Colette Braeckman
20/02/08
Malgré les embarras de circulation, la présence de militaires à tous les carrefours sans parler des policiers en civil qui quadrillaient la ville, les habitants de Kigali ont vécu la visite de Georges Bush comme un moment historique. Pour la circonstance, autant la ville que ses habitants se sont présentés sous leur meilleur jour : depuis le matin, des foules de badauds, habillés avec recherche, s’étaient massés sur le parcours du cortège, tandis que la ville étincelait de propreté, avec ses parterres de fleurs, ses rond points rehaussés par des statues.
Dans le district de Kicukiro, proche de l’aéroport, maisons et boutiques ont été repeintes de frais, les propriétés sont désormais entourées de murs de briques et non plus de haies vives. Bien avant l’arrivée de l’illustre visiteur, les sans papiers avaient été écartés, les marchands ambulants priés de disparaître, les enfants des rues devenus invisibles. Kigali, vitrine d’un Rwanda en plein développement, cache ses pauvres et s’enorgueillit de son golf, de son lac artificiel, de ses immeubles flambant neufs qui pourraient accueillir des institutions internationales chassées de Nairobi et rassurées par la sécurité du pays. « Nous sommes honorés par toutes ces visites » dit Koko, un jeune chauffeur né au Burundi, qui rappelle que depuis janvier, Kigali a ainsi accueilli le président allemand, Horst Köhler, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon, Bernard Kouchner. Mais pour Koko, «Bush, c’est différent, il vient ici en ami, et ne dit que de bonnes choses sur nous, cela nous flatte… »Gratien, un sociologue, est moins enthousiaste : « les Américains sont partout. Bill Gates se serait acheté une maison au bord du lac Mwazi, Bill Clinton rend régulièrement visite à son ami Kagame, une station a été installé au dessus du mont Karisimbi, qui peut écouter toute l’Afrique, un nouvel aéroport sera bientôt construit dans le Bugesera, afin de désengorger Kanombe qui deviendra un aéroport militaire… »
Comme pour confirmer ces dires, le président Bush a inauguré la nouvelle ambassade de son pays, une véritable forteresse qui domine la ville, avec, sur la colline d’en face, l’imposant bâtiment du Ministère de la Défense, que tout naturellement chacun appelle le Pentagone.
Visiblement à l’aise et détendu, frappant le président Kagame dans le dos, s’installant presque au ras du sol dans une école pour mieux écouter les enfants, Georges Bush a fait bonne impression au Rwanda. Sa simplicité d’allure, la gentillesse de son épouse Laura ont été appréciés tandis que des officiels comme le député Denis Polisi, relevaient que « lui au moins ne nous fait pas la leçon et n’assortit pas ses propos de critiques et de réserves comme le font si souvent les Européens… »
Visitant à Gisozi le mémorial du génocide, Georges Bush s’est longuement attardé dans une petite pièce sombre, où ont été entassés des crânes et des ossements de victimes. Contrairement à son prédécesseur Bill Clinton, qui avait demandé pardon pour l’inaction de son pays en 1994, Georges Bush, après avoir affirmé que ce lieu touchait les émotions au plus profond, n’est pas revenu sur le passé. Il a préféré souligner qu’il fallait plutôt veiller à ce que des actions de ce genre ne se reproduisent plus et aider les Rwandais à se réconcilier et à avancer.
En fait, le président américain a été très touché par le fait que le Rwanda ait été le premier pays à envoyer un contingent militaire dans le Da rfour, où il a été le fer de lance de la force d‘interventiuon africaine. Les Etats-Unis avaient participé à la formation et au transport des troupes rwandaises (dont les premiers éléments avaient cependant été acheminés par les C130 belges) et ils envisagent une aide supplémentaire de 100 millions de dollars pour les soldats de la paix.
La lutte contre le sida a également été au centre des entretiens de George Bush. Le Rwanda est en effet l’un des treize pays d’ Afrique bénéficiaires des 15 milliards de dollars libérés par les Etats-Unis dans le cadre du plan présidentiel d’urgence dans la lutte contre le sida (PEPFAR) et le Bush vient de demander au Congrès de doubler ce montant.
Kagame et Bush ont ceci de commun qu’à l’aide et à la philanthropie ils préfèrent les engagements d’ordre commercial et ils ont donc signé un important traité bilatéral d’investissements, qui garantira les initiatives privées. Le Rwanda mise en effet sur le grand marché américain et, par exemple, a conclu un accord de commercialisation de son thé avec Starbucks, le plus grand distributeur de thé et de café aux Etats-Unis.
En outre, le Rwanda se portera peut-être candidat pour accueillir Africom, le centre de commandement américain en Afrique aujourd’hui basé à Stuttgard. A Kigali, il se chuchote que le pays, visiblement chouchouté par un Oncle Sam qui a ignoré le Congo voisin, a vocation de devenir une « base américaine », mais le sujet demeure tabou…
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