norte, à partir du Katanga et de Zandoa. Les personnes impliquées ne sont pas toujours les mêmes.
(La réunion se poursuit à huis clos.)
Je crois que tout le monde aura compris !
© CongoForum, documents rassemblés par Guy De Boeck
[2] Sénat de Belgique, Session ordinaire 2001-2002, Commission d’enquête Parlementaire «Grands Lacs» Auditions, Vendredi 21 juin 2002 Réunion de l’après-midi Compte rendu d’Audition du professeur Filip De Boeck, anthropologue (Présidence de M. André Geens)