Colette Braeckman
21/06/07
Nyamitaba, Nord Kivu, envoyée spéciale
Retiré dans son fief de Nyamitaba, au cœur des collines du Masisi au nord de Goma, Laurent Nkunda Mihigo ne craint personne. Celui que tous les journaux de la république décrivent comme un « officier déchu » et félon, comme le « boucher de Kisangani » en 2002 et l’ « assaillant de Bukavu » en 2004, défie tranquillement le pouvoir depuis son campement établi dans une plantation naguère dévastée par les Hutus rwandais. Pour rejoindre « afande » (commandant) Nkunda, nous avons remonté une longue piste serpentant entre les pâturages et les massifs d’eucalyptus, croisé des bouviers venus du Rwanda amenant des vaches sur ces vertes collines afin qu’elles aient bientôt la peau luisante et le ventre bombé, salué de jeunes militaires aux uniformes sans insignes patrouillant entre les hameaux ou postés à de minces barrières de bois. Alors que dans d’autres régions du Nord Kivu, vers Walikale, les véhicules ne circulent qu’en convoi, de crainte d’être pris pour cible par des bandes armées et que les villages vivent dans la terreur et qu’au sud Kivu se multiplient des attaques ciblées, dont la dernière a emporté Serge Maheshe, le journaliste de Radio Okapi, un calme surprenant règne sur ces hautes terres du Masisi que les colons belges décrivaient naguère comme une réplique du paradis. Lorsque le dernier des militaires rebelles du Congo nous accueille sous un auvent de branchages, nous offre une jatte de lait crémeux et nous montre les tentes igloo qui abritent son état major, Laurent Nkunda Mihigo prend plaisir à préciser que l’attaché militaire belge vient de passer la nuit ici, que le New York Times lui a envoyé une équipe et qu’il est en train de recevoir une délégation venue des Etats-Unis…Bref, un agenda de ministre pour l’homme le plus honni de la république, que beaucoup rêvent d’amener devant la Cour pénale internationale. Une hypothèse peu probable, car Nkunda, qui guerroie depuis 1993, pourrait alors mouiller les plus haut gradés des armées de la région, chefs d’état major et même chefs d’ Etat..
Longiligne, dégingandé, le général de brigade, officiellement déchu de son grade, s’exprime avec la verve et la conviction d’un pasteur. Comme ses adjoints, le général Kakolele, un Nande proche de l’armée ougandaise ou une jeune major aux joues rondes qui assure avoir combattu avec les Mai Mai, ces groupes nationalistes congolais, Nkunda a épinglé une petite effigie carrée sur son uniforme, qui confirme son appartenance au « rebirth », un mouvement religieux d’origine américaine. Avec aplomb, il affirme qu’il a refusé de regagner Kinshasa à la veille des élections car il voulait continuer à combattre les Interhahamwe, ces miliciens rwandais auteurs du génocide et regroupés sous l’appellation Forces démocratiques pour la libération du Rwanda. Aujourd’hui, se présentant comme une sorte de Robin des bois, il entend protéger non seulement les Tutsis congolais mais tous les citoyens contre les exactions des miliciens hutus et il réclame le retour des Tutsis congolais toujours réfugiés au Rwanda, dont il évalue le nombre à 50.000 personnes. Ayant refusé le «brassage » c’est-à-dire la dilution de ses forces au sein de la nouvelle armée congolaise, Nkunda, en décembre dernier, a fait face à une offensive militaire d’envergure. Non seulement il l’a tenue en échec mais la Mission des Nations unies au Congo assure que seule l’intervention des hélicoptères onusiens empêcha le général de s’emparer de Goma. A la demande de Kinshasa, une médiation s’engagea alors, menée par le chef d’Etat major rwandais, James Kabarebe, et du côté congolais, par le général John Numbi, mandaté par le président Kabila. « Je suis un ancien de l’armée patriotique rwandaise, dit Nkunda, j’ai rejoint le FPR en 1993 et l’ai aidé en 1994 à combattre le génocide. J’étais à côté de James à Kisangani et durant la première guerre du Congo. J’ai même organisé la protection de Joseph Kabila, qui n’était alors que le fils de Mzee, Laurent Désiré Kabila. Ayant confiance en James, j’ai accepté un « gentlemen agreement », c’est-à-dire le « mixage » de mes hommes avec d’autres militaires congolais. Je me suis ainsi « dessaisi » de 6000 d’entre eux, ce qui a permis de former cinq brigades. Seule la 6eme brigade n’a pas été constituée, car la partie gouvernementale n’avait plus d’hommes à mixer… »Nkunda, déchu de l’armée congolaise pour cause de rébellion, espérait être « mixé » avec tout son état major, bénéficier d’une amnistie et retrouver un poste de commandement, mais au lieu de cela, Kinshasa lui promet plutôt l’affrontement : « le mixage a été un échec et il est terminé », assure le Ministre des affaires étrangères Mbusa Nyamwisi, tandis qu’à Goma, le général Masiala, qui a déjà pacifié l’Ituri, nous assure « qu’il est là pour remettre de l’ordre dans le Nord Kivu ».
Le rôle de ces brigades « mixées » est aujourd’hui très controversé : elles se sont donné pour première tâche de combattre les miliciens hutus FDLR, mais comme ces derniers se dissimulent au sein des populations congolaises, soit en les terrorisant soit en ayant noué des alliances avec des Hutus congolais, bon nombre de civils sont morts au cours de cette traque. Tous les Kivutiens assurent que parmi les « mixés » de Nkunda, qui sont demeurées des unités homogènes sinon autonomes, se trouvent de nombreux militaires venus du Rwanda. Sur certains d’entre eux, la Monuc a d’ailleurs découvert des cartes établissant que ces soldats chevronnés avaient même servi au Darfour, où les Rwandais participent aux forces de l’Union africaine…
Nkunda ne fait même pas semblant de nier l’évidence du lien avec le Rwanda : «moi aussi, je suis un démobilisé de l’armée rwandaise et, comme moi, beaucoup de mes hommes sont des Tutsis congolais originaires du Kivu, qui ont combattu au Rwanda puis sont rentrés chez eux… » Ses adjoints nous préciseront plus tard que leurs uniformes ont été « volés » dans les stocks rwandais et les armes trouvées sur le marché…
Nkunda répond aux critiques adressées à ses brigades, en dénonçant l’inconséquence de Kinshasa : « malgré les engagements du général Numbi et l’aval de James Kabarebe, les « mixés » étaient mal nourris, pas payés et toujours envoyés en première ligne. Leur comportement s’explique par le fait qu’ils avaient échappé à mon autorité… »
Nkunda avance les succès engrangés dans la zone qu’il contrôle : « la pacification est réelle, la sécurité permet le retour des réfugiés. Soucieux d’organiser la cohabitation de tous, j’ai réuni les chefs coutumiers de la région afin que se règlent les conflits fonciers entre les éleveurs tutsis et les agriculteurs hunde; durant les élections, j’ai assuré la paix et tout le monde, en toute tranquillité, a ainsi pu…voter en faveur de Kabila. »Loin de se présenter comme le dernier rebelle sur le point de faire face à une offensive gouvernementale, Nkunda a des projets et des ambitions : « il faut établir une Commission Vérité et Réconciliation, qui démontrera, entre autres, que les autorités politiques et militaires actuelles ont collaboré avec les FDLR, renforcer le pouvoir des chefs coutumiers, remplacer les multiples taxes qui accablent les gens par une cotisation personnelle unique, la CPM… »
A Goma cependant, tout en reconnaissant que les Tutsis congolais ne peuvent circuler que dans les zones tenues par Nkunda les représentants de la société civile soulignent que partout où les « mixés » affrontent les hutus des FDLR, les civils, pris entre deux feux, meurent par dizaines. Le gouverneur élu, Joseph Paluku, nous déclare qu’il veut « resouder les liens sociaux, réconcilier les divers groupes ethniques, organiser des forums communautaires » et il espère bénéficier de la décentralisation qui devrait attribuer 40% des recettes aux provinces.
Mais avant cela, il devra trouver une solution au défi que représente Laurent Nkunda, qui depuis ses montagnes se présente comme le vrai «protecteur » de Goma et voit sa popularité augmenter à mesure que… celle du président Kabila est en chute libre, au rythme des assassinats ciblés et des tueries qui accablent les deux Kivu, ces provinces excentrées qui plus que jamais sont le maillon sensible du Congo…
Le Carnet de Colette Braeckman