AP
26/11/08
Sur les flancs du volcan Mikeno, les derniers gorilles des montagnes mènent leur vie comme s'ils étaient à des années-lumière des combats de l'est de la République démocratique du Congo (RDC). Mais c'est pourtant en plein milieu que se trouve l'habitat de cette espèce en voie de disparition, dans le parc national des Virunga, zone contrôlée par la rébellion depuis fin 2007.
En lisière des zones de guerre, le secteur où vivent les gorilles est depuis lors surveillé par des rangers restés dans le parc après l'arrivée des rebelles. Aujourd'hui, un accord entre les insurgés et le gouvernement de Kinshasa permet aux rangers qui avaient fui de revenir, pour la première fois depuis 15 mois.
Pendant un mois, chercheurs de l'Autorité congolaise pour la vie sauvage et rangers vont donc mener un recensement pour faire le point sur l'état de ce groupe de primates menacés d'extinction. Emmanuel de Merode, le Belge qui dirige le parc des Virunga depuis août, est ravi que les parties au conflit aient accepté ce recensement, qui permettra de savoir comment les gorilles "ont été affectés par la guerre".
Il ne reste qu'environ 700 gorilles de montagne dans le monde. On estime à 190 le nombre de ceux vivant aux environs du volcan Mikeno, dans la chaîne des Virunga, dans ce parc national à la biodiversité sans égale et inscrit sur la liste de l'UNESCO du patrimoine mondial en péril.
Ironie de l'histoire, les derniers affrontements entre la rébellion dirigée par le général déchu Laurent Nkunda et les forces gouvernementales ont peut-être permis aux gorilles de respirer: le front s'est déplacé de quelques kilomètres, alors que pendant toute l'année écoulée, le parc se trouvait au coeur des combats.
Comme l'avait constaté un journaliste sur place à l'époque, les forces gouvernementales installaient leurs mortiers et lance-roquettes sur la route principale traversant le parc, tirant en direction des collines tenues par les rebelles, à deux pas de là où vivent les singes. "Ils bombardaient le parc, détruisant la forêt et l'habitat naturel des gorilles", explique Pierre-Canisius Kanamahalagi, l'un de ces rangers qui n'ont pas fui.
Aujourd'hui, ceux que les fuyards avaient qualifiés de "rangers rebelles" disent avoir pris grand soin de leurs pensionnaires. "Nous sommes restés tout du long. Nous avons envoyé des rangers tous les jours" prendre des nouvelles de sept familles de gorilles habituées à la présence humaine, explique Benjamin Nsana, guide dans le parc depuis 15 ans. Et de qualifier de "mythe" l'idée selon laquelle personne n'aurait entendu parler des grands singes pendant tous ces mois.
Selon lui, aucun gorille n'est mort au cours de l'année écoulée: au contraire, six bébés ont vu le jour. M. Kanamahalagi et tous les rangers qui sont restés disent l'avoir fait pour les gorilles. "Si nous n'étions pas restés, qui l'aurait fait?", demande-t-il.
Il y a cependant de la politique dans l'affaire: la plupart de ceux qui sont restés sont plutôt pro-rebelles, et nombreux sont tutsis, comme le chef du CNDP (Conseil national pour la défense du peuple) Laurent Nkunda. Sur les 120 rangers ayant fui, la plupart l'ont fait par peur, ou parce qu'ils étaient opposés à la rébellion.
Les rangers restés sur place ont manqué de tout, explique M. Kanamahalagi. Ils ont travaillé pour presque rien, hormis les rations alimentaires fournies par la rébellion et quelques dollars versés par une organisation non gouvernementale (ONG) écologiste. Leurs GPS sont cassés, leurs bottes déchirées…
L'année 2007, avant que la rébellion ne s'empare du secteur, avait été la plus meurtrière pour les grands singes depuis que le début du travail de la célèbre ethnologue américaine Diane Fossey au Congo, dans les années 60: dix gorilles des montagnes avaient été tués par des inconnus, sans doute des trafiquants, dont cinq au cours d'un seul massacre. Un d'entre eux avait été mangé et ses restes jetés dans des latrines.
"Il faut absolument que les gens sachent ce qui se passe, et qu'on s'occupe correctement des gorilles", déclare Samantha Newport, porte-parole des autorités du parc. Les officiels ont notamment dénoncé les "visites organisées" non-officielles, encadrées par les rangers en zone rebelle, craignant qu'elles ne soient dangereuses pour les animaux car ne respectant pas les règles habituelles. A quoi M. Nsana répond qu'il n'y a guère eu de touristes cette dernière année: 45, la plupart venus d'Ouganda.
Mardi, la famille de huit gorilles rencontrée dans la forêt sur les flancs du volcan ne montrait en tous cas aucune hostilité envers les humains leur rendant visite, ni envers les rangers les escortant. "Vous voyez, ils sont en sécurité", souffle Benjamin Nsana à l'adresse des journalistes. "Pas de combats. Pas de problème."
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