Jean-Pierre Tuquoi
11/01/10
Fuir les violences et, sur des pirogues, traverser l'Oubangui, un affluent imposant du fleuve Congo. Quitter la rive droite et la République démocratique du Congo (RDC), et chercher refuge en face, en République du Congo. Depuis un peu plus de deux mois, prés de 110 000 personnes – essentiellement des femmes et des enfants – ont franchi la frontière entre les deux Congos et se sont éparpillés le long de l'Oubangui sur près de 500 kilomètres. D'autres – 15 000 personnes, selon les institutions des Nations unies – ont préféré chercher refuge plus au nord, en Centrafrique, toujours le long du fleuve Oubangui. D'autres encore – près de 50 000, estime-t-on, sans quitter le nord-ouest de la RDC et la province de l'Équateur, auraient abandonné leurs villages.
Difficile de savoir ce qui se passe vraiment en Équateur depuis le début des troubles il y a un peu plus de deux mois. La région, naguère fief de Jean-Pierre Bemba, ancien rebelle incarcéré à La Haye, aux Pays-Bas, dans l'attente d'être jugé par la Cour pénale internationale, est éloignée de tout, difficile d'accès. Et, à Kinshasa, les autorités sont muettes ou presque sur les violences qui ont fait, selon les chiffres officiels, 270 victimes, pour la plupart civiles.
À l'origine, il y a cette rivalité ancienne entre deux ethnies pour le contrôle d'étangs poissonneux d'une importance vitale pour les uns et les autres. Le 28 octobre 2009, le contentieux a dégénéré, comme le laissaient redouter des mois d'affrontements sporadiques. Ce jour-là, près d'un millier d'hommes en armes de la tribu Lobola, venus d'Enyelé, s'emparent de la ville de Dongo et tuent des civils et une cinquantaine de policiers. S'ensuit une première vague de réfugiés. La deuxième, massive et mieux organisée, surviendra fin décembre, lorsque Kinshasa, qui entre-temps a repris le contrôle de Dongo, annonce son intention de rétablir l'ordre coûte que coûte.
C'est ce que s'efforcent de faire, depuis, plusieurs milliers de gendarmes et de militaires acheminés sur place grâce à l'appui logistique fourni par la Mission des Nations unies en RDC, la MONUC (cette dernière a déployé 500 casques bleus dans la zone). La marine de la RDC est également à pied d'œuvre et une opération navale serait en préparation, selon des sources diplomatiques.
Mais l'armée congolaise, mal encadrée et indisciplinée, payée de façon épisodique, traîne derrière elle une réputation exécrable. "Les réfugiés avec qui nous avons parlé disent qu'ils fuient autant la violence de l'armée régulière que celle liée aux affrontements interethniques", note le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en République du Congo, Stephan Grieb.
De l'autre côté de l'Oubangui, la situation humanitaire est délicate, même si les violences ethniques n'ont pas été "exportées" par les réfugiés – accueillis sans difficulté par la population locale désormais minoritaire. "Les gens sont souvent apparentés de part et d'autre du fleuve. Les locaux ont partagé le peu qu'ils avaient", souligne un responsable gouvernemental congolais. La solidarité a permis d'éviter une catastrophe humanitaire majeure.
Même si depuis une semaine l'afflux des réfugiés en République du Congo ralentit, leur prise en charge pose de sérieux problèmes. Ce sont des milliers de tonnes de nourriture, de médicaments qu'il faut acheminer dans le nord-est du pays, alors que les barges ne pourront plus naviguer sur l'Oubangui avec l'arrivée prochaine de la saison sèche. Des campagnes de vaccination sont indispensables ainsi que l'enregistrement des réfugiés. "Nous allons lancer dans quelques jours un appel international. On a besoin de fonds, de logistique, de nourriture", résume le représentant du HCR.
D'ores et déjà, une poignée de pays occidentaux ont débloqué des crédits d'urgence. La France a été sollicitée pour mettre à la disposition des organisations humanitaires un avion de transport militaire. À Paris, le ministère de la défense hésite pour des raisons budgétaires. De passage à Brazzaville, samedi 9 janvier, le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, a promis d'intervenir auprès de son collègue de la défense, Hervé Morin.
De leur côté, les autorités de Brazzaville redoutent que les réfugiés ne s'installent durablement, au risque de déstabiliser la région. Le président Sassou Ngueso a pris contact avec son homologue de la RDC, Joseph Kabila Mais sans recevoir d'assurance sur un prochain retour de la paix en Équateur.