TANGUY BERTHEMET
16/10/07
Dans le Nord-Kivu, depuis l'expiration, hier, de l'ultimatum adressé par le pouvoir aux rebelles, les forces de l'armée congolaise se tiennent prêtes à mener l'assaut contre les soldats ralliés à l'ex-général tutsi, Laurent Nkunda.
NICHÉE au creux des collines du Nord-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo (RDC), la bourgade de Kitchanga pourrait passer, au premier regard, pour un pays de cocagne. Vaches, pâturages, champs et cascades… Les miliciens, kalachnikovs en bandoulière, qui quadrillent les rues flanquées de baraques en bois vermoulu dissipent vite l'illusion. Laurent Nkunda, le général dissident tutsi, a fait de cette ville son fief. Hier matin, l'ultimatum lancé par le gouvernement aux insurgés pour rentrer dans le rang est arrivé à échéance et la cité s'est figée dans un silence inquiet.
Kitchanga, comme toute la province, est menacée, une fois encore, de sombrer dans la guerre. Les civils s'en remettent à Dieu. Vincent tient l'échoppe « Au bonheur du Congolais ». Il affirme qu'il prie tous les jours, puis aussitôt, il ajoute, prudent qu'il a « aussi confiance » dans « le général », le général Nkunda. « Nous ne voulons pas la guerre, assure son porte-parole, le major Séraphin Merindi, mais nous sommes prêts à nous défendre. Nous le disons depuis longtemps. »
Au Nord-Kivu, la tension monte depuis mai, quand Laurent Nkunda a quitté la nouvelle armée nationale, censée regrouper toutes les milices qui s'affrontèrent durant les deux guerres congolaises. Entouré de quelque 8 000 fidèles bien équipés et entraînés, Nkunda est une sérieuse menace. Les pourparlers et les concessions accordées de part et d'autre avec une égale mauvaise foi n'ont pas empêché les affrontements en août dernier. La présence au Kivu du Front de libération du Rwanda (FDLR), composé d'extrémistes hutus ayant participé au génocide des Tutsis rwandais en 1994, rend impensable tout rapprochement. Que le FDLR ne compte sans doute pas plus de 6 000 rebelles aujourd'hui ne change rien à l'affaire. Son existence empoisonne l'Est congolais depuis plus d'une décennie.
Soupçons de collaboration
Sanglé dans un treillis léopard impeccable, le major Mirindi, est persuadé que le Front de libération du Rwanda ne survit que « grâce au gouvernement » qui « collabore » avec « ces génocidaires qui ne regrettent rien ». « On ne peut le tolérer, martèle-t-il. Ils massacrent les Tutsis. Comment voulez-vous dans ces conditions que nous puissions rejoindre l'armée gouvernementale ? »
L'accusation fait bondir le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku. « Il y a peut-être des individus qui ont aidé le FDLR, mais le gouvernement n'a jamais été impliqué », tonne-t-il. Dans son petit bureau de Goma, la capitale du Kivu, le colonel Delphin Kahimbi, l'un des responsables de l'armée congolaise (FARDC) assure qu'il est « prêt à en découdre ». L'armée, avec le soutien actif des Casques bleus, a déployé plus de 15 000 hommes dans la région. Une force qui a permis de reprendre la semaine dernière, après d'intenses bombardements d'artillerie, la petite ville de Karuba, à une trentaine de kilomètres de Goma. Cette victoire, une première depuis fort longtemps, contente le colonel Kahimbi : « Nous sommes très bien préparés et je ne crois pas que l'ennemi pourra résister à nos assauts. »
370 000 déplacés
Cet optimisme affiché fait craindre le pire aux observateurs. « Toutes les forces négatives qui ont plongé la région dans la guerre pendant des années sont de nouveau réunies », glisse un diplomate. Le bilan, qui s'alourdit chaque jour, ravive les haines ethniques : au moins une centaine de morts, déjà, et 370 000 déplacés. Les coups de feu attisent aussi les rancunes entre le RDC et son voisin rwandais, qui par deux fois a envahi le Congo.
Souvent mal équipées et mal entraînées, les forces armées de la RDC ont toujours peiné à bousculer les hommes très disciplinés du général Nkunda. Kinshasa accuse Kigali de soutenir le renégat. Même si l'armée rwandaise nie, le gouvernement, lui, ne cache pas sa sympathie pour le combat des dissidents. « Il est peu probable que le Rwanda, sous forte pression de Washington, soit intervenu directement, juge un expert. Mais il est évident qu'un soutien extérieur parvient aux partisans de Nkunda. Non sans raison, ces derniers n'accepteront jamais de laisser les Tutsis sans une protection tant que le FDLR existera », ajoute-t-il.
Vus de la route boueuse de Kitchanga, les enjeux diplomatiques semblent bien lointains. À Lushangi, ultime bastion de Nkunda, quelques miliciens, étonnamment calmes, montent la garde, un talkie-walkie flambant neuf à la main. Tout autour, dans les collines avoisinantes, vont et viennent des silhouettes à peine dissimulées. À moins d'un kilomètre, les troupes loyalistes s'affairent. Entre les deux, de pauvres cases abandonnées à la hâte. Une dizaine de femmes, un ballot sur la tête, se pressent de fuir. Sur le chemin, des soldats, empilés à l'arrière de camions verdâtres, les croisent sans même un regard.
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